Saints bretons à découvrir

1905. Difficile séparation entre l’Église et l’État

Amzer-lenn / Temps de lecture : 7 min

Article d’Erwan Chartier-Le Floc’h, publié sur Ar Gedour avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Au début du XXème siècle, la Bretagne demeure une région très imprégnée par la religion catholique. Le souvenir de la chouannerie, une révolte aux raisons en partie religieuses, y est encore fort. Aussi, lorsque le gouvernement Combes promulgue une série de mesures contre l’Église, les résistances y sont particulièrement vives.

On ne déteste jamais autant que ce qu’on a aimé, un axiome qui s’applique particulièrement à Émile Combes, un radical du Tarn qui devient président du conseil en 1902. Avant de devenir un farouche anticlérical, il a en effet été séminariste dans sa jeunesse. Mais on lui a refusé le sous-diaconat au prétexte que sa foi n’était pas assez sûre. Profondément blessé par cette vocation contrariée, Émile Combes a patiemment ruminé sa vengeance contre l’Église. En cette fin de printemps 1902, il la tient. Suite à l’affaire Dreyfus, la droite vient en effet d’être laminée aux législatives de mai. Le Breton Waldeck-Rousseau quitte donc le gouvernement où sa présidence du conseil a été marquée par la loi de 1901 sur la liberté d’association.

 

Contre les congrégations

Cette loi réglemente de manière sévère l’ouverture d’écoles associatives. Elle ne devait pas être rétroactive et ne devait donc pas toucher les milliers d’établissements tenus par des congrégations religieuses. Pourtant, dès juillet 1902, Combes en décide autrement et s’en sert pour une série de mesures contre ces congrégations. La réaction est très vive, notamment en Bretagne où le réseau d’écoles catholiques est très dense. Waldeck-Rousseau s’inquiète d’ailleurs des risques de violence. Il déclare ainsi :

« ce qui se passe en Bretagne m’inquiète beaucoup. Mes compatriotes se montrent rarement, mais quand ils sortent de leur calme, ils sont capables d’allers jusqu’au bout. »

Le 7 août, l’expulsion de religieuses à Landerneau malgré deux mille manifestants va provoquer des troubles dans toute la péninsule. L’armée est appelée en renfort à Audierne, à Roscoff ou à Douarnenez. Les troubles les plus importants ont lieu dans le Léon, notamment à Saint-Méen.

 

L’interdiction du breton

À Paris, Combes fulmine devant ces troubles derrière lesquels il voit un complot réactionnaire et clérical. Par une circulaire du 29 septembre 1902, Combes imposent aux prêtres que les instructions religieuses et le catéchisme soient faits en français… Une décision inapplicable, une grande partie de la population de basse Bretagne ne s’exprimant qu’en breton et ne comprenant que peu le français. Combes reste inflexible et près de cent trente prêtres seront sanctionnés pour ce motif en trois ans. Une interdiction du breton qui provoque une vague de protestation chez les conservateurs comme dans la gauche bretonne.

En juillet 1904, la France rompt ses relations diplomatiques avec le Vatican. À l’automne survient l’affaire des fiches : on apprend que le ministère de la Guerre fait des fiches sur les officiers à propos de leurs convictions politiques et religieuses. Le climat est délétère. Le gouvernement Combes tombe en janvier 1905.

 

La séparation

Si le gouvernement Rouvier qui succède à celui de Combes est bien plus modéré, c’est lui qui va mener à bien la difficile séparation entre l’Église et l’État. Promulguée le 9 décembre 1905, cette loi met fin au concordat napoléonien. Elle a été en grande partie négociée par un habile homme politique breton, Aristide Briand. Les prêtres ne sont plus payés par l’État et les lieux de culte sont administrés par des associations cultuelles qui en ont la jouissance gratuite, après un inventaire réalisé par les agents de l’État.

Une partie des évêques et du haut clergé ne voit pas forcément d’un mauvais œil cette loi, somme toute libérale et qui atténue le contrôle de l’État sur l’Église. En Bretagne, pour calmer les choses, un nouvel archevêque, Auguste Dubourg, est nommé en 1905. Originaire de Loguivy-Plougras, en Trégor, bretonnant et issu d’un milieu modeste, il va devoir gérer la crise des inventaires. En effet, partout dans la péninsule, les églises sont gardées par des fidèles. Des heurts ont lieu au printemps 1906 à Ploudaniel, au Drennec, à Plougerneau. Une bagarre générale oppose les gendarmes et des jeunes hommes à Saint-Gorgon dans le Morbihan. Les blessés sont nombreux. Les militaires débordés reçoivent l’ordre de dégainer leurs pistolets. La situation est très tendue lorsque le recteur s’interpose, ce qui a pour effet de calmer les choses. Si aucun mort n’est à déplorer en Bretagne, plusieurs dizaines de Bretons seront emprisonnés pour leurs actions contre les inventaires. De nombreux élus locaux démissionnent également.

La question de la séparation de l’Église et de l’État aura profondément divisé la Bretagne jusqu’à nos jours. L’héritage de cette crise s’est fait sentir tout au long du XXème siècle, avec notamment des affrontements réguliers concernant la question scolaire.

 

Encadré : La bataille de Saint-Méen

Le bourg de Saint-Méen, en Finistère, va devenir le point de crispation de cette crise. Le 21 juillet, deux gendarmes arrivent afin d’avertir les religieuses des mesures d’expulsion. L’instituteur public se propose de les guider jusqu’à l’établissement. Mais là, six cents personnes les attendent de pied ferme. L’instituteur public tente d’écarter la foule, mais il est molesté et doit partir sous les huées. Les gendarmes qui n’en mènent pas large doivent également battre en retraite. L’école des sœurs est ensuite gardée jour et nuit en prévision d’un retour massif des forces de l’ordre. Des barricades sont montées pour bloquer les accès à Saint-Méen.

Au matin du 18 août 1902, le sous-préfet Verne vient diriger en personne l’assaut contre Saint-Méen. Il est accompagné de deux commissaires, de cinquante gendarmes et de quatre cents hommes de l’infanterie coloniale. Arrivés devant la première barricade, des négociations ayant échoué, les coloniaux partent à l’assaut sous une pluie de projectiles. Les gendarmes chargent également, sabre au clair. Les défenseurs se replient vers une deuxième barricade, face au presbytère. La bagarre est générale : aux coups de crosse répondent les coups de gourdins. Les esprits sont surexcités et le drame est prévisible. Les deux parties parviennent cependant à un accord et les forces de l’ordre parviennent jusqu’à la porte de l’école. Là, les jeunes filles du bourg bloquent l’accès et il faut les enlever une à une. Quand le serrurier et le sous-préfet veulent ouvrir la porte, ils sont aspergés de matière fécale et de purin. À l’intérieur, la supérieure leur lit une lettre de protestation et sort avec ses sœurs. Sur leur passage, les officiers saluent. L’affaire de Saint-Méen provoque une vague de réactions. Le Courrier du Finistère, proche de l’évêché, gronde contre « les troupes d’infanterie coloniale qui, par leur sauvage brutalité, ont laissé penser qu’ils croyaient se trouver en présence de nègres ou de cannibales qu’ils ont ordinairement à combattre et qui s’impatientent visiblement et ne demanderaient pas mieux que de procéder au massacre général. »

Le journal très anticlérical, la Lanterne, quelque temps plus tard, justifie au contraire tous les excès : « Si rares que soient les fonctionnaires républicains, il doit s’en trouver assez pour entreprendre la colonisation de la Bretagne […] Les cléricaux bretons nous provoquent. Tapons dessus, de toute la rigueur de nos lois, de tous les poings des gendarmes. Les Bretons n’ont rien compris à la grandeur des idées républicaines. »

 

Les dates de l’histoire

1805. Concordat entre Napoléon et l’Église catholique

1870. Chute du Second empire

1914-1918. Première Guerre mondiale.

Pour en savoir plus :

Fanch Broudig, l’Interdiction du breton en 1902, Coop Breizh, Spézet, 1997.

Louis Elegoët, Saint-Méen, vie et déclin d’une civilisation paroissiale dans le bas Léon, Éditions Anthropos, Paris, 1981.

Alain Tanguy, « Troubles confessionnels, la difficile séparation de l’Église et de l’État au début du XXesiècle », ArMen n° 149, novembre 2005.

Blog de l’auteur Erwan Chartier-Le Floch

 

À propos du rédacteur Erwan Kermorvant

Erwan Kermorvant est père de famille. D'une plume acérée, il publie occasionnellement des articles sur Ar Gedour sur divers thèmes. Il assure aussi la veille rédactionnelle du blog et assure la mission de Community Manager du site.

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