Saints bretons à découvrir

LE FOLGOET : Le baiser à Notre-Dame

Amzer-lenn / Temps de lecture : 4 min

Avant d’entamer la lecture, cliquez ci-dessous et  laissez-vous porter par le chant « Patronez dous ar Folgoat » :

FolgoatDans la pénombre qui sent la pierre humide et la mousse, les pèlerins s’avançaient un à un, pour baiser la statue de granit. On l’avait descendue de la niche au dais de Kersanton, pour la proposer, ainsi que le veut la coutume, à la vénération des fidèles. Le pardon de Notre Dame du Fou-du-Bois a des senteurs d’automne. Le ciel est bas sur les terres du Léon et les feuilles de hêtre, à l’entrée de Coat-Junval, roussissent dans le vent sous les premiers brouillards. De tous les chemins, de toutes les fermes, tapies derrière les talus, sortent les pèlerins. Ils viennent de Saint Méen, de Ploudaniel, du Drennec, d’Electrec et de Saint Frégant, de Plouider, de Pont-du-Chatel, de Trèflez ou de Plouescat, de Goulven, de Kerlouan, de Lesneven, de Plabennec, de Locmaria, de Plouvien, de Bourg-Blanc et de Kersaint, derrière leurs croix d’or et leurs bannières aux velours passés, fiers de cette vieille fierté paroissiale qui n’a peut-être rien d’évangélique, mais qui les met en marche, vers les clochers du Folgoët, vers Notre Dame et vers l’Eglise. Et dans l’église, ils redeviennent enfants de Dieu. Dans le sanctuaire obscur, noirci par la fumée des cierges, sous les grands vitraux historiés, ils  » font leur pardon ».

L’un derrière l’autre, ils rapprochaient de Notre Dame. D’une main, prenant appui sur l’épaule de pierre noire, ils embrassaient la vieille statue, comme on embrasse quelqu’un qui est de la famille, silencieusement, sans s’attarder. Qu’elle était grande, dans sa simplicité, cette rencontre sans paroles, entre le pèlerin de la terre et la Dame du ciel! Si c’était sur la pierre que se posaient les mains, si c’était le granit que les lèvres effleuraient, c’était Marie que tous ces pauvres rencontraient. Pauvres par le coeur, allant, cierge en main, vers la figure noire et courtaude, debout entre les glaïeuls rouges et blancs, devant l’autel.

Qui saura ce dont ces baisers rapides ou appuyés, ces milliers de baisers, étaient porteurs? Personne ne dira ce que disaient ces baisers-là, qui ressemblent à ceux qu’on échange en silence, lors d’un deuil ou d’une grande épreuve, lors qu’on se trouve au-delà des mots? La vieille paysanne dont la main cherche le bras de la Vierge, l’embrasse comme elle embrasse une voisine chère, dont on a pris le fils. Elles ne se disent rien, elles se comprennent et ça se voit. Et ce paysan jeune, au regard ardent, aux mains dures et carrées, qui s’approche et baise avec un infini respect les joues de pierre de cette femme qu’en secret, dans son coeur tendre et solitaire, depuis des années, il implore… Interminable file qui progresse, le cierge à la main, portant tant de douleurs et tant d’espoirs… Une mère élève son enfant à la hauteur de Jésus, dont le front est poli par les lèvres des « pardonneurs ». L’enfant apprend, dans un geste, qu’il est connu de Jésus et accueilli par sa Mère. Il est déposé sur les dalles, face au brasier des cierges auquel sa mère ajoute le sien. Devant ces centaines de flammes qui crépitent, l’enfant devine l’espérance qui palpite au coeur des hommes. Même les forts, ces hommes au front durci, aux doigts gourds, viennent gauchement baiser la statue. Ils n’ont rien à lui dire, c’est Marie qui le sait, elle seule, vivante, et doucement penchée vers eux, dans les traits de la lourde statue qui vacille un peu chaque fois que les mains appuyées sur elle s’en déprennent. Et ils s’en vont, presque à regret, les pèlerins timides comme des enfants. L’un après l’autre, ils passent et dans leur poitrine tendue, leur coeur s’apaise, lorsqu’ils ont baisé Notre Dame. Tout à l’heure, porté sur les bras et six ou huit hommes, ce bloc de pierre couronné d’or s’avancera, au milieu de tout un peuple, au chant du vieux cantique « Patronez dous ar Folgoët… notre Mère et notre Dame «  Derrière les grandes bannières chamarrées, derrière les évêques bénissant, elle ira, Notre Dame, vaillante, obstinée comme une Bretonne, porter au nom de tous les siens le cri de tous ses Salaüns, de tous ces pauvres et de ces fols, qui, au milieu du banquet de leur vie,  » n’ont plus de vin… « .

À propos du rédacteur Keranforest

Né en 1939 à Carantec. Agrégé d'anglais, essayiste, poète, romancier. Devenu prêtre, animateur du Tro Breizh, il a été longtemps chroniqueur au Télégramme de Brest. Poète élégiaque, il est aussi l'auteur de deux romans qui ont la Bretagne pour cadre.

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