Saints bretons à découvrir

La Vallée des Saints dans LA CROIX

Amzer-lenn / Temps de lecture : 10 min
 

Qu’il soit croyant ou non, le public apprécie de renouer avec les racines chrétiennes de l’histoire régionale.Sur la carte Michelin, la Vallée des Saints n’est pas mentionnée. Pour s’y rendre, il faut s’enfoncer en Bretagne intérieure, loin des côtes et des grands axes routiers. Direction Carhaix, puis Carnoët. Ce petit village de 770 habitants des Côtes-d’Armor, autrefois rattaché à la paroisse de Quimper, a été choisi par Philippe Abjean, professeur de philosophie, pour ériger les statues géantes de 1 000 saints bretons. Trente-cinq se dressent déjà sur les 38 hectares cédés par la commune à l’association La Vallée des Saints.L’appellation « vallée » est trompeuse. On s’attendait à descendre, mais il faut monter. Les sculptures de granite sont installées à 236 m d’altitude. Tournées dans toutes les directions, elles surveillent de vastes étendues bocagères. Se retrouver en compagnie de ces géants de trois mètres de haut procure une impression d’irréel. On songe à l’île de Pâques et ses colosses de basalte. Dans le ciel, les nuages, poussés par un vent soutenu, se succèdent au-dessus de la colline verdoyante semée d’ajoncs. Il est 10 heures et, déjà, les premiers visiteurs empruntent le chemin qui mène du parking, aménagé dans la cour d’une ancienne ferme, à la prairie où se dressent les effigies minérales.

 

« INSTALLER CES SAINTS DE PIERRE PRÈS D’UN ANCIEN TUMULUS, DEVENU OPIDUM ROMAIN ET MOTTE FÉODALE, EST UNE IDÉE FORMIDABLE »

 

Sylvain et Elena, 30 ans, observent le visage impassible de saint Samson, l’un des sept saints fondateurs de la Bretagne, tourné vers son évêché de Dol-de-Bretagne. « Je suis athée, mais je m’intéresse à l’histoire des religions, témoigne le jeune technicien viticole. J’aime visiter les édifices religieux de Bretagne. Installer ces saints de pierre près d’un ancien tumulus, devenu opidum romain et motte féodale, est une idée formidable. D’ailleurs la plupart des chapelles ont été construites sur des lieux d’occupation païenne. »La chapelle que l’on aperçoit en contrebas lui donne raison. Elle porte le nom de saint Gildas, qui aurait fondé un ermitage en ce lieu. De l’autre côté du sommet couvert de chênes et de fougères, Gaël, 55 ans, et Martine, 60 ans, appareil photo en bandoulière, observent saint Tugdual, coiffé de sa colombe, qui l’aurait désigné pape lors de son voyage à Rome en 548. « C’est la cinquième fois que je viens et à chaque fois je découvre de nouvelles statues », apprécie ce pratiquant brestois. Son amie ne partage pas sa ferveur religieuse, mais s’intéresse à « l’aspect culturel » du site. Gaël, ancien marcheur du Tro Breizh, le pèlerinage des Sept Saints de Bretagne, rappelle que ces personnages hors normes avaient permis aux Bretons de faire la jonction entre leur ancien paganisme et le christianisme. « Autrefois, ils faisaient partie de la vie de tous les jours, ajoute-t-il. Cet endroit permet de se les réapproprier. »

 

« MON TÉLÉPHONE N’ARRÊTE PAS DE SONNER ET CERTAINES PERSONNES RÉSERVENT DÉJÀ DES VISITES GUIDÉES POUR 2014 ! »

 

Il est maintenant midi. Des familles avec enfants, des amis et même un joggeur progressent entre les énormes blocs de pierre taillée. Depuis quelques mois, le site connaît une notoriété croissante. Les articles dans la presse nationale et le bouche-à-oreille ont produit leur effet. Les statistiques de l’association La Vallée des Saints s’affolent. « Nous avons accueilli 50 000 personnes depuis janvier et pensons atteindre les 80 000 d’ici à la fin de l’année, le double de la fréquentation de 2012 », se félicite Philippe Abjean, président de l’association gestionnaire. « Mon téléphone n’arrête pas de sonner et certaines personnes réservent déjà des visites guidées pour 2014 ! s’exclame Muriel Brizai, conférencière. Notre grand défi, c’est que la logistique suive. C’est pour cette raison que nous allons rénover un deuxième bâtiment afin d’assurer un accueil permanent pendant la résidence des artistes, entre la mi-juin et la mi-juillet. »La vente d’objets et le produit des visites guidées aident l’association à entretenir les lieux dont l’accès se veut gratuit. Le coût de chaque monument, de 12 000 € (achat du bloc de granite, transport, grutage, rémunération et logement de l’artiste, matériel), est financé par des « compagnons », particuliers ou entreprises, dont les dons bénéficient d’une déduction fiscale, grâce au caractère d’intérêt général reconnu à l’association depuis 2009.

 

« UN JOUR, IL Y AURA UN PÈLERINAGE VERS CETTE COLLINE INSPIRÉE »


Le soleil parvient enfin à darder ses rayons entre les cumulus. Brigitte, Jean-Yves et Claudie, la soixantaine, viennent des Alpes-Maritimes. Ils écoutent les explications de leur cousine Annie, 70 ans, une Parisienne d’origine bretonne qui suit le projet de la vallée depuis ses débuts. « J’ai même emmené un voisin de notre maison de famille de Plusquellec, à quelques kilomètres d’ici. Les habitants du secteur ont encore du mal à croire à la réussite de cette aventure », remarque-t-elle. Son petit groupe se dit éloigné de la religion, mais « intéressé par la vie des saints, le travail des artistes, et l’aspect patrimonial ». Si la vallée reste « une initiative privée de foi », l’Église locale voit « d’un bon œil » le projet, le curé du lieu s’étant même rendu à Carnoët pour y 
prier. Philippe Abjean en est convaincu : « Un jour, il y aura un pèlerinage vers cette colline inspirée. »

 

RAPHAËL BALDOS, à Carnoët

 

 

COMMENTAIRE D’AR GEDOUR

(d’après des précisions d’A-J. Raude pour AR GEDOUR)

 

Nous sommes ravis de voir qu’une telle initiative bretonne soit largement relayée par la presse française. Nous profitons de cet article pour apporter un commentaire complémentaire aux autres billets que nous avons consacré à ce sujet.

Lorsque fut publié le projet d’une « Vallée des Saints », certains y virent une idée riche en promesses. Vint la proposition  inspirée de Christian Troadec, d’y consacrer la vallée de l’ Hyères, qui coule dans sa bonne ville de Carhaix. C’ était lumineux. Car Hyères, en breton Hïer, c’est le celtique Isara « La Sacrée ». Nous avions là la Strad Hïer, la « Vallée Sacrée », comme prédestinée à une entreprise rayonnante. Le cours de l’Hïer est de plus de 40 km. Sur ses deux rives, c’est un cheminement de 80 000 mètres, un espacement possible de 100 m entre chaque bod sant , « résidence de saint », résidence personnalisée, répertoriée dans la toponymie locale. On pouvait regrouper les parentèles, les communautés, rapprocher le disciple de son eneour, guide spirituel, rendre à chacun son arbre familier, sources et fontaines. On pouvait offrir la source de l’ Hïer à Sainte Nolwenn, mère de sept saints et de plusieurs saintes, et faire que chaque saint trouve, au long du sentier de rencontre avec les Bretons d’ aujourd’hui et de demain,une place significative. Tâche exaltante pour beaucoup. Exaltante aussi pour une génération de sculpteurs, sachant donner forme aux voix de l’impalpable.
Ainsi ces  Bretons devaient  pouvoir, à leur tour, prendre le bâton, se faire baeloc, et aller à la rencontre de ces grands ancêtres qui ont foulé et aimé la terre bretonne et fortifié sa sainteté. Cette place aurait été idéale, mais finalement, le choix s’est fait vers une colline de Carnoët, ville qui méritait sans doute une startijenn

La vallée a donc disparu au profit d’une colline du nom de Tossenn Sant Weltas. Nous l’avons vu plus haut, Saint Gildas y a une belle chapelle, classée, du 15ème siècle. Mais ce n’est pas tout, comme l’évoquent les visiteurs cités dans l’article, et comme le signale le site de la Vallée des Saints ! La Tossenn est couronnée par un bosquet de beaux chênes, débordant d’une enceinte fortifiée. Derrière le fossé circulaire  sont les fondations de ce que l’on a appelé une « motte », une tour (qui est la pièce majeure du blason de Carnoet). Des fouilles ont révélé des travaux de l’époque romaine. Il s’agit d’un poste d’observation, car de ce sommet de 235 mètres on a une vue panoramique stratégique rare sur des lieues à la ronde.  Il n’est pas douteux qu’ une place fortifiée celtique a précédé celle des Romains. C’est là un site unique en Bretagne, précieux aussi par un environnement préservé.  

Mais plus encore, qui sait que ce site méconnu jusqu’alors était un privilège pour initiés, entre autres de la mouvance du Collège des bardes et druides traditionnels, qui savent que le fondateur du bardo-druidisme breton, Jean Le Fustec-Lemenik,  gravit la Tossenn le  mercredi 16 septembre 1903. En compagnie du barde Taldir, familier du lieu, après que celui-ci lui  ait nommé tous les clochers et collines jusqu’à l’ horizon, Lemenik célébra son union avec la terre de Bretagne en glissant un anneau d’or entre les pierres du sommet. Pour les tenants de cette tradition, la Tossenn est donc un repère, un « omphalos » respecté, et ce n’est pas là qu’ils vont à la rencontre des cohortes des saints bretons. Là, c’est Gweltas, celui qui sait voir, qui a sa place. Mais au final, les saints bretons sont arrivés, et sont loin d’en repartir. 

Alors que dire aujourd’hui ? Nous nous apercevons dans cet article de La Croix que « la Vallée reste une initiative privée de foi ». Cela correspond à ce que nous évoquions (avec regret) dans plusieurs de nos billets, notamment sur le fait qu’aucune bénédiction n’ait lieu lors des inaugurations de nouvelles statues. Le site internet comme le site de la Tossen lui-même ne semblent pas prendre en compte la portée spirituelle du lieu et du projet, pourtant à la source de cette idée. Sans la dimension spirituelle, la vision culturelle ou économique seules n’ont aucun intérêt, ou sinon il eut fallu ne pas utiliser les saints comme faire valoir ! Lorsque des statues étaient élevées, et même lorsque de simples mégalithes étaient levés, cela partait d’un culte. Il s’avère qu’ici, on se réclame des saints, mais on se dégage de l’aspect religieux, sans doute pour ne pas heurter les sensibilités. Philippe Abjean, que nous apprécions et que nous savons de bonne volonté et plein d’allant, espère qu’il y aura un jour un pèlerinage. Nous l’espérons aussi. Mais encore faut-il semer ! La prière du curé local est bienvenue, mais cela ne peut être suffisant. La mise en place d’un oratoire ? La mise en place de bénédictions ou autres propositions ? Comme nous l’avons déjà dit, AR GEDOUR est à disposition pour soutenir spirituellement ce projet prometteur,  en éclairant les équipes de la Vallée des Saints en ce sens si besoin. 

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD".

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4 Commentaires

  1. Pour modérer l’enthousiasme au sujet de la Vallée des Saints que j’apprécie par ailleurs. Je rappelle que le projet fait appel à des donateurs ou du mécénat. Je remarque que des grands noms commerciaux ont sponsorisé des statues. Ces sociétés ne font pas une œuvre pieuse, mais savent comment laisser une empreinte durable, parfois gravée dans la pierre… Je le répète, je ne suis pas contre, mais pendant ce temps, le patrimoine religieux breton se meurt faute de moyens pour l’entretenir. Ne serait-il pas plus pertinent de sauvegarder ce patrimoine inestimable,témoignage direct de la christianisation en Bretagne : En effet qui ne connait pas une chapelle en ruine, qui menace de s’écrouler, si ce n’est déjà fait ?

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