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HISTOIRE DE BRETAGNE : 913 et la destruction de Landévennec

Amzer-lenn / Temps de lecture : 12 min

L’histoire de l’abbaye de Landévennec, et particulièrement sa destruction, est connue de beaucoup. Vous en retrouvez un abrégé sur le site de l’abbaye. Toutefois, nous vous présentons ici une autre vision de son histoire, proposée par l’auteur de « l’origine géographique des Bretons armoricains » et de « La naissance des nations brittoniques. »

landevennecL’année 913 est régulièrement citée comme la date à laquelle les Vikings pillèrent et brûlèrent l’ abbaye de Landévennec. Pour un événement de cette importance, il importe de préciser la source et la valeur de cette donnée.

Elle provient d’un  manuscrit du 11ème siècle, de la Bibliothèque royale de Copenhague. Il s’ agit d un ordo liturgique couvrant la période de l’ an 908  à 1005, connu sous  le nom de « Calendrier de Landévennec ». En marge du manuscrit, bordant l’ an 913, a été ajouté :  « eodem anno destructum est monasterium sti Winwaloei a Normannis » (Cette même année, le monastère de saint Gwennolé fut détruit par les Normands).

On ne sait ni qui est l’ auteur de cette addition, ni quand, ni où elle fut faite. Elle ne présente, a-priori, aucune garantie de véracité.

Si bref qu’il soit ce texte pose questions. « Eodem anno » (en cette même année) présuppose un autre événement de la même année, précédant  la  » destruction « . On ne peut arguer que cela réponde à une date du comput, car les notations calendaires répétitives sont la trame de tout cet ordo. Cette anomalie a amené Marc Simon à traduire  » En cette année même… « , ce qui est une fausse traduction. Pour traduire ainsi il faudrait  : Eo autem anno. Cela serait également mal à sa place. Une addition marginale spontanée en ce lieu aurait pu être Eo anno…  Là on a une copie d’ introduction à la manière d’ annales normales.

L’ information n’apparaît ainsi pas comme fortuite, mais bien intentionnelle, et elle s’ adresse à des utilisateurs du calendrier liturgique, pour les informer ou les désinformer. Cela implique qu’ ils avaient besoin d’être informés, c’ est-à-dire ignoraient les événements en question.

Les utilisateurs de l’ordo les plus évidents devaient être les moines de Saint Gwennolé à Montreuil-sur-Mer. S’ ils ignoraient la date de destruction de l’ abbaye, c’ est qu’ils l’ avaient quittée en bon état. Cela est d’ailleurs  d’ autant plus certain qu’à Montreuil ils avaient apporté leurs reliques et sans doute leurs vases sacrés, sans avoir été pillés.

Conséquemment, les bâtiments abandonnés de l’ abbaye devaient être vides de biens à piller. En particulier les tombes monacales ne devaient contenir aucun objet précieux.

Cette datation ne peut donc pas être prise comme donnée historique de base, mais bien comme objet d’ étude associé au sujet des déprédations subies par l’ abbaye.

 

LANDEVENNEC – DESTRUCTIONS ET HISTOIRE : PREAMBULE

En préambule à l’ exposé interprétatif des destructions imputées aux Vikings à l’ abbaye de Landévennec, les Cahiers de l’ Archéologie ( n°277, 2002, p.46), publient un articulé de J.C.Cassard, intitulé  Les Vikings en Bretagne, dont plusieurs passages retiennent l’ attention.

p. 46

Concernant l’Armorique péninsulaire, les Vikings y bénéficient de conditions plus favorables que celles qu’ ils rencontrent en général dans l’ empire carolingien. En effet cette province est sujette à des mutations rapides dont les scandinaves sont aussi les acteurs et ont manqué de peu de devenir les bénéficiaires durables : l’ agitation permanente entretenue  par les bretons, c’est-à-dire, à cette époque, des populations chrétiennes de langue celtique provenant de Grande-Bretagne et installées depuis le Haut-Moyen-Age dans les contrées les plus occidentales de la péninsule – contre l’ autorité des rois francs.

p.48

…Le site -pourtant fortifié – de l’ abbaye Saint-Gwénolé de Landévennec, est emporté en 913 : les païens ne se contentent pas de dérober tous les objets de valeur, ils déterrent les corps des moines défunts et font brûler leurs ossements , sans doute afin d’écarter leurs esprits, car le lieu est utilisé dorénavant comme base navale par les pirates venus du Nord.

 

COMMENTAIRES

Les circonstances

Les  » mutations rapides  »  chez les bretons auraient créé des conditions plus favorables aux Vikings que chez les Francs.

Affirmation osée : révoltes des fils de Louis-le-Pieux, conflits de Charles-le-Chauve avec des frères et avec ses  » grands « , décomposition de l’ empire carolingien, séparatisme capétien, concession de la Normandie au danois Rollon contredisent cette affirmation. Au contraire, les Vikings n’ont eu les coudées franches en Bretagne que pendant moins de 30 années, si ce n’ est sur la Loire, où les menées des comtes francs créent beaucoup plus que de l’ agitation.

Il y a là un curieuse inversion.

 » agitation permanente  »  

En 2002, pour des lecteurs non informés, l’auteur présente les bretons comme populations chrétiennes  celtes  » venues de Grande-Bretagne « .  Or depuis 1996,depar l’ ouvrage  » Origine géographique des Bretons armoricains « , il savait que les bretons étaient originaires de Calédonie et envoyés comme troupes de pttection en Armorique.

 » …installées… dans les contrées les plus occidentales de la péninsule .

Autant dire que, depuis des siècles, les bretons se trouvaient, aléatoirement et  à titre  précaire, dans une partie de l’ actuel Finistère, alors que le même ouvrage démontre la présence bretonne en pays namnète dès le début du 5ème siècle

[ l’ agitation permanente]  contre l’ autorité des rois francs.

L’ auteur présente donc comme légitime l’ autorité des rois francs. Cette prise de position va de pair avec la thèse controuvée que les Francs auraient précédé les Bretons en Armorique (thèse retenue aujourd’hui pour justifier la partition de la Bretagne).

Le Site

 » …bien que fortifié…  » 

Faux. Il ya un mur, façade aveugle, percé d’une porte, baptisée indûment  » poterne « ( ce terme désignant une porte dérobée). Aucun aménagement de défense, ni local de gardien.

 » emporté «  Terme qui évoque un combat, sans aucune justification.

913 – date adoptée à partir d’ un seul  témoin suspect.

 » dérober tous les objets de valeur, « 

Rien ne permet d  » affirmer la présence d’ objets de valeur dans des bâtiments apparemment abandonnés.

  »   ils déterrent les corps des moines  » 

Les archéologues ne mentionnent pas de corps, mais seulement d’ os..

  »   brûler leurs ossements … afin d’écarter leurs esprits,

Hypothèse hasardeuse, motivée par l’ affirmation suivante :

  » utilisé dorénavant comme base navale.  »  

Ce qui est purement imaginaire .

CONSTAT GENERAL

L auteur fait montre  d’une étrange partialité en défaveur des Bretons et soutient  la thèse carolingienne d’une arrivée tardive des Bretons en Armorique, contre-vérité également chère à Guillotel, au prix de fardages historiques, aussi constatés ailleurs.

LES DESTRUCTIONS A L’ ABBAYE DE LANDEVENNEC  ENTRE 900  ET  936

Les fouilles archéologiques menées à partir de 1978 dans les ruines de l’abbaye bénédictine de Landévennec ont fourni un constat détaillé des destructions subies par les bâtiments, pendant l’absence des moines.

Ceux-ci l’avaient quitté, emportant  les reliques de S. Gwennolé et les impédimenta à leur convenance, à une date inconnue au début du 10ème siècle. La congrégation du saint perdura à Montreuil-sur-Mer jusqu’en 936, année où elle se réinstalla dans les bâtiments ruinés.

Les Dossiers d’ Archéologie, n.277 (oct. 2002) ont publié, sous la plume de Ronan Pérennec, un compte-rendu du résultat des fouilles. En introduction, un exposé des circonstances historiques éclaire bien la situation et pose des questions pertinentes en envisageant des hypothèses justifiées sur les questions restées ouvertes.

Le compte-rendu lui-même est fâcheusement interprétatif. On impute aux Normands toutes les déprédations, bien que l’ on ait constaté l’ absence de toute trace matérielle de présence Viking. On compense cela par le vocabulaire. On parle de  »  pillage des tombes  « , bien que les tombes monacales n’ aient contenu aucun objet de valeur. On appelle  »  tumulus viking   » un étalage de cailloux de 4 m. de long sur 0,80 de large et 0,70 d’ épaisseur, bien que rien d’analogue ne soit connu dans l’archéologie scandinave. Bref, le compte-rendu est faussé par une présomption arbitraire. Il faut donc reprendre chaque point sans préjugés.

LES  CONSTATS

Le Mur

On parle de  »  monastère fortifié  « , ce qui n’ est pas justifié, puisqu’ il n’ existait aucun aménagement défensif, ni échauguettte, ni garnison. Un mur de bâtiment, aveugle, ouvert d’ une poterne, n’est pas une fortification.

Quoi qu’il en soit, ce mur a été éventré, livrant l’ église aux intempéries. On n’indique pas les dimensions de la brèche, ni le volume de maçonnerie attaché. Combien d’heures de travail représente cette démolition ? Combien d’ ouvriers ? Les déblais ont-ils été récupérés ?

On n’a donc aucune indication sur les ennemis de la communauté auteurs de cette démolition, pas plus que sur la date de l’événement.

Les Tombes

A l’ intérieur du bâtiment, toutes les tombes ont été violées, ainsi que, dans le cimetière extérieur, toutes celles qui étaient accessibles. On n’en précise pas le nombre ni l’ identité. Il n’ est pourtant pas sans intérêt de préciser qu’ à l’intérieur devaient se trouver les restes des moines bénédictins du 9ème siècle, à savoir Wordistein, Wormonoc, Clemens et autres. Dans le cimetière extérieur des tombes bénédictines se superposaient à des tombes celtiques. Les auteurs de ces violations de sépultures sont nécessairement ennemis de ces moines.

De ces tombes tous les ossements trouvés furent exhumés et rassemblés. Pour ce faire il a fallu disposer de paniers.

Les  Ossements

L’opération suivante fut  la destruction, complète et préméditée, des os exhumés. En effet ils ont été réduits à l’état d’esquilles, c’ est à dire qu’ ils n’ ont pas été calcinés (conservant un certain volume), ce que produit un chauffage progressif. Pour que l’ humidité interne fasse éclater la matière il faut un choc thermique élevé et brutal : une chaleur de fournaise. Il fallait donc un bûcher important de bois dense et sec et un embrasement avancé avant de lui livrer les ossements, sans doute par paniers. Il n’ y a pas là d’improvisation.

D’ où provenait le bois ? Il semble plausible que cela se passait en été, plusieurs hivers après la démolition de de la façade, et que la toiture  s’était effondrée, mettant au sol, charpente et petit bois d’allumage.

Le Lit  de Cailloux

L’incendie à chaleur de fournaise allumé par le brasier empêchait de travailler sur place pendant plusieurs jours. Aussi est-il probable qu’ il ne fut mis en place que par les moines arrivant de Montreuil, comme première opération  d’ assainissement.

CONSTAT GLOBAL

L’ étude concrète des éléments relevés par les archéologues amène ainsi bien loin du scénario présenté comme assuré en 2002 et à nouveau ao colloqia de Landévennec en décembre 2013. Ce scénario repose  sur le postulat qu’ en ce 10ème siècle toute destruction est le fait des Normands. Or il est spécifié que les fouilles n’ ont mis à jour aucun signe de la présence de Vikings, ni fragment d’ arme, ni morceau de boucle, ni marteau de Thor, -ekke !

Il est vrai que, in cauda, on nous offre un  » tumulus viking « , mais attribuer ce nom à un épandage de cailloux de 4 x 0,80 m, et 70 cm d’ épaisseur, c’ est  pousser la galère un peu loin dans le fjord. Les incursions des Norrois en Bretagne ont laissé ailleurs des témoignages plus sérieux, qui ont, pour diverses raisons, échappé à la recherche. La carte sur les Vikings dans l’ Atlas Historique reste à rectifier et à compléter.

OBJET DE L’ OPERATION

L’ opération est purement négative, puisqu’ il n’y a pas de butin. Les esquilles d’ ossements sont sans valeur, et abandonnées sur place. Le seul objectif était la destruction  des ossements monacaux. Dans leurs tombes de l’ abbaye désertée, les os n’ étaient une menace pour personne. Pouquoi les détruire ? Quelqu’ un a évidemment décidé d’ éviter tout usage ultérieur.

A qui peuvent donc servir de tels ossements ? On n’ en connait qu’un seul usage : Les reliques, dont la cote était haute à l’ époque. Les os monacaux pouvaient-ils devenir reliques  ? La plupart était peut-être anonymes, mais les alentours abondaient en saints, honorés localement, prêts à leur donner ou rendre une identité : Argol, Bili, Cadvael, Derien, Ervel, Gwenael, Maeloc, Mic, Moi, Pebi, Petroc, Teveioc. Landevennec, sous un abbé aussi convaincu que Wordistein, pouvait devenir une Panagia, le sanctuaire de tous les saints à la ronde, éclipsant les tous jeunes sièges épiscopaux. Menace éliminée.

La destruction radicale rappelle aussi l’autodafe des écrits bretons en 818, dont les litanies et des douzaines de vies de saints, mais ici les corps saints violés étaient aussi bien bénédictins que « colombaniens »  .

Cura, Satana, mendaces et sacrilegos !

* Ouvrages d’Alan Joseph Raude (linguiste, historien et hagiographe) :

  • L’origine géographique des Bretons armoricains. Série Etudes et recherches de Dalc’homp Soñj
  • Ecrire le gallo : précis d’orthographe britto-romane
  • Petite histoire linguistique de la Bretagne
  • Introduction à la connaissance du gallo
  • Liste des communes galaises du département des Côtes-d’Armor (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
  • Liste des communes du département de l’Ille-et-Vilaine (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
  • Liste des communes du département de Loire-de-Bretagne (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
  • Liste des communes galaises du département du Morbihan (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
  • La Naissance des nations brittoniques – de 367 à 410 -, Ploudalmézeau : Editions Label LN, 2009

Credit photo : fr.academic.ru

 

À propos du rédacteur Alan Joseph Raude

Linguiste, historien et hagiographe, il a notamment publié des ouvrages sur l'origine géographique des Bretons armoricains et sur l'histoire linguistique de la Bretagne.

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2 Commentaires

  1. Article très intéressant qui tranche avec d’autres approches. Merci pour votre site très passionnant !

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