L’ABBE PERROT, UN TEMOIN POUR NOTRE TEMPS (5)

Amzer-lenn / Temps de lecture : 8 min

Voici la cinquième partie de cette chronique proposée à l’occasion du 70ème anniversaire de la mort de l’abbé Yann-Vari Perrot, texte réalisé à partir de documents originaux et parfois inédits. Nous rappelons à nos lecteurs que toute utilisation autre qu’une citation partielle (mentionnant toutefois la source AR GEDOUR) nécessite une autorisation écrite de l’auteur et d’AR GEDOUR. 

LE RASSEMBLEUR

 

abbé perrot,yann-vari perrot,koat keo,breizh,feiz ha breizL’abbé Perrot est l’homme de l’unité entre les Bretons. Nous savons combien, hier comme aujourd’hui, les Bretons aiment à tout propos se diviser et « s’excommunier », stérilisant les entreprises les plus riches de promesses. Ces divisions font souffrir l’abbé Perrot car elles entravent beaucoup son œuvre, l’obligeant constamment à se justifier auprès de ses supérieurs. Son secrétaire et héritier, Herry Caouissin, dans une remarquable Gwerz (écrite en breton,1944),« Magnus Erat » (Il était grand) dénoncera « Ceux qui attendirent sa mort pour faire son éloge » : «Vous alliez même jusqu’à miner sa Maison qu’il avait eu tant de mal à édifier. Jusqu’à démolir son œuvre, combattre son Apostolat. Et toute chose qu’il entreprenait avec joie, qui faisaient ses disciples dirent de lui ; « Magnus Erat » (Il était grand). Maintenant, votre gêne est grande. Vous reconnaissez quel homme grand il était. En découvrant son œuvre de géant. Et vous vous sentez petit, infime à ses côtés » (extrait, traduction du breton).

Certains reprocheront à l’abbé Perrot de ne pas avoir été « trop regardant » sur la nature de ses visiteurs. C’est oublier qu’il se comportait d’abord en prêtre qui se devait d’être à l’écoute de tous, et que même à ses ennemis il aurait ouvert sa porte..

C’est un autre prêtre, l’abbé Gantois, flamand, grand ami du recteur qui témoigne de ce que fût le presbytère de Scrignac : « L’abbé Perrot m’est apparu comme l’homme d’une idée : l’union des Bretons au-dessus de toutes les diversités, au service du bien commun de son peuple. Quel accueil il ménageait à tous dans son presbytère, dans ses congrès, dans son estime, dans son cœur. Sa table comme son amitié leur était ouverte sans formalité, sans exclusion. Il fût durant un quart de siècle le père spirituel, le parrain de tout ce qui, en Bretagne a travaillé pour le salut de la patrie, même si parfois il avait peine à se reconnaître en certains de ses pupilles. Il réunit dans son amour ceux qui, à quelque degré que ce fût, étaient possédés par l’amour de la Bretagne. Ce qui me frappe surtout, moi qui ne suis pas breton, c’est l’amour des Bretons pour la contradiction et la division. Quand il y en a un qui fait quelque chose il a aussitôt tous les autres contre lui ».

Mais si l’abbé Perrot est indulgent pour l’homme, il ne l’est pas pour les idéologies qui se posent en ennemis de Dieu, de l’Eglise et de la Bretagne. Son rayonnement et son charisme venaient de ce refus de négocier dans ce qui n’était pas négociable : la foi et la patrie. Tous le savent : il est ce roc qui le fait reconnaître comme un père par tous, y compris par ceux qui ne partagent pas sa foi ; aucun d’ailleurs n’aurait voulu le voir faiblir sur ces deux points essentiels. L’abbé sait écouter : chacun après lui avoir rendu visite repartait le cœur et l’âme raffermis. On ne peut passer sous silence qu’il fût à l’origine de bien des vocations bretonnes, qui bien plus tard donneront les fruits dont les nouvelles générations bénéficient aujourd’hui. De ses rares « économies » il finance, très discrètement, les études de plusieurs jeunes dont les dons étaient prometteurs, car l’abbé Perrot sait discerner les talents : c’est ainsi que tous les « Seiz Breur » reçoivent ses encouragements…

 

 

LE PRETRE

 

Scrignac est une paroisse réputée déchristianisée, « rouge », si communiste qu’on l’appelle « la petite Russie bretonne ». En 150 ans, tous ses recteurs ont été guillotinés ou assassinés, le dernier a fini par renoncer et demander une autre paroisse, sans même prendre congé de ses paroissiens.

Monseigneur Duparc qui connaît bien l’abbé Perrot, juge, non sans raison, qu’il est le seul prêtre capable de ramener les « brebis perdues ». Mais ce n’est pas une promotion, c’est une « voie de garage » pour calmer les ardeurs de son bouillant recteur. L’abbé Perrot sait donc parfaitement ce qui l’attend. : « Je n’ai pas perdu d’illusions, car je n’en ai pas eu. En venant à Scrignac je savais à quel calvaire je montais, et je savais aussi que ce calvaire deviendrait de plus en plus douloureux, au fur et à mesure que les vieilles générations encore chrétiennes seraient remplacées par les jeunes générations athées sorties des écoles laïques ».

Son souci va être de ramener à la foi ses paroissiens, et tout particulièrement les hommes. Il y parvient en partie par la culture (théâtre, musique, chants, danses, la restauration des chapelles, la relance des pardons). Un apostolat qui fait de l’ombre aux communistes locaux.

Néanmoins lui, homme d’action, n’échappe pas à des moments de découragements, et ses amis intimes surprendront parfois ses larmes : « Que me reste-t-il à faire sinon pleurer sur des ruines ? ».

Sa dévouée servante, Anna Le Douce témoigne : « Je l’entends encore dire  en revenant de son église le dimanche :abbé perrot,yann-vari perrot,koat keo,breizh,feiz ha breiz mon Dieu, comme il y avait peu de monde à la messe, j’ai cependant tout essayé et je n’y arrive pas. Sa croix était trop lourde, aussi quand on entendait ce saint prêtre dire cela, on éprouvait un serrement de cœur. Et dire que ses paroissiens ont toujours méconnus la bonté de ce prêtre ». Dans une carte envoyée à toutes les femmes de sa paroisse, il écrit :

« Chères paroissiennes ; Dans vos moments de loisirs, aidez-moi donc à répondre au questionnaire ci-joint :

– Quelles sont les causes de la chute de Scrignac au point de vu religieux ?

– Quelles méthodes employer pour ramener les hommes aux pratiques religieuses ?

Vous me rendriez un grand service en me répondant à ces deux questions ».


Il en viendra même à écrire à l’Evêché : «  La direction de l’école publique qui se trouve en face de mon presbytère, a prouvé, d’après elle, l’inexistence de Dieu aux enfants ». Aujourd’hui, n’en est-il pas de même ?… Voilà en tout cas, qui dément les accusations de « négliger son ministère au profit de son action bretonne ». Les amis de l’abbé Perrot, des historiens avanceront qu’en le laissant durant la guerre recteur de Scrignac, sa hiérarchie le condamnait en quelque sorte à mort. Un point de vue quelque peu excessif, mais discutable…

L’abbé se fera aussi un devoir de retrouver les restes de son prédécesseur, l’abbé Klaoda Jégou assassiné en 1797, alors qu’il revenait de dire la messe. On le retrouvera, baignant dans son sang, son bréviaire et son bâton de marche à ses côtés. L’abbé Perrot fait authentifier les ossements. A ses frais, il fait sculpter et ériger un gisant le représentant tel qu’il fût trouvé, et le placera à droite de la chapelle Notre Dame de Koat-Kéo. En 1944, les communistes FTP, croyant avoir affaire à la tombe de l’abbé Perrot, commenceront à frapper à coups de marteau le visage du gisant, comme les sans-culottes de 1793. Les traces sont toujours visibles.

 

 

Découvrez demain la suite et fin de cette série : SA DERNIERE MESSE & SON MARTYRE

 

 

DECOUVREZ LES ARTICLES DEJA PARUS (cliquez sur les titres) : 

 

Chapitre 1 :  L’abbé Perrot contre toutes les idéologies

                               & Feiz ha Breiz, les deux identités de la Bretagne

 

Chapitre 2 :  L’abbé Perrot et la langue bretonne

Chapitre 3 :  Le patriotisme de l’abbé Perrot

Chapitre 4 :   Le restaurateur, le bâtisseur

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SOURCES  ET NOTES :

Archives  abbé Perrot / Herry Caouissin / Ar Gedour : aucune utilisation du présent texte et des documents iconographiques ne peut-être faite sans l’accord écrit de l’auteur et du site « Ar Gedour ».

Il est évident que cet hommage à l’abbé Perrot n’a aucunement la prétention de retracer toute sa vie, toute son œuvre, ni de relater toutes ses pensées. Il se veut- être seulement un « survol » d’une vie extrêmement riche au service de la Foi et de la Bretagne, en espérant que cette évocation suscite un intérêt qui ne serait que justice.

 

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À propos du rédacteur Youenn Caouissin

Auteur de nombreux articles dans la presse bretonne, il dresse pour Ar Gedour les portraits de hauts personnages de l'histoire religieuse bretonne, ou encore des articles sur l'aspect culturel et spirituel breton.

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