Saints bretons à découvrir

« TRO BREIZ 2015 » : le road-book signé Yves Daniel

Amzer-lenn / Temps de lecture : 62 min

Chaque année, Yves Daniel, dont vous pouvez régulièrement lire les articles sur votre blog préféré, nous propose un compte-rendu de son étape du Tro Breiz. Il a fini son périple l’été dernier et nous invite donc à vivre ses kilomètres via des lignes envolées et pleines de sincérité dont vous vous régalerez. La totalité de son périple sera bientôt disponible dans un livre dont nous vous reparlerons. Avant d’entamer la lecture, cliquez sur le lien Deezer du disque AN HENT (la route) et mettez-vous dans l’ambiance du Tro Breiz. Si après, vous ne vous inscrivez pas pour l’étape 2016…

Tro-Breiz 2015

Vannes – Brangolo du 2 au 4 août et Saint Maurice – Quimper du 5 au 8 août


10467045_10203281881860489_6561745992511736617_o.jpgDimanche 2 août

Jean-Pierre m’avait promis de me prendre à Brangolo à 7 h du matin pour m’emmener, avec la bannière de notre paroisse Saint Pierre d’Inzinzac, à la messe d’envoi à Saint Patern à Vannes prévue pour 8 h ; pour ne pas le faire attendre, je descends avec mon barda à 6 h 45. Il est déjà là.

Je le presse de prendre la route alors qu’il avait donné rendez-vous à Francis qu’il n’arrive pas à joindre au téléphone ; Francis devait être à l’heure qu’ils avaient convenus, mais nous étions déjà loin : j’avais hâte d’être à pied d’œuvre. Pensez, après demain midi, je serai de retour à Brangolo, mon périple achevé et pressé d’y arriver, sachant que les derniers moments sont, à la fois les meilleurs et les plus aléatoires….

La route vers Vannes est dégagée, on n’en dirait pas autant de l’autre voie, celle qui se dirige vers Quimper, l’océan atlantique et les vacances qui commencent ; c’est comme le temps : encombré et couvert, nuages et fraicheur, mais sec !

Arrivé à Vannes, en premier lieu, trouver le camion préposé aux bagages : il est garé à proximité de la préfecture, face aux remparts ; j’y dépose mon sac et mon duvet tandis que Jean Pierre monte la bannière sur sa hampe et nous voilà parti, de conserve, vers l’esplanade de l’église Saint Patern où se prennent les inscriptions. On me remet une enveloppe à mon nom comprenant la carte d’adhérent, le livret du pèlerin, les tickets de restau et …. un bracelet jaune fluo en plastique du type de ceux prévus pour l’identification des nouveau-nés dans les maternités. C’est une innovation qui permet de différencier, par la couleur, les « collectifs » des « campeurs » et, pour ceux qui y inscrivent leur nom, ainsi qu’ils y sont invités, de ne pas l’oublier… Il se porte au poignet, je le passe dans ma ceinture.

La messe « proprio motu » prévue à 8 heures ne commencera finalement qu’à la demi, laissant le temps à chacun de saluer les uns et les autres ; notre bannière est la seule de son genre ce qui permet à ses porteurs de prendre fièrement place à proximité du chœur.

 

Vannes.jpg

L’édifice d’un style résolument classique, récemment restauré, est d’une joyeuse clarté, l’attention se porte vers le maitre-autel et le grand retable de la résurrection encadré de part et d’autre d’une suite de stalles du meilleur effet.

Mais bientôt, la procession d’entrée que clôt Monseigneur Centène, évêque de Vannes, met fin à ma contemplation. C’est une messe « comme dans le temps », à « trois chevaux » : l’évêque officie face à l’autel accompagné d’un diacre et d’un sous diacre revêtus de leurs dalmatiques, l’encensoir est manié avec dextérité par le thuriféraire et les chants grégoriens sont en latin, sauf le kyrie eleison qui est en grec ; bref, du grand art.

J’apprendrai plus tard, au fil des rencontres sur le chemin, que cet office « ancien style » n’a pas été goûté de tout le monde, dam’, pour ma part, il m’a réjoui le cœur et mis en jambe, c’est ainsi.

Au cours de la cérémonie, sans qu’il y paraisse, Etienne, le fidèle animateur, passe la main, mais, à la fin, la fulgurance coutumière du « Bro-Goz » s’en ressentira ; auparavant, c’est Joëlle qui passe les consignes, comme elle le fera tout au long de la semaine dans un style réjouissant qui lui est tout à fait personnel et que nous apprécions tant.

Et voilà, la troupe est lâchée dans les rues de Vannes, mais, sagement, derrière les ouvreurs en chasuble jaune que Joëlle appelle « pioupious ». On passe la porte de la prison, remonte la rue des Chanoines, le long de la cathédrale Saint Pierre, laissons sur notre droite la prison, place Nazareth, puis direction plein nord. On passe sous la voie de chemin de fer au droit du Lycée Notre Dame de Menimur puis au-dessus de la rocade, au niveau du parc de Kerizac, direction Plescop.

Le passage sous la voie de chemin de fer constitue le premier goulot d’étranglement qui me permet de remonter toute la file des marcheurs qui m’avaient allègrement dépassés jusque-là, de saluer les uns et les autres que je n’avais pas eu encore le loisir de voir jusqu’alors. C’est comme si l’on s’était quitté la veille. On fait connaissance de nouvelles têtes ; et puis on continue de chercher des visages qu’on ne verra pas cette année, ni peut être les années suivantes, c’est la vie ! Il est vrai que l’on reste toujours orphelin des amis qui nous manquent, leur absence n’est pas équitablement compensée par la présence de ceux qui sont là, reste une béance que la mémoire tentera indéfiniment de combler.

Par ailleurs, sans doute est-on trop négligent à l’égard des amis présents dont la fidélité reste un gage de bonheur, trop souvent maladroitement honoré.

Vannes est une grande ville et il nous faut plus d’une heure et demie de marche, soit près de cinq kilomètres pour retrouver la verte campagne bretonne sous un ciel qui commence à se dégager et prendre ses teintes estivales.

Les faubourgs de Plescop sont rapidement traversés et nous voilà bientôt sur le placître de la chapelle de Lezurgan où nous prenons notre premier repas après avoir admiré sa magnifique charpente en forme de carène renversée.

Je retrouve mes commensaux habituels grâce aux pavillons léonard du cipal, trégorrois du général Yvon auxquels s’ajoute, cette année, le briochin de Fred, le metalleux ; ils ont déjà presque fini leur repas lorsque je commence le mien de sorte que je profite largement de leurs restes d’autant que, si j’avais bien pensé aux boites de sardines, j’avais oublié le quignon de pain.

Autre nouveauté : Robert est accompagné de son fils, Julien, reporter radio, comme Tintin, et les deux font la paire ! Ils nous certifient pourtant n’avoir pas répété : tout est naturel et spontané chez eux. Je vais chercher le café pour tout le monde.

Il faut repartir bientôt, le temps s’est bien dégagé et, si le soleil est chaud, le fond de l’air reste frais ce qui impose une gestion fine de l’équipement pour conserver un confort optimal : la petite laine à l’ombre des sous-bois, en chemise à manches courtes dans la plaine ensoleillée.

Au Moulin l’Evêque nous traversons le Sal, qui n’est pas encore la rivière du Bono, avant de remonter sur Coët Sal où Jean et Jeanne sont là et prodiguent sans compter, avec force bouteilles d’eau minérale, leurs meilleurs soins aux pauvres pèlerins assoiffés. Merci et longue vie à tous les deux.

Nous traversons Meriadec et arrivons enfin en vue de Sainte Anne d’Auray par la route de Vannes.

Ouf ! 25 Km pour le premier jour, ils ont fait fort pour une première mise en jambes !

Le logement est installé dans les locaux du collège Sainte Anne qui a succédé au petit séminaire ; je me dirige en premier lieu vers la basilique où est exposé à notre ferveur, le Saint Sacrement, comme il le sera tout au long de la semaine dans l’église de l’étape ; il y fait frais et reposant, excellent lieu pour souffler et reprendre des forces tout en rendant grâce !

En sortant, le jeune vicaire d’Arradon, sosie, en plus enveloppé, du recteur de Saint Yves des Bretons à Rome, avec lequel je l’ai confondu, me jette presque carrément entre les bras d’un Père de la communauté Saint Jean en m’invitant à me confesser à lui. Eh, j’ai obtempéré ! ….

Après avoir récupéré auprès des deux camions, le bon, autant que possible, le bagage, il convient alors de trouver le lieu du bivouac : le temps parait devoir supporter une première nuit à la belle étoile. Connaissant les lieux pour les avoir précédemment fréquentés, je cherche avant tout à vérifier si le local habituellement affecté aux pèlerins est disponible. Il est fermé ainsi que toutes les portes donnant accès aux salles de réunion, susceptibles de constituer un abri convenable, si besoin était. J’avise un solide banc de bois, face à la basilique, y installe mon campement et20150805_144210.jpg me dirige vers la salle de restauration que je sais se situer rue du Parc, sur la route de Pluneret.

Impossible, sur place, de retrouver mon bon de soupe ! Plutôt que de retourner sur mes pas, et pour éviter d’embarrasser Arlette, préposée au contrôle des entrées, je passe carrément par les cuisines pour accéder au self.

Excellent repas pour clore agréablement cette première journée. Mon choix de boisson se portera sur une bouteille de 33 cl de Syrah qui se révèlera excellent.

Le dîner se déroule en compagnie d’une nouvelle, dont l’avis sur la journée s’avère des plus mitigés : ça ne se passe pas ainsi qu’elle l’avait imaginé, je la rassure, ainsi que sa compagne : demain ça ira mieux !

Les chemins du Tro-Breiz ne sont pas ceux du GR 34 qui longe la côte atlantique : pour aller de Vannes à Quimper, il faut traverser un certain nombre de rivières dont l’estuaire disproportionné n’en permet le franchissement que bien loin de la côte, en amont : à Hennebont pour le Blavet, Pont-Scorff sur le Scorff, Quimperlé, confluent de l’Elorn et de l’Ellé qui donne naissance à la Laïta, Pont-Aven sur l’Aven, Riec sur le Bélon et Quimper sur l’Odet et son affluent : le Steir, bien sûr. Ces rivières parcourent d’anciennes vallées glacières que la mer, au cours du réchauffement climatique toujours en cours, est venu noyer dans leur partie maritime formant ces rias, fjords ou abers, selon le pays où l’on se trouve, dont la largeur démesurée constitue un obstacle à leur franchissement.

Je suis hélé par la famille Monbroussous attablée, en bonne compagnie, à la terrasse d’un café ; ils m’offrent spontanément de partager leurs agapes, j’en profite pour les initier à la boisson sans laquelle un tro breiz ne serait pas un véritable tro breiz : le Picon-bière. J’ai eu beaucoup de succès et les nouveaux convertis se révéleront, par la suite, de parfaits prosélytes.

De retour sur mon banc, je prends mes affaires de toilette pour une bonne douche bien chaude dans les toutes récentes et modernes installations sportives de l’établissement scolaire qui nous héberge. Mais voici, qu’avec la nuit qui vient, les nuages s’accumoncellent dans le ciel, durablement, semble-t-il, et le vent se lève, laissant craindre pour la suite de la nuit : mon campement n’est pas tout à fait adapté.

L’idée me vient de passer ma nuit dans le cloître des Carmes, derrière le chœur de la basilique et sa sacristie ; je prends donc mon barda et me dirige vers l’entrée nord de la sacristie ; le passage est fermé d’une lourde grille qu’un terrible cadenas vient irrémédiablement sceller. Qu’à cela ne tienne, allons voir de l’autre côté : je fais le tour de la basilique, mais, qu’est-ce que je crois, le passage est barré de la même manière. Imparable.

Alors J’installe mon campement sous les boites à lettres, à proximité de la librairie, là où l’on gare les vélos à l’abri, je passerai ainsi ma nuit, à l’ombre tutélaire de la grande et belle basilique Sainte Anne dont le carillon reste heureusement muet à partir de 22 heures jusqu’à l’angélus de 7 h.

Mais à cette heure-là, je serai déjà à la salle polyvalente de Camborn pour le petit déjeuner du matin, avant la messe d’envoi.

Il n’a pas plu et j’étais bien à l’abri du vent d’ouest qui a soufflé toute la nuit ; malgré tout, je vous avoue n’avoir pas très bien dormi, et, vers 5 heures, le coursier m’a réveillé – comme quoi j’ai tout de même dormi un peu – à l’occasion de sa tournée qui passait par les boites aux lettres au-dessus de mon cantonnement.

Lundi 3 août

Languidic.jpgJ’ai remis à Arlette, avec le ticket du petit déjeuner, celui du dîner de la veille que j’avais fini par retrouver dans la poche où je l’avais glissé. Arlette n’hésite pas à nous faire chanter pour nous réveiller : « un pèlerin à gauche, un pèlerin à droite » et c’est ainsi que nous nous saluons et retrouvons, grâce à elle, un sourire qui ne nous quittera plus de la journée !

C’est l’abbé Julien Naturel qui préside la messe ce matin, l’évangile est celui de la multiplication des pains (Mt 14, 13-21) dont la péricope commence ainsi (verset 13b) : « les foules partirent à sa suite, venant à pied des villes. » Mais en effet, pourquoi donc marchons nous, nous tous qui écoutons le commentaire de Julien ? A la suite de qui ? Faute d’autre moyen de locomotion à leur disposition, les foules d’alors ne pouvaient guère se déplacer qu’à pied, ce qui n’est plus notre cas ! …

L’explication de Julien ne manque pas d’intérêt : « les pèlerins ont faim et c’est pour cela qu’ils marchent » ; ils s’arrêteront quand ils seront rassasiés !  Et ce n’est ni le copieux petit déjeuner que je viens de prendre, ni le frugal en-cas de midi, ni même le pantagruélique dîner, ce soir, qui me rassasieront, sauf la nuit, et encore, dans ma tête, je continuerai à marcher.

Ce sont l’adoration d’une part et la prière de l’autre qui peuvent combler la faim du pèlerin.

A cet égard, je me rappelle ce qu’en disait mon ancien confrère du barreau de Naples : Alphonse de Liguori (1696-1787) « qui prie se sauve, qui ne prie pas se damne », à l’entendre, le comble du désespoir des damnés, ce qui constituera leur enfer, c’est, selon lui, d’avoir eu « tant de facilité pour se sauver en appelant Dieu au secours, et maintenant le temps est passé… »

Ah, si j’avais su ! C’est ce qu’exprime si fort le personnage que Rogier Van der Weyden (1400-1464) a peint, sur les panneaux de droite de son polyptique du jugement dernier aux hospices de Beaune, se prenant la tête d’une main et se mordant les doigts de l’autre….

Maintenant, on sait, et, s’il n’est jamais trop tard, dépêchons nous quand même !

Alors, yallah ! Comme le dit sœur Emmanuelle (1908-2008) en arabe, invoquant le saint nom de Dieu, « en avant les jeunes ! » – titre de son livre (Poche 1999) – en route pour Languidic, du doyenné d’Hennebont, ça commence à sentir drôlement l’écurie, demain, pour l’heure du déjeuner je serai arrivé, de retour, quoi !

Une des caractéristiques du Tro-Breiz c’est que, le tour achevé, on est revenu au point de départ, on a fait le tour du propriétaire, avant de rentrer au coin du feu boire une tasse de thé ou prendre un verre de whisky, c’est selon.

En attendant, ce sont 31 Km, « tro-breiziens », nous a précisé Joëlle, de sorte que l’on sait à quoi s’en tenir, à parcourir avant d’arriver ce soir (le GPS du Cipal comptabilisera près de 33 km), à telle enseigne, et c’est une nouveauté, qu’un service de car est prévu pour les éclopés, les tire au flanc, bref, les sages qui craignent de présumer de leur forces – je n’en fais pas partie -, pour les amener au Km 7,5, la chapelle Saint Clément, point eau de la matinée !

A l’occasion de la traversée du Loch, à la lisière de Brech, j’évoque, à l’intention de mes voisins, successivement : la bataille d’Auray du 23 septembre 1364 qui verra la victoire de Jean de Montfort, le fils de jeanne la Flamme, l’héroïne d’Hennebont lors du siège de 1342, sur Charles de Blois, époux de Jeanne de Penthièvre, nièce du précédent duc, Jean III (1286-1341), décédé sans héritier réservataire, et celle du 21 juin 1815, entre les impériaux du général Bigarré et les chouans de Sol de Grisolles, qui y seront défaits ; sans grandes conséquences d’ailleurs : l’empereur lui-même l’avait déjà été, trois jours auparavant, le 18, à Waterloo…

A l’entrée de Brech, La chapelle Saint Jacques est en complète restauration ; en remontant de la rivière, nous longeons la fontaine cachée de la route départementale N° 19 où circulent, à vive allure, les véhicules des touristes. J’invite mes compagnons de route à entrer dans l’église paroissiale dont l’extérieur banal masque l’intérêt que présentent les magnifiques chapiteaux romans de réemploi que je sais qu’elle y recèle, pour les avoirs déjà admirés lors de mon pèlerinage à Sainte Anne en 2013 ; je reconnais d’ailleurs le débit de boisson où je m’étais restauré, mais je n’ai pas le temps de m’y arrêter de nouveau : la caravane passe et n’attends pas !…

On arrive bientôt, par la route du Pré au Chanvre, à la petite chapelle Saint Clément où nous rejoignent nos camarades en bus. Je profite de l’eau qui nous est prodiguée à profusion et du banc en bois que la préposée à la distribution met aussi généreusement à la disposition des pèlerins à proximité de sa camionnette. Tiens la petite Béa de Marseille et son sourire enjôleur, elle me salue gentiment comme si nous nous étions quitté de la veille ; elle est venue, cette année, accompagnée de son papa avec qui j’avais bavardé la veille avec plaisir.

Et nous revoilà courageusement parti de conserve, mais je libère rapidement ma jeune et jolie compagne : elle marche beaucoup plus vite que moi et s’empresse de rejoindre les camarades de son âge.

Au mitan d’une côte, j’arrive, avec peine, à doubler un marcheur courbé sous le poids harassant de son gigantesque sac à dos. J’engage la conversation après l’avoir dépassé : c’est un confrère, encore en activité, du barreau de Rennes, un travailliste, crois-je comprendre. Nous échangeons avec plaisir : les fils de saint Yves ne sont pas si nombreux sur les chemins du Tro-breiz et je me rends compte, en l’écoutant, à quel point mes cinq années d’inactivité m’ont déconnecté de la vie judicaire et juridique, à vrai dire, je m’en doutais un peu…

Pourtant, de temps en temps, mais de plus en plus rarement, il faut bien le reconnaître, je suis, au fil des conversations, rattrapé par mon passé professionnel, hélé par un camarade qui me donne du «maître», long comme le bras. « Ah, vous qui êtes avocat …. » Je ne manque pas d’écouter avec attention les confidences qu’une telle interpellation ne manque pas de me valoir. Avec beaucoup de précaution, je donne un avis, empreint de sagesse plus que de science jurisprudentielle. Souventes fois, ce n’est pas ce qu’attendait mon interlocuteur ébranlé par une réponse qui ne manque pas de le surprendre, voire de l’étonner… Mais c’est comme ça, mon avis ne vaut que pour ce qu’il est ! Il n’y avait qu’à ne pas le solliciter !

Je sais que mes propos finiront par faire leur petit effet, sans savoir exactement lequel, ne serait-ce qu’en permettant à l’intéressé(e) de relativiser son vécu devenu plus supportable. Ce faisant je ne fais que répondre à l’invitation du pape François « Et n’oublions pas les œuvres de miséricorde spirituelles : conseiller ceux qui sont dans le doute, enseigner les ignorants, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses… » (Bulle d’indiction du jubilé extraordinaire de la miséricorde du Pape François, Misericordiae vultus, le visage de la miséricorde, du 11 avril 2015, n° 15).

Mes amis médecins du jeudi considèrent, avec raison, que l’humanité souffrante se compose, en quasi-totalité, d’insomniaques et de constipés, les deux plus grands fléaux susceptibles d’affecter le genre humain.

Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : au cours du Tro-Breiz, l’orchidoclastie, comme ils disent, quand elle se présente, ce qui peut arriver, se traite de façon très simple et sans douleur : il suffit d’invoquer la nécessité d’un arrêt technique imparable et l’importun de continuer son chemin. Ceci étant, on est toujours l’orchidoclaste de quelqu’un et mes propos peuvent ennuyer sans que je m’en aperçoive de prime abord ; c’est alors mon interlocuteur qui va prétexter un impérieux besoin naturel pour, sans me vexer, mettre un terme à un bavardage intempestif de ma part.

En général, je m’efforce de prévenir ce risque, surtout quand il s’agit d’un jeune public, féminin de surcroit, je l’invite à reprendre son rythme de croisière, un moment ralenti pour rester à mon niveau, en général, elle ne se fait pas prier et je retourne à ma solitude.

Un pas, suivi d’un autre, on ne calcule plus en kilomètres mais en heure de marche : le temps remplace l’espace, or, comme chacun le sait maintenant, « le temps est supérieur à l’espace » (Pape François, encyclique Evangelii gaudium, 24 novembre 2013, N° 222 et ss). « Donner la priorité au temps, c’est s’occuper d’initier des processus plutôt que de posséder des espaces ».

Tout ceci fait que nous voilà arrivé sur le terrain de sport de Landaul où nous prenons notre repas et un peu de repos mérité en regardant les danseuses d’une ronde endiablée ; elles sont presque toutes habillées d’un short court. Leur pas est parfaitement rythmé et on voit que l’on a à faire à des membres aguerries d’un kevren bien placé au concours des bagadou. Bon d’accord, l’œil masculin s’exerce aussi, peut-être surtout, sur la ligne galbée des cuisses dénudées et la rondeur des mollets des danseuses ; l’ayant appris par la suite, bon nombre d’entre elles se sont jurées de ne plus danser qu’en robe de velours noir descendant jusqu’aux chevilles, comme leurs mères et grand-mères, ce qui, incontestablement, à une autre allure que leur tenue de marche d’aujourd’hui !

La chapelle Sainte Anne de Locmaria er Hoët est resplendissante depuis qu’elle a été restaurée, notamment les ocres et bruns de sa charpente peinte qui la font ressembler aux églises en bois du Télémark norvégien. Au pied du calvaire, Gérard, qui a du manger son âne, absent cette année, nous sert, pour notre régal, un conte dont il est le seul à avoir le secret, où sont chantés les mérites des bâtisseurs de chapelles ; il est chaudement applaudi.

A l’arrivée à Landevant, je crois faire le malin, pour épater mes compagnes de marche, de leur faire admirer le double lavoir d’un côté et de l’autre de la grand route, que nous traversons, quittant la ligne des marcheurs, au grand dam du responsable de la sécurité. A coup de sifflet, il nous enjoint, à raison, de reprendre notre place dans la file, quitte à retraverser de nouveau, avec tout le monde et sous son contrôle, le rond-point de la route de Vannes ; arrivé à sa hauteur je me suis platement excusé de ma malheureuse initiative.

On traverse tout le bourg de Landévant par l’ancienne route d’Hennebont. Arrêt à la chapelle Sainte Brigitte qui la borde et qui, cette fois, est ouverte, ce qui permet de bien voir le vitrail représentant la sainte patronne des lieux, également honorée à proximité, à la pointe du Verdon sur la commune de Locoal-Mendon où elle a, semble-t-il, oubliée sa quenouille (menhir sculpté et christianisé dénommé : « quegil Brehet »), celle que filait, selon la légende, la nourrice du petit Jésus.

Le vitrail représente une mère abbesse qui peut être tout autant l’irlandaise Brigitte de Kildare (451-525) que la veuve du roi de Suède (1302-1373), récemment proclamée co-patronne de l’Europe, celle qui a tant œuvré pour le retour à Rome des papes d’Avignon. La question reste donc en suspens : qui est la Brigitte honorée à Landévant ? …

Continuant sur l’ancienne route nationale, je passe devant ce qui fut mon campement sur le chemin de sainte Anne, en 2013, mais ma nostalgie n’a ému que moi, avant de prendre à droite, aux Quatre Vents, la route de Kergurunne, la vallée du ruisseau de Leschamps que nous traversons avant de monter jusqu’à la chapelle Saint Jacques, sur la route de Compostelle auquel nous tournons le dos, au milieu du joli village de Kergohan.

La pluie s’est mise de la partie, mais avec retenue, le parapluie suffit à m’abriter, j’évite la moiteur du poncho

La gageure du pistier, Fanch, est d’éviter au maximum les routes goudronnées, du moins d’en limiter les emprunts souvent inévitables. A cet égard, il convient d’observer que, lorsqu’il est amené à longer une route, c’est sur le macadam que le marcheur préférera marcher plutôt que d’emprunter le bas-côté herbeux, ainsi qu’il y est d’ailleurs, fortement invité par les membres du service de sécurité, « pioupiesques » comme pourrait les qualifier Joëlle, mais sans pour autant être « ithyphalliques », pour paraphraser le poème d’Arthur Rimbaud (1854-1891) « le cœur volé » de 1871 .

On finira par arriver à Languidic par un joli chemin tout neuf, terminé, semble-t-il, exprès pour nous, qui longe laND des fleurs Languidic.jpg route de Pluvigner, traverse le Rion, petite rivière qui borde le bourg abordé par le quartier de Fontemberg, mais il faut aller jusqu’au centre-ville où, sous les frondaisons et la pluie, est offert une collation par la municipalité ; évidemment, j’arrive trop tard pour en profiter.

La jolie chapelle dédiée à Notre Dame « des fleurs », non pas le bouquet botanique, mais le fruit potentiel, magnifique appellation de la Sainte Vierge, mère de Dieu que le mot breton « bleu » sait distinguer de « boked », est ouverte, j’y pénètre pour la première fois : elle est très belle. Commencée au XIV° siècle, les dernières transformations remontent à à peine plus d’un siècle. L’image de la sainte vierge, « intron Varia er Bleu » la représente revêtue d’une cape en soie immaculée, comme si souvent vu en Bretagne nord.

Je suis fatigué de mes kilomètres et inquiet de ne pas retrouver mon bâton que, pris de commisération, j’avais laissé à mon confrère en peine pour le soulager dans sa marche… je me décide à poursuivre jusqu’au parc des sports installer mon campement et prendre ma douche.

La douche est excellente, chaude et bien drue ; le temps reste incertain de sorte que je laisse mon barda à l’abri, à l’intérieur de la salle des sports où est installé le « collectif ». J’avais récupéré mon bâton avec les remerciements confraternels de Laurent, tout autant fatigué que moi de notre journée de marche et me voilà, à la recherche d’un gîte pour la nuit. A l’arrière de la salle de sport, une sorte de renfoncement me parait constituer un abri convenable tant du vent d’ouest que de la pluie, mais, en réalité, le temps ne cessera de se dégager tout au long de la nuit laissant la place à une lune encore presque pleine dont la lumière éteindra celle des étoiles sans me gêner puisque à l’ombre du bâtiment.

Le repas servi salle des fêtes a été suivi d’une magnifique prestation des cercles celtiques locaux « Rahed Koët er Blanoeh » et « Kerlen er Bleu ». C’est vrai que les tenues modernes sont plus confortables, mais que les filles sont belles en costume traditionnel ! J’ai pris le risque, calculé, de me joindre à elles pour un hanter dro enlevé, avant d’aller rejoindre ma couche pour une bonne nuit, sans adoration à l’église ni Picon bière au bistro, trop loin !

20150805_142351.jpgMardi 4 août

Je précise à Max, fort comme un turc bien que de nationalité roumaine, c’est lui qui préside au chargement et déchargement des bagages dans les camions, que le mien, le sac rouge avec le duvet qui y est attaché, restera ce soir à bord, qu’il ne faut pas le sortir (surtout s’il pleut, ce qui peut arriver sous nos latitudes, même à cette époque de l’année) que je n’en aurais pas l’utilisation ce soir… Il opine.

L’église Saint Pierre de Languidic est noire de monde, la messe de saint Jean Marie Vianney, le patron des curés, est présidée par le recteur de Saint Yves des Bretons, lui-même, venu en personne de Rome, Guillaume Le Floch est un trobreizien fidèle, ses propos sur la confession sont engageants et plein d’assurance. Il a notamment à ses côtés le remplaçant du Père Raphaël Kedji, mon ancien recteur à Inzinzac, togolais, comme lui. Les prêtres africains viennent assurer auprès de nos paroisses une présence que nous ne sommes plus en mesure d’assumer par nos propres enfants ; juste retour des choses : ils rendent aujourd’hui aux chrétiens bretons ce que les missionnaires bretons ont apportés hier à leurs pères.

Allez, en route, pour la chapelle Saint Urlo, les rives du Blavet et Brangolo, terme de mon périple. Le tout est de traverser la voie rapide Lorient-Rennes qui longe Languidic, ce qui se fait finalement sans difficultés notoires, en passant derrière le cimetière ; Fanch a, encore une fois, bien fait les choses.

Il fait beau, le temps est au frais ce qui complique la gestion de l’équipement : chandail à l’ombre, chemise au soleil. Dans la zone artisanale, devant la « maison de l’andouille », un admirateur me propose de me prendre en photo, ce que j’accepte spontanément.

Après la chapelle Saint Urlo où se déroulent les fêtes du doyenné d’Hennebont, nous descendons sur le Blavet queChapelle St Urlo.jpg nous atteignons subrepticement par un chemin boisé qui débouche d’un coup sur le halage. Nous sommes rive gauche du Blavet que nous descendons agréablement, au frais, tandis que le soleil matinal éclaire, sur la rive droite, la cime des arbres.

Bientôt nous arrivons à l’écluse de Kerousse avec sa petite usine de production électrique d’où sortait, au début du siècle dernier, le carbure de calcium à partir duquel, par hydrolyse, était produit le gaz d’acétylène, très utilisé alors pour l’éclairage, puis celle du Quelennec, dont la maison éclusière est maintenant occupée par Solène, guide de pêche à la mouche et habile fabricante de leurre et autres bijoux à base de plumes d’oiseaux.

Le temps d’un grand verre d’eau assis sur le banc de la distributrice et nous voilà repartis. En face, sur l’autre rive apparait bientôt le château de Locqueltas, construit par l’un des ingénieurs des forges de Lochrist, actuelle propriété des grands parents de Solène, il est momentanément inhabité, et mes pensées vont vers mon camarade IHEDN Jean Marie et son épouse.

Nous traversons le Blavet à Locastel, c’est le plus ancien passage, facilité par l’ilot qui partage la rivière en deux bras ; c’est aujourd’hui le paradis des kayakistes, mais il arrive, surtout l’hiver à la mauvaise saison, que ce soit l’enfer des riverains, quand le fleuve déborde et sort de son lit.

C’est dans ce village de Lochrist que nous traversons, poursuivant notre route vers l’ouest, que fut créé au milieu du XIX° siècle ce qu’on a couramment appelé les « Forges d’Hennebont » d’où sortait le fer blanc dont on fait les boites destinées aux conserveries de poisson qui parsemait alors le littoral de la Bretagne. Leur fermeture en 1968 a été un drame humain encore à peine cicatrisé ; il en reste que le nom de Lochrist est depuis accolé à celui d’Inzinzac, le bourg d’origine où est situé la mairie ; c’est depuis 2003 ma commune et je n’aurai jamais résidé aussi longtemps dans le même endroit.

D’ailleurs nous y voilà bientôt, on remonte le joli vallon de Kerprat, longeons le grand stade de Mané Braz, terrain de prédilection de l’équipe de foot de la Montagne qui évolue en division d’honneur, s’il vous plait, traversons la rue Ambroise Croizat (1901-1951) cégétiste, ancien ministre du travail communiste du général de Gaulle, pour, à travers bois, redescendre sur Brangolo, ma destination.

Brangolo, « colline de lumière », Clermont, en bon français est un très vieil endroit situé au-dessus de Polvern, sur le Blavet, là où finissent de se faire sentir les effets de la marée. Les bateaux de charge venant de la mer remontaient la rivière et venaient s’échouer là pour charger le minerai d’étain et le « garum », ce jus de poisson bleu (sardine, anchois, maquereau) apparenté au « nhoc-man » qu’affectionnaient particulièrement les soldats romains du « limes » germanique et y décharger les amphores d’huile et autres produits manufacturés en provenance des pays méditerranéens qu’il fallait entreposer.

La vallée ne présentant pas d’abri suffisamment sûr contre les pillards, les marchandises étaient transportées en des lieux élevés comme Brangolo, facilement défendables contre les assauts de personnes mal intentionnées. Cette pratique antique se perpétuera près d’un millénaire, jusqu’aux « moines rouges », les chevaliers de Saint Jean de Jérusalem, dont le village du Temple, tout proche, rappelle la présence.

Le chemin a été soigneusement nettoyé au droit de l’aire d’accueil des gens du voyage, l’honneur est sauf et j’en sais gré aux responsables communaux et communautaires ; c’est mon neveu, Christophe, et sa fille, Inès, qui m’accueillent au seuil de l’allée des hêtres déjà toute emplie de randonneurs en cours de restauration.

Bien sûr, je pousse jusqu’à la maison saluer mon épouse, Béatrice, qui m’accueille au milieu des fromages de chèvres de notre fille Marie-Laure de la ferme du Pont d’Angle qu’elle offre à la vente aux amateurs avertis.

C’est sa grand-mère paternelle, née Guillet de la Brosse, et grand-mère maternelle de Christophe de la Bouvrie (et de 52 autres petits enfants), qui a hérité, en 1923, de Marie Berthe de Chaigneau (1848-1923), décédée célibataire, sans postérité ; elle tenait Brangolo de sa mère, née Le Milloc’h, ancienne famille de notaires royaux et d’alloués près la sénéchaussée d’Hennebont. La « tante Berthe » était la nièce de Louis-Eugène Chaigneau (1778-1846), consul de France à Singapour qui, dans les années 1825, participera aux recherches du capitaine Peter Dillon (1788-1847) à Vanuatu (iles Salomon) où seront retrouvées les premières traces du naufrage de l’expédition La Pérouse (1741-1788). Il faut lire son récit passionnant dans la collection « récits introuvables » des éditions Pôles d’Images paru en 2005. Elle est également la petite nièce de Jean-Baptiste Chaigneau (1769-1832) grand mandarin de Cochinchine dont la vie incroyable, écrite par André Salles en 1923, a été rééditée en 2006 par les éditions « les Portes du Large » ; un quartier de Lorient où il est né et inhumé, au cimetière du Carnel avec son ami Philippe Vannier (1762-1842), porte son nom. Il était l’un des 13 enfants d’Alexandre-Georges Chaigneau (1723-1786) chevalier de Saint Louis, capitaine de la Compagnie des Indes, commandant en 1760 et 1761 de la flute « Massiac », 900 tonneaux, 24 canons, dont les maquettes au 1/24° et, en demi coque éclatée, au 1/48°, ornent le musée de la citadelle de Port-Louis. Son épouse, née Bonne Jacquette Perrault, fille du premier maire de Lorient qui a aussi sa rue à Lorient, derrière la sous-préfecture, était la sœur de Céleste-Jeanne, la grand-mère de Céleste Buisson de la Vigne, épouse de François-René de Chateaubriand (1768-1848), le célèbre auteur des « mémoires d’outre-tombe», entre autres.

Benedictus, le banquier normand et le chancelier Séguier apprécient, en amateurs avertis, à leur juste valeur, les lieux qui abritent désormais deux gîtes de France du Morbihan, N° 9024 et 9026, de 7 et 5 personnes, dont le 2° est le seul en Bretagne (et en France, vraisemblablement) à mettre à la disposition de ses hôtes, non pas une piscine ou un court de tennis, mais une chapelle.

Mais, enfin, ça y est je suis rentré, j’ai achevé mon tour, je batifole, me réconforte, retourne vers les amis avec quelques fromages et bouteilles de Reuilly pour Roger, Robert et ceux qui les entourent, elles sont rapidement éclusées !

Je n’ai même pas pu saluer Madame le Maire venue se rendre compte sur place ! …

Le spectacle du passage des pèlerins du Tro-breiz à Brangolo en valait la peine : assis sur ma chaise, dans la cour, je les ai regardé partir ; vous avez poursuivi votre route, je suis resté.

J’ai bien dormi, j’ai bien mangé et goûté comme elles le méritent les attentions de mon épouse. Quand même, rien ne vaut la douceur du foyer et le moelleux du lit conjugal, on a beau dire …

Longtemps les fougères, au pied des talus de pierre, auront gardé la mémoire de vos postérieurs… pourtant, Je dois, autant à la vérité qu’à l’intention des propriétaires qui hésiteraient à accueillir les marcheurs du Tro-Breiz à l’occasion de leur pérégrination annuelle, avouer que les lieux ont été laissés dans un état de propreté exemplaire, à peine une petite poignée de kleenex et de déchirures de ces petits sachets de sel en papier fournis par l’intendance…. Et puis, on a reçu, dans des délais plus que raisonnables, signée de la main même de la Présidente, Marie-Alix de Penguily, une charmante « lettre de château » désormais précieusement conservée dans les archives familiales.

Mercredi 5 août

Après une bonne nuit, je suis parti, dès potron-minet, faire mes livraisons.

Eh oui, c’est une de mes nouvelles et nombreuses activités de retraité : producteur de vin de Reuilly et, l’été, pendant les vacances universitaires de la fac de théologie, livreur des fromages de chèvre de la ferme du Pont d’Angle, commune de Lanvaudan, près de Sebrevet, tenue par ma fille Marie-Laure.

Pour moi, pas de messe d’envoi, ce matin, ni de consigne pour la journée.

Mais au sortir du parking de la grande surface de Pont Scorff, voilà t-y pas que je tombe sur une longue théorie20150805_143806.jpg multicolore de marcheurs de tous âges et de tous genres. J’ai aussitôt garé mon véhicule pour profiter du spectacle : « – où allez-vous, comme ça ? Combien êtes-vous ? » Reprenant ainsi à mon compte les questions habituelles des passants ébahis sur le passage du Tro-Breiz. «- Lâcheur ! » m’interpellent quelques-uns, «- j’ai un métier, moi, Monsieur, je ne suis pas en vacances, je suis en livraison ! »  Rétorque-je d’une voix forte. Et tout d’un coup, plus personne, les serres files en gilet jaune sont passés, il ne me reste plus qu’à m’en aller aussi, avec les membres du service de sécurité auxquels je serre la main et qui s’en vont, à leur tour, un peu plus loin, assurer leur service salvateur ; je prends la route de Guidel.

Sur ma route vers la grande surface de Guidel, la Chapelle de Kergornet, reconstruite par les américains à l’issue de la libération de la poche de Lorient est ouverte, je n’y suis jamais entré, je m’y arrête et suis rejoint bientôt par le Père Dominique et notre doyen, Robic, 90 ans quand même. Ils marchent tous les deux de conserve, en automobile, ce qui est tout de même plus confortable, pour l’un comme pour l’autre.

J’admire les belles peintures et les souvenirs émouvant rassemblés là par l’artiste local Gérard Bissonet grâce auquel sa chapelle continue de vivre. Les nourrices reviendront-elles à la prochaine pentecôte redonner à la Vierge allaitante de Kergornet son lustre d’antan ?

 Je continue mes livraisons sur Guidel  et Ploemeur avant de revenir déjeuner à Brangolo.

Après un bon repas, Béatrice et Edwin, notre petit-fils, m’emmènent en voiture jusqu’à l’Abbaye Saint Maurice, sur les bords de la Laïta où avait lieu le déjeuner des pèlerins du Tro-Breiz auxquels j’avais prévu de me joindre de nouveau, jusqu’à Quimper.

Il aurait fait beau voir que je prenne ma voiture, samedi, pour aller chercher mon diplôme à la cathédrale, les quolibets n’auraient pas manqués et ils auraient été justifiés.

J’ai troqué mon bâton d’origine pour celui que m’a confectionné et aimablement offert Edgar, mon jeune ami du marché du dimanche matin aux halles de la basse ville de Quimperlé. Il est fait d’un bambou recouvert d’une peau de couleuvre (natrix ?) et a fière allure.

J’enfile mes chaussures et emboite le pas des marcheurs déjà partis, contournant le site rénové par les soins de son nouveau propriétaire : le Conservatoire du Littoral, établissement public administratif créé en 1975, propriétaire non seulement de l’ancienne abbaye fondée par Maurice Duault (1115-1196), de Croixanvec, près de Loudéac, ancien abbé de Langonnet, mais aussi de 120 ha de forêt que nous traversons à l’ombre des hêtres tutélaires en empruntant la ligne des Prés Roccard, car la chaleur se fait lourde en ce bel après-midi d’été.

A Kergroaz, sur la route de Quimperlé à Clohars-Carnoët, quelques privilégiés embarquent dans les cars qui les amèneront directement à destination : l’église de Moëlan.

Nous n’y sommes pas encore, le « road book » annonce encore près de 6 km, soit 2 heures de route avant l’étape du jour.

20150805_170432.jpgMais qui vois-je, marchant à mes côtés ? – Eflamm, mon camarade de Fac ; en sa compagnie, le chemin va me paraître léger et le temps s’écouler sans peine ; nous échangeons en langue française, mon breton étant trop succinct pour soutenir, dans cette langue, une conversation avec l’animateur d’«Ar Gedour Mag», son blog d’actualités spirituelles et culturelles en Bretagne. Eflamm est aussi magicien et aumônier laïc de la gendarmerie, ce qui prouve son éclectisme. C’est dire aussi que je ne risque pas de m’ennuyer en sa compagnie, d’autant qu’il marche à ma cadence, accompagné de trois de ses cinq fils…

On arrive à Moëlan par la jolie petite chapelle Saint Philibert et Saint Roch de Kerdoret où j’avais, il y a quelques années, marié une fille de mon confrère Jacques, le cavalier ; d’ailleurs, si la maman n’est pas présente cette année, comme les années précédentes, la fille est peut être parmi les jeunes mères marcheuses, avec sa fille. Déjà …

Eflamm a embouché sa bombarde qu’il fait sonner avec allégresse ; nous nous attardons aux alentours de la chapelle, de son lavoir, de sa fontaine, je le laisse entre les mains d’un bretonnant, visiteur attentif et fidèle du blog «Ar Gedour», pour aller faire honneur au pot offert à proximité par la municipalité, présente en la personne de son maire, Marcel Le Pennec, en personne, que je remercie chaleureusement de son accueil.

Au sortir de l’adoration à l’église Saint Mélaine, j’offre ma tournée de Picon Bière au Ty Corn, des jeunes se sont joints à nous et les tournées se succèdent, les forces reviennent, comme par miracle, et la faim commence à se faire sentir…

Nous nous dirigeons gaillardement vers les camions et le lieu d’hébergement qui sont, comme de bien entendu, à l’autre bout de la ville. Je croise Guillaume Le Floch et son équipe de pèlerins araméens et syriaques ; en remerciement de mes compliments, il m’offre aimablement la reproduction de la croix du maître autel de l’église Saint Yves des Bretons dont il est le recteur et que lui a sculpté François Cassingena-Treverdy, moine de Ligugé, marin pécheur du Croizic et néanmoins écrivain distingué. Au dos de l’image figure une très belle prière à mon saint patron ; je ne sais qui de Guillaume ou de François en est l’auteur mais qu’ils sachent, l’un comme l’autre, qu’elle est aussi souvent que possible récitée.

Merci Guillaume.

Le temps lourd tourne à l’orage ; dame, tant pis, on prend le risque : face à l’entrée du « collectif » – il s’agit de la salle d’arts martiaux -, je m’installe sous un châtaigner et me dirige vers la salle de restauration, située, Dieu merci, à proximité, dans le réfectoire du collège de Parc ar C’hoat ; ainsi je pourrais me coucher tôt en vue d’une bonne nuit réparatrice.

Attablés avec l’ensemble des complices, le dîner s’annonce gai et agité. Le Père Dominique vient derrière moi et m’expose que l’abbé Julien Naturel est à la recherche d’un animateur pour animer, ce soir, à l’église, la veillée et il a pensé à moi … ce qui ne laisse pas de me flatter et puis, on ne refuse rien au Père Dominique, c’est ainsi…

De quoi s’agit-il ? « Les enjeux bioéthique de la fin de vie » indique le livret. Bon, la séance commence par un propos du Père Patrick du Saint Rosaire, le seul représentant, cette année, de la communauté Saint Jean, c’est lui qui avait spontanément accepté de m’entendre en confession à Sainte Anne d’Auray sur la suggestion du Père Pierre Brun-Le Gouest, vicaire d’Arradon.

Son propos est dur à entendre, sans trop de nuances ; il a préparé son intervention par écrit et je n’ai pas le cœur à l’interrompre comme semble m’y inviter les mimiques répétées de Julien. Les témoignages du médecin et de l’infirmière qui ont suivis, ont été plus nuancés et c’est Sylvie de Kermadec, gynécologue, ancienne membre de l’équipe du professeur Jérôme Lejeune qui a clôturé les interventions par des paroles empruntes d’humanité et très émouvantes comme le furent les témoignages émanant de la salle en fin de séance qui s’est terminée à 22 heures précises, comme prévu par les éphémérides.

Il me semble, à entendre les participants et croire les organisateurs, avoir « fait le job », comme le disent les américains, le Picon-bière et l’Esprit Saint aidant. J’ai aussi beaucoup appris sur un sujet qui ne laisse pas indifférent, sans pour autant devenir un spécialiste de la question comme ont pu le  croire, un moment, un certain nombre d’auditeurs.

La nuit a été bonne avec le sentiment exagéré du devoir accompli, et la petite pluie ne m’a pas gênée, abrité que j’étais sous mon châtaigner, la tête au pied du tronc, côté soleil levant

Les gouttes s’amoncelaient au bout des feuilles avant de choir sur mon duvet en tissu déperlant me laissant, finalement, bien au sec.

Jeudi 6 août

Fête de la Transfiguration du Seigneur, c’est le Père Loïc Gicquel des Touches, curé de Notre Dame d’Alençon, la20150804_140301.jpg paroisse de Louis et Zélie Martin, les saints parents de la petite Thérèse qui officie. Il sera bientôt sous le feu de l’actualité à l’occasion de la prochaine canonisation de ses anciens paroissiens, le 18 octobre, à Rome. Encore un nouveau, et normand de surcroit, sur les chemins du Tro-Breiz, où l’on accueille tout le monde ; il est dans la force de l’âge et cela se sent.

Pour la lecture, c’est Alban qui s’y colle. On n’y comprend rien et c’est bien dommage. C’est mal lu, trop rapide de débit et inarticulé ; rencontré au cours de la marche qui s’en est inexorablement suivie, je le lui ai dit, il en a convenu. Il faut lire la lecture avant de la proclamer, les écritures sont écrites pour être dites : l’important ce ne sont pas les yeux du lecteur, mais sa bouche, du moins ce qui en sort, et les oreilles – « ephata », ouvertes – de celui qui écoute, « chemaa ».

Non seulement il ne semble pas m’en vouloir de mes observations, mais il m’écoute attentivement en opinant du chef.

C’est bien vrai que les jeunes sont les premiers pauvres auxquels nous devons nos meilleurs soins.

Alban et moi sommes devenus amis, en réalité et sur face de bouc.

La sœur Dominique-Raphaël, sœur apostolique de Saint Jean, fidèle trobreizienne, s’il en est, – elle me donne du « général » à chacune de nos rencontres bien que, néanmoins flatté, je lui ai expliqué, à chaque reprise, n’avoir jamais brigué un tel grade – est, cette année, la seule de son genre : sœur Pierre-Alix, occupée par ses victimes d’addictions diverses, n’a pu se libérer et est restée au milieu de la Brenne et de ses étangs.

Sœur Dominique-Raphaël m’avait annoncé de sa jolie voie légèrement chuintante comme une source d’eau vive, avec une nuance de fierté non feinte, l’arrivée prochaine sur nos chemins bretons du Tro-Breiz, de sa « cheffe » (c’est moi qui parle ainsi) : la prieure, en personne : mère Jean-Samuel, en provenance directe de Rimont, leur maison de formation, entre Chalon sur Saône et Montceaux les Mines.

Chapelle Melgven.jpgTout en devisant avec mère Jean-Samuel, nous franchissons le Belon au Pont du Guilly, sur l’ancienne voie du chemin de fer départemental qui reliait Quimperlé à Concarneau, en passant par Moëlan, Riec sur Belon et Pont-Aven, et dont les vestiges sont encore visibles à proximité de l’hôtel du manoir de Kertalg.

Elles ne sont pas très confortables aux marcheurs ces anciennes voies ferrées converties en « voies vertes » : leur rude ballast, encore présent en sous-sol, martyrise le pied ; ce n’est pas le confort de la terre battue des chemins creux ancestraux.

Au Moulin Edouard, c’est le Dourdu, le bien nommé avec ses eaux noires, un affluent du Belon, que nous traversons, au sud de Riec, la capitale de l’huitre plate, l’ostrea édulis, à ne pas confondre avec la crassostrea, la creuse, qui apprécie tout autant les rives salées du Bélon.

Nous avons quitté l’ancienne voie de chemin de fer pour retrouver, avec plaisir, un tronçon du GR 34 qui nous conduit sur la rive gauche de l’Aven maritime. Magnifique paysage sous le soleil du matin abrité des pins côtiers ; nous goûtons notre plaisir d’autant qu’il nous faut progresser lentement, à la queue leu leu, sur l’abrupte sentier douanier qui longe la côte, ce qui laisse le temps d’apprécier la transparence de la lumière qui avait tant séduit, à la fin du XIX° siècle, les peintres de l’école de Pont Aven.

Nous remontons ainsi l’Aven, franchi, non pas au pont éponyme, mais à la passerelle qui mène à la promenade Xavier Grall (1930-1981), au milieu des fleurs et du chaos formé par les blocs morainiques au milieu de la rivière, rappelant l’origine glaciaire de la vallée. On traverse ainsi la ville si chère à Paul Gauguin (1848-1903) et aux « nabis », prophètes, ainsi qu’il s’était qualifié avec ses amis peintres. Mais, sans s’arrêter – théoriquement -, car nombreux ont été ceux, sous le charme de cette jolie petite ville si pittoresque, qui se sont attardés au grand dam des serres files.

Nous quittons la vallée pour remonter jusqu’à la chapelle de Trémalo prier le Christ jaune qu’affectionnait particulièrement Paul Gauguin. Le déjeuner s’est déroulé un peu plus loin, sur le stade de foot du collège de Penanros, sous un beau soleil, très supportable en pareille saison où nous avons finalement soufferts ni de la chaleur, ni de la pluie ni du vent, bref un temps rêvé pour les marcheurs.

Nous sommes repartis plein nord pour la chapelle Saint André où nous accueille, à gauche du maître autel, une statue du saint apôtre sur sa croix en forme de X gigantesque, avons traversé le Moros, la rivière qui débouche à Concarneau, au sud-ouest, puis la voie rapide Lorient-Quimper au sud de Melgven où nous sommes arrivés dans les temps tout à fait réglementaires.

Le Picon-Bière de Ty Fine Rouat s’est avéré à ce point honorable que la réserve d’amer Picon, rapidement épuisée, a dû être aussitôt amendée par les consommateurs eux-mêmes, en pleine joie.

La salle polyvalente, rue de la Boissière, rassemblait, pour une fois, ensemble, les campeurs, les hébergés collectifs et les affamés des deux catégories. Il y avait du temps devant nous, j’ai proposé aux trois jeunes, des frères : Laurent, Célestin et Jean-Pierre, une visite commentée de l’église Saint Pierre Saint Paul de Melgven, que je découvrais en même temps qu’eux. Je me suis efforcé de ne pas être ennuyeux et ils ont paru se satisfaire de ma prestation.

Nous avons été impressionnés en premier lieu par les 150 noms – des gamins de 20 ans – figurant sur la plaque en marbre blanc, commémorative de la grande guerre, celle de 14-18.

J’ai insisté sur l’importance du livre, de la liturgie de la parole. Le grand vitrail, derrière l’autel, nous montre en bonne place, Dieu le Père et Jésus-Christ tenant, non pas la croix de son supplice ou un colombidé figurant le Saint Esprit, représentation traditionnelle de la trinité, mais la Bible, ancien et nouveau testament, grande ouverte sur leurs genoux. Dans le fond de la nef, côté sud, à côté des fonds baptismaux, nous avons découvert un bloc de granit sculpté en ronde bosse, comportant deux panneaux : à droite, un calice et à gauche, un livre ouvert, figurant ainsi les deux grandes parties de la messe : la liturgie de la parole d’une part et l’eucharistie de l’autre. Par ailleurs, dans la nef, l’image de Monsieur Saint Yves, représente mon saint patron en pied, en robe et barrette, lui aussi, un livre ouvert dans sa main droite. Le code de droit canon ou son bréviaire ? Toujours est-il que sa statue, est particulièrement originale ; à Melgven on rend ouvertement hommage au livre.

Le lendemain soir, les parents m’ont dit tout l’intérêt qu’avaient pris leurs fils à cette visite, j’en étais à la fois ravi et flatté ; ils m’ont même remercié. Mais on doit tant aux jeunes….

J’avais installé sur une banquette herbeuse et arborée, fleurie d’hortensias de bonne venue, le long du parking de l’allée des cinq chemins, près de la tente de Michel, le sous marinier lorientais, mon campement succinct que je lui avais laissé en garde pour aller dîner en ville. Quand je suis revenu, nous étions séparés par une tente qu’il m’a précisé être occupée par une personne du sexe et d’un certain âge, me laissant la portion congrue, sous les hortensias.

Ma foi, tant pis pour elle s’il s’avère que son voisinage masculin est bruyant ! Je ne le saurai que le lendemain matin, au lever : elle avait le sourire.

20150805_144554.jpgVendredi 7 août

Eh bien, non : si c’est bien toujours le jour le plus savant de l’année, ce n’est pas, cette année, celui de la Saint Gaëtan de Thiène que mon neveu, Philippe, me fêtera néanmoins par SMS ; mais la fête de Sixte, 2° pape du nom et de quatre de ses diacres, martyrisés dans les catacombes de Saint Calixte, via Appia, victimes des persécutions de l’empereurs Valérien en 258.

Bien sûr qu’il y a messe, contrairement à ce qui a été écrit par erreur dans le carnet du pèlerin, comme tous les matins, sauf le dernier jour où la messe est dite à l’arrivée, dans la cathédrale du Saint fondateur, demain Corentin à Quimper

Le Père Patrick du Saint Rosaire, du prieuré d’Attichy près de Compiègne dans l’Oise, de la communauté Saint Jean, seul de son espèce dorénavant, mais déjà fidèle marcheur depuis le premier jour, préside la messe. J’en connais, et j’en suis, des qui seront particulièrement attentifs aux paroles de Moïse sur la grandeur de l’élection divine rapportées par le livre du Deutéronome (deuxième loi) au chapitre 4, versets 32 à 40 et aux conditions exposées par l’évangile de Mathieu (16, 24-28) pour suivre Jésus : « se charger de sa croix ». Le Père Patrick nous explique bien, l’autre jour, lui, si sévère sur les conditions faites par les établissements de santé en général aux personnes en fin de vie, « chacun a sa croix à porter, qui n’est pas celle du voisin et si on peut l’aider à porter la sienne, on ne peut la lui prendre pour s’en charger à sa place » : chacun la sienne, adaptée à ses forces respectives. La croix à porter n’est pas une collection de tuiles qui nous tombe sur la tête ni une somme d’emmer… qui, comme aimait le rappeler le président Jacques Chirac, ont coutume de « voler en escadrille » (je précise que ce détail ne figurait pas dans l’homélie du Père Patrick).

Et nous voilà parti, après les recommandations d’usage et les souhaits de bonne route de Joëlle.

On part plein est, face au soleil matinal jusqu’à Kerangoarant, puis on remonte au nord vers la route de Rosporden que l’on atteint à Pont Louet sur le Moros. En suivant la route départementale nous arrivons bientôt à la chapelle de la Trinité. Sur le tympan figure une pietà peu usuelle : elle représente le Christ mort, posé en travers des genoux de Dieu le Père.

On a retraversé le Moros et repris notre marche vers l’ouest, traversé la route de Concarneau à Rosporden, suivi le chemin de Lizimonic, jusqu’à la chapelle Locmaria an Hent, le sentier, celui du Tro-Breiz, bien sûr !

C’est une large allée, bordée d’arbre. Tout d’un coup, un remue-ménage inhabituel : une colonie d’hyménoptères, vraisemblablement des guêpes, fâchées – on peut le comprendre – du piétinement répété de leur nid sous-terrain, s’en prennent aux marcheurs, plus spécialement aux marcheuses, dont elles semblent apprécier particulièrement le parfum et les chevelures longues et bouclées où elles s’emmêlent à plaisir et piquent à qui mieux mieux le crâne et la nuque des malheureuses victimes ; courageusement, je poursuis mon chemin sans plus de témérité mais sans m’attarder inutilement.

En continuant, on a pu admirer la vue sur la baie de Concarneau et l’archipel des Glénans à partir de Creach Nevez, traversé la voie rapide RN 176 au sud de Saint Yvi, et pris notre repas au Stang Ar Besk.

La pluie a menacé, sans plus ; on avait la possibilité de se consoler avec des galettes et des glaces de fabrication locale.

La petite rivière du Stivel a été traversée au moulin de Kerscaennic et, de nouveau, la route de Concarneau au nord de saint Evarzec que l’on a fini par atteindre en contournant le village vers le sud, pour y entrer par l’allée des châtaigniers.

A Saint Evarzec, c’est la fête des moissons, pour l’instant la place n’est pas trop encombrée et nous admirons les tracteurs, notamment un magnifique Porsche, non pas de couleur verte comme la 911 S achetée en 1976 à Roland Buchet, le garagiste-coureur automobile de la route de Bordeaux à Poitiers, mais rouge comme une Ferrari 488 GTB ; c’est un Porsche Diesel de 1955, monocylindre de 14 CV à refroidissement par air, bien entendu.

Pour le dîner on s’est attablé dehors, à proximité des organisateurs de la fête locale, le temps est bien gris, menaçant, mais il n’y a plus de place utile à l’intérieur de la salle des fêtes où est servi le repas. La belle Hélène est là et je ne le savais pas, orpheline de son père, malgré son chagrin, elle a abandonné sa pauvre mère pour marcher avec nous le dernier jour.

Les sonneurs se mettent en place sur le podium, accordéon diatonique et biniou koz, la place ne tarde pas à se remplir de danseurs émérites qui se lancent dans de savants scottishs, beaucoup trop compliqués pour moi, je me contente de regarder, avec plaisir.

Mon campement est installé sous le porche d’un bâtiment communal tout neuf au sous-sol duquel des installations sanitaires « nickel » m’ont réservés le plaisir d’une douche chaude pour moi tout seul ou presque. L’étage, aux portes hermétiquement fermées, j’ai vérifié, doit héberger, en période scolaire, un restaurant pour les enfants de maternelle.

Le sol goudronné est un peu dur mais l’auvent me préserve de la pluie toujours possible.

Vers 2, 3 h du matin, je suis réveillé par la lumière électrique : quelqu’un s’est procuré la clef de la porte du local et s’y est installé. A peine éteinte, voilà la lumière qui se rallume de nouveau, et ceci à plusieurs reprises : j’ai à faire 1°) à une lumière à déclenchement automatique 2°) à un défilé ininterrompu de personnes bruyantes, des jeunes sans aucun doute. Je suis réveillé, je me lève et vais voir de quoi il s’agit, j’ai repéré les silhouettes de Fred et de Thierry… Je n’ai rien compris à leurs explications embrouillées dont il résulterait que l’intrus perturbateur, c’est moi !

Marie (qui n’est plus la « petite » Marie, mais la cheffe des kinés) a obtenu la clef du local à la porte duquel je m’étais installé. Elle a prévu d’y passer, avec son équipe, le reste de leur nuit…. Qui s’est avérée courte : dès 5 heures, la lumière s’est allumée de nouveau, par intermittence, à l’occasion de leurs départs successifs.

La dernière d’entre elles s’est émue de ma présence : suis-je « en tente » ou « en collectif », il ne saurait y avoir d’autre alternative. Je lui ai bafouillé, de mon air naturel le plus abruti possible, que je n’avais pas de tente et que mes ronflements bruyants et mon odeur puissante me tenaient à l’écart des hébergements collectifs ; elle m’a regardé d’un air apitoyé avant de s’éloigner vers les camions en haussant les épaules.

Il faut dire que l’équipe des ostéopathes qui assurait, cette année, le point «aïe » chargé de la bobologie des pèlerins n’a pas chômé : ses prestations efficaces ont été particulièrement appréciées de ceux et celles qui en ont eu besoin. Elles étaient assurées, sous l’efficace autorité de Marie, par de jeunes et jolies filles aidées de quelques beaux garçons, ce qui aidait déjà à distraire les éclopés du mal qui les affectait. On voyait aussitôt le résultat de leurs interventions, notamment les bandes de papier collant de couleurs qui, le lendemain, ornaient curieusement qui, les cuisses, qui les jarrets, de leur patientèle revigorée.

Gwenn ha du.jpgSamedi 8 août

Ce matin, pas de messe, à l’église Saint Primel, mais laudes à 8 h. On y est, une pensée pour le père du gendre du proc qui marchait avec nous l’an dernier. Il s’est bien inscrit cette année, mais n’a pu être en mesure de venir : ses obsèques sont célébrées cet après-midi. Hervé nous y représente et nos pensées vont à notre camarade et à sa famille ; on sait bien qu’un jour ce sera notre tour.

On quitte Saint Evarzec par un beau soleil, le cœur néanmoins plein de courage : l’étape ne fait que 18 km ! Direction plein sud par le Dourmeur jusqu’à Park Minet, puis on remonte vers le nord-ouest sur Saint Tudy et sa chapelle aux fenêtres ornées curieusement de persiennes et le manoir de Creac’h Queta que nous abordons par un magnifique parc arboré comme on n’en voit qu’en Bretagne où les essences rares arrivaient par bateau directement des contrées lointaines.

« Creac’h », toponymie courante en bigoudénie signifie montée, pente et traduit un lieu élevé.

La famille des propriétaires est là, au grand complet, je demande et obtient l’autorisation de faire le tour du pigeonnier proche qui borde notre chemin, j’en trouve l’entrée et admire l’intérieur avec ses boulins, les pierres en saillies qui permettent aux colombidés de se gucher et faire ce qui leur appartient de faire pour la survie de l’espèce, la voûte n’est pas fermée ; elle ne s’est pas effondrée, c’est le passage normal des volatiles.

Les pigeonniers présentaient un intérêt agronomique en raison de la production de fiente (guano), produit basique destiné à faire descendre le Ph (potentiel hydrogène) des terres trop acides (> 7) comme c’est souvent le cas des terres dites de bruyère. En revanche, les pigeons étant particulièrement gourmands de céréales, il fallait en limiter le nombre, c’est la raison pour laquelle le pigeonnier était un monopole féodal dont l’importance, le nombre de boulins, ou nids pratiqués dans le mur, était proportionnelle à la surface des terres à amender.

On passe derrière le manoir acheté au milieu du XIX° siècle par un neveu du Maréchal Victor Moreau (1763-1813). Issu d’une vieille famille de corsaires morlaisiens, ce fut un curieux personnage : juriste de formation, général révolutionnaire, ancien bras droit de Pichegru (1761-1804), il remporte à la tête de l’armée du Rhin, la victoire de Hohenlinden sur les autrichiens en 1800, mais, avec Pichegru, il trempera dans la conspiration de Cadoudal (1771-1804) contre l’empereur qui l’exilera aux Etats Unis. Moreau reprendra du service en qualité de conseiller du Tsar Alexandre 1° (1777-1825) ; il mourra des suites de ses blessures reçues à la bataille de Dresde face aux armées impériales françaises. Inhumé à Saint Pétersbourg, le roi Louis XVIII (1755-1824) l’élèvera, néanmoins, à la dignité de Maréchal de France, à titre posthume.

Bientôt on aperçoit l’Odet « une des plus belles rivières de mon royaume » disaient François I° (1494-1547) et Henri IV (1553-1610), mais ne disaient-ils pas la même chose de la Charente et de l’Erdre ? Nous sommes sur la route de Benodet au-dessus de la baie de Kerogan.

Le déjeuner a lieu au bord de la rivière, dans le parc de loisir de Creac’h Gwen, face au port du Corniguel, sur l’autre rive, en amont des méandres de Vire Court ; nous sommes déjà dans la banlieue de Quimper, quelques kilomètres seulement en aval de la cathédrale Saint Corentin.

Après le déjeuner et le tour du parc dont je me suis dispensé, attendant les marcheurs courageux avec lesquels nous avons remonté l’Odet jusqu’au magnifique château de Lanniron, l’ancienne résidence d’été des évêques de Cornouaille, dont nous avons traversé les jardins pour arriver à Locmaria en passant par le tout nouveau jardin botanique qui longe l’Odet ; très belle promenade le long de la rivière, malgré la chaleur qui commence à se faire sentir.

La fraicheur et le calme de l’église abbatiale romane de Locmaria sont particulièrement appréciés, le temps que la grande procession vers la cathédrale se mette en place, ce qui ne va pas tarder : j’aperçois Mgr Centène, mon évêque, auquel je vais respectueusement présenter mes devoirs : il n’a pas marché avec nous cette année, à son grand regret sans doute : il m’avait avoué, au départ, à Saint Patern, souffrir d’une dirimante rage de dent.

Hé oui, ce n’est pas toujours une panne de moyen de locomotion, pieds, jambes, genou, hanches qui empêche de marcher, ça peut être un mal accessoire qui devient principal : souvent les dents, quelque fois les hémorroïdes ou encore d’autres organes improbables, tel un conduit auditif eczémateux, qui vont créer l’incapacité ….

Le nouvel évêque local : Mgr Laurent Dognin, évêque auxiliaire de Bordeaux jusqu’à il y a peu, vient d’arriver. La procession se met doucement en train le long de la faïencerie HB-Henriot, place Denis Berardier (1735-1794), petit-fils de faïencier, prêtre, professeur de Théologie et député du clergé à Paris grâce auquel Quimper a obtenu et conservé, contre Landerneau plus central, le siège de la préfecture du Finistère.

Voici que, doucement, le cortège s’engage, rue du 19 mars 1962, pour descendre sur les quais de l’Odet, jusqu’à la cathédrale.

Le père de Fred nous avait gardé des places en haut de la nef mais il a eu bien du mal avec la sœur Dominique-Raphaël qui en a occupé une d’autorité de sorte que je me suis retrouvé à ses côtés, prêt à la recueillir en cas de défaillance éventuelle. L’office était retransmis sur de grands écrans et nous n’en avons rien perdu, sauf peut-être au moment de l’homélie : j’ai senti ma voisine s’affaler sur mon épaule ce qui m’a aussitôt réveillé.

A l’issue de la cérémonie, nous étions plusieurs à recevoir le diplôme attestant du bon accomplissement de notre pèlerinage, notamment Fabienne. Elle l’a sans doute mérité plus que tout autre. Intimidée, elle n’osait pas s’avancer dans le chœur à l’appel de son nom : je l’ai prise par la main.

Ainsi se termine cette belle aventure commencée il y a 8 ans, en 2008, et qui, finalement, grâce à Dieu, aura été12002920_10206058859483194_1599378723268286682_n.jpg jusqu’à son terme, ce qui n’avait rien d’évident, au départ. Evidemment, celui qui est arrivé au bout n’est plus tout à fait celui qui est parti ; comme le dit l’ecclésiaste : « il y a un temps (chronos) pour tout et un moment (kairos) pour toute chose sous le ciel » (Qo 3,1).

Il y a eu un moment pour partir et un autre pour arriver

Il n’est plus temps de partir. Nous nous reverrons au bout de la route à la fin des temps qui continuent pour d’autres et que d’aucun recommencent indéfiniment avant de s’arrêter, le moment venu.

Comme le dit justement en fin connaisseur son excellence le docteur Jean Christophe Ruffin, de l’Académie Française : « le chemin est une alchimie du temps sur l’âme ».

Le chemin parcouru se dissout, en effet, dans le temps qui passe.

Reste que le Tro-breiz est une incomparable théophanie sur cette vieille terre de Bretagne qu’il serait vraiment dommage de ne pas aller l’y goûter !

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Photos : Y. Daniel / Ar Gedour / F. Grouin (DR)

 

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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