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[Histoire de l’Eglise celtique] Palladius et sa mission en Ibernie

Amzer-lenn / Temps de lecture : 9 min

La mission de l’évêque romain (ou gallo-romain) Palladius est évoquée dans l’histoire ecclésiastique de l’Irlande tantmenhirs dans sa relation chronologique avec l’évangélisation de l’île par Saint Patrick que dans la question de l’organisation ecclésiale de la chrétienté celtique.

La chronique de Prosper d’Aquitaine (Epitome Chronicon, Patr.Lat. t LI, col 595) introduit la personne de Palladius en 429 :

Ad insuationem Palladii diaconi, Caelestinus Germanum Autissiodorensem episcopum uice sua mittit (Sur l’instigation du diacre Palladius, Celestin envoyan l’évêque Germain l’Auxerrois comme son représentant personnel).*

Ceci indique que Palladius, en 429, résidait ou séjournait à Rome et y était un conseiller écouté, au moins en ce qui concernait l’île brittanique. Sans aucun doute, il était issu de la Gens Palladia dont Sidoine Appolinaire écrivait (lettre VII, 9) :

« aut cathedris aut tribunalibus praesederunt, inlustris in utraque conuersatione prosapia aut episcopis floruit aut praefectis. » (ils ont siégé à la tête d’évéchés ou de tribunaux, famille illustre dans le milieu ecclésial comme dans le milieu civil, elle s’est distinguée tant par des évêques que par des préfets).

Palladius était donc un patricien (patricius). N. Chadwick et L. Fleuriot (OB143) voient en lui un fils d’Exuperantius.

Deux ans plus tard, en 431, la chronique de Prosper signale « Célestin envoie Palladius comme premier évêque aux Scots croyant en Christ » (ad Scotos in Christum credentes). Termes modifiés dans l’Historia Brittonum (ch 50) :

« … missus est Palladius episcopus primitus a Caelestino episcopo et papa Romae ad Scottos in Christum conuertendos » (l’évêque Palladius fut envoyé d’abord par Célestin, évêque et Pape de Rome, pour convertir les Scots).

Le but de la mission est précisé par Prosper dans son libelle contre s. Jean Cassien (Contra Collatorem) : « /Caelestinus/ dum romanam insulam studet seruare catholicam, facit etiam barbaram christianam » (tout en se souciant de maintenir catholique l’île romaine, il a fait chrétienne l’île barbare).  Quand un auteur nous annonce qu’on a fait des chrétiens de gens croyant en Christ, il ouvre à l’historien une vaste marge d’interprétation. Il conviendra donc de considérer dans quelles circonstances se place l’entreprise.

En 430, Augustin d’Hippone, acharné rétheur (atrociter disputaui « j’ai discuté avec acharnement »), était décédé mais le siège de Rome avait fait sienne sa doctrine du péché originel et de la prédestination, ce qui avait pour avantage d’appuyer la prétention romaine au magistère doctrinal conformément à la phrase d’Augustin « Roma locuta est, causa finita ». Rome allait donc tenter de répandre dans la chrétienté cette innovation théologique. A Constantinople, le patriarche Nestorius contestait que la Vierge Marie puisse être nommée « Génitrice » de Dieu. La querelle théologique sur les natures ou la nature du Logos allait entraîner la convocation du Concile d’Ephèse (431). Mais aux problèmes de dogme s’associaient les enjeux de politique ecclésiale. Byzance aspirait à éclipser la prééminence du siège apostolique d’Alexandrie.

Palladius en Ibernie

Quant à l’activité de Palladius en Irlande, RPC Hanson (S. Patrick, 1978, 31) affirme que les traditions irlandaises ultérieures s’accordent pour dire que la mission de Palladius fut un échec. Mais elles diffèrent quant aux événements :

  • suivant les uns, il débarque en Ibernie, opère quelques conversions et repart découragé.
  • suivant d’autres, il fut martyrisé dans l’île Iroise (Livre d’Armagh, voire ci-après)
  • pour d’autres encore, il n’y parvint jamais, débarqua en Brittanie et y mourut : « …prohibuit illum Deus per quasdam tempestates… et profectus est ille Palladius de Hibernia, et peruenit ad Brittaniam, et ibi defunctus est in terra Pictorum » (Dieu le lui interdit par des intempéries… et ce Palladius quitta l’Ibernie et atteignit la Brittanie, et là mourut chez les Pictes) – HB, ch 50.

La première proposition s’accorde mal avec les prémisses : les Scots croyant en Christ n’avaient pas besoin d’être convertis.

La seconde proposition peut être exclue à-priori : un martyr passe difficilement inaperçu, surtout s’il est de l’importance de Palladius. Il sert d’étendard et fait naître un culte. Rien de tel ici.

Quant à la troisième éventualité, elle est dépourvue de toute base : nulle part en Brittanie il n’a laissé de souvenir, encore moins de tombeau.

 

livre d'armaghLe Livre d’Armagh

Le recueil de traditions diverses constitué par l’évêque Tirechan et conservé dans le Livre d’Armagh contient les deux alinéas suivants, qui sont la source de plusieurs idées reçues sur les carrières de Patrick et de Palladius.

A – « Dans la 13ème année de l’empereur Theothosius, l’évêque Patricus fut envoyé par l’évêque Célestin, pape de Rome, pour l’instruction des Iberniens. » Ce Célestin était le 42ème évêque de la Cité de Rome, après Pierre.

B – « Premier envoyé fut l’évêque Palladius, aussi appelé Patricius (qui Patricus alio nomine appellabatur) et il subit le martyre chez les Scots, à ce que rapportent les saints d’autrefois. Puis fut envoyé le second Patricius, par un ange de Dieu appelé Victor et par le pape Célestin, grâce à qui toute l’Irlande reçut la foi, et qui baptisa tous ses habitants.

L’alinéa A a évidemment pour but d’attribuer à l’évêque de Rome l’évangélisation de l’Irlande. Célestin siégea du 10 septembre 422 au 27 juillet 432. Théodose II (+450) devint empereur en Orient en 408. L’auteur de ces lignes, voulant attribuer à Célestin la mission de Patrick, la date donc de la première année du pontificat de cet évêque de Rome. On notera la désignation détaillée de « siège apostolique de la cité de Rome », qui n’est pas superflue puisque, ailleurs dans le Livre d’Armagh, le siège de Patrick est aussi qualifié d’apostolique. Toujours est-il que l’auteur connaissait les chroniques romaines et qu’il voulait inclure le Patrick breton dans la sphère pontificale.

L’alinéa B est bien différent. Sa source est Prosper d’Aquitaine, dont il reprend le terme primus au sujet de Palladius envoyé de Célestin, mais il n’a pas contrôlé les dates et contredit implicitement l’alinéa précédent. Ce second auteur est donc quelqu’un qui considère Prosper comme la source la plus sûre, puisqu’il lui adapte ses autres informations.

Vient ensuite l’incise « aussi appelé Patricius ». Certains l’ont considérée comme une invention délibérée destinée à pouvoir imputer à Palladius une part des activités de Patrick. Ce soupçon n’est probablement pas justifié : nous avons vu que Palladius était effectivement patricius « patricien ». Il s’agit donc d’une épithète  donnant l’occasion d’une confusion.

L’information que Palladius fut martyr chez les Scots est appuyée par la référence à une source : les dires des anciens. Ceci peut être moins fantaisistes qu’il semble au premier abord, si le mot martyrium provient du sens qu’il avait aussi en Occident, à savoir sanctuaire possédant des reliques de martyrs. Or dans les « acta Patricii » collectées par Tirechan il est fait mention de « reliques de Pierre et de Paul et d’autres apôtres » données par Patricius à Olcan, évêque. Il est clair que de telles reliques pouvaient venir de Rome, et non pas du Patrick breton.

On revient ensuite à ce dernier, qui devient, puisqu’il n’est plus primus, de par l’autorité de Prosper, « le second Patricius ». On lui conserve le patronage de Célestin, affirmation de l’alinéa précédent, mais l’auteur connaissait la Confession de Patrick, où le saint à la vision d’un homme (uirum) du nom de Uictoricus, qui lui communique l’appel des Iberniens (ch 23). Il connaissait aussi le Livre de l’Ange, qui fait aussi partie du Livre d’Armagh, où la mission de Patrick lui est dictée par un ange. Il en déduisait que l’ange était apparu sous forme d’homme et qu’il n’était autre que l’Ange vainqueur, autrement dit l’archange Saint Michel. On notera que Uictoricus peut être la latinisation du celtique Wiktoriw « roi du combat », qui donne en breton Withir (gallois Gwythyr) alors que le latin Uictorem donne Withur (vannetais Guhur, breton moderne Gwethur). Le breton était la langue maternelle de Patrick et des premiers missionnaires de l’Ibernie.

L’alinéa B est donc une création arbitraire dont il ressortait que Patrick le Breton au lieu d’avoir précédé Palladius en Ibernie (grâce à quoi il y avait des Scoti in Christum credentes) était venu après lui. Puisque Palladius était venu en 431, il ne restait plus qu’à attribuer à Patrick la date de 432, ce qui a été consciencieusement répété jusqu’à aujourd’hui et ne repose sur rien de valable.

Résultats

Quant au résultat de la mission de Palladius, il convient d’en juger non pas en comparaison avec la mission bretonne de Patrick, qui s’installe à demeure à la tête de son troupeau baptisé, mais bien avec celle de Germain l’Auxerrois en Brittanie, comme le fait expressément Prosper. Il s’agissait d’une visite pastorale dans le but de planter l’étendard du pontife romain sur la terre d’Ibernie. Au programme était naturellement d’être reçu par les autorités civiles et religieuses du pays. Dans ses bagages, Palladius devait avoir des reliques  et des livres liturgiques, supposés devoir être appréciés des uns et des autres. Il fut sans doute reçu courtoisement puisqu’il n’y avait pas de motif de conflit préalable. Le roi Loegaire, régnant hors de l’orbite romaine, ne dut guère saisir ce qu’attendait de lui le délégué du pontife romain. Quant au clergé britto-ibernien, ayant son propre épiscopat et connaissant sans doute le canon 6 du Concile de Nicée (S. Athanase d’Alexandrie témoigne en 363, dans sa lettre à l’empereur Jovien qu’il avait reçu d’évêques bretons une lettre l’assurant de leur adhésion aux décisions de Nicée), il dut l’écouter poliment. Ils y attachèrent assez peu d’importance pour que le Livre d’Armagh, au début du 9ème siècle, dans le Livre de l’Ange, affirme toujours avec force l’indépendance du siège apostolique d’Armagh.

Toujours est-il que Palladius fit le voyage de retour vers la Gallie ou vers Rome et annonça « mission accomplie », comme il ressort de la phrase de Prosper citée plus haut.

Quant à son destin ultérieur, on peut noter qu’en 471 décéda un évêque métropolite de Bourges du nom de Palladius auquel succéda Simplicius, apparenté à la gens Palladia (Griffe, GCER2, 225). Il est tout à fait vraisemblable qu’il s’agit du même Palladius.

A Bourges, l’archevêque Palladius fut de ceux qui eurent affaire au brutal roi Wisigoth Euric et eu donc pour allié le Breton Riotam.

* sur les événements de 429, voir notre étude « les missions de Germain l’Auxerrois en Brittanie« .

À propos du rédacteur Alan Joseph Raude

Linguiste, historien et hagiographe, il a notamment publié des ouvrages sur l'origine géographique des Bretons armoricains et sur l'histoire linguistique de la Bretagne.

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