Saints bretons à découvrir

LES AMIS DES EAUX

Amzer-lenn / Temps de lecture : 4 min

par Alan-Joseph RAUDE, linguiste*   

(rediffusion d’un article du 6/03/2012)


Une relation particulière unissait les anachorètes bretons avec l’ eau des fontaines, lacs et cours d’ eau. C’est ce que décrit bien, par exemple, la Vie de saint Gworthïern :   

        …exiuit in desertum et habitauit in ualle magna, inter duos montes, … et ibi penitentiam ad spatium unius anni egit, et nullus habitauit cum eo. Et ibi paruum cubiculum sibi fecit, et aqua uiua in proximo cubiculi fuit, et petra magna iuxta ripam fluminis erat, et in illo flumine immersit suum corpus in unaquaque die. Et quando a flumine ascendebat, super petram iacebat et orabat.


     « ..il se retira dans le désert et s’ installa dans une grande vallée, entre deux montagnes, … et là il fit pénitence durant une année, et personne ne séjourna avec lui. Et là il se construisit une petite cabane, et il y avait de l’ eau courante à  côté de la cabane, et une grande pierre au bord de la rive du cours d’ eau, et dans ce cours d’ eau il plongeait son corps tous les jours sans exception. Et lorsqu’ il sortait du cours d’ eau il   s’ allongeait sur la pierre et priait ».

    La qualification d’aquaticus, « dyvrwr » en gallois, était bien connue au Pays de Galles.  Mais curieusement, au 11ème siècle elle n’était plus comprise, si bien que l’hagiographe de  saint Dewi (dont vous découvrirez plus encore sur sa vie dans quelques jours sur AR GEDOUR), l’expliquait en affirmant que le saint se nourrissait uniquement de pain et d’eau ! Dubricius, le saint de Llandav  doit à cette pratique son nom, dérivé de dubron « eau ». Le saint de Daoulas et de Plouvien, « Jaoua » aux temps modernes, i.e. Iahoa en léonais, était *Iahoiu en v.breton, de ia « glace » et  hoiw « joyeux ».
Le nom Onna s’explique par *undonago– « bain d’eau ». Il y a deux Logonna dans le Pays du Faou.

    Saint Budoc (*Boudâkos « le victorieux » – breton moderne  Buzog ou Buzeg) est surnommé Beuzec (*Bâdâkos « qui se baigne »), ce qui est un programme. Bien d’autres moines et anachorètes ont également pratiqué cet exercice, sans que cela soit marqué dans leur nom.
    Ronan, en gaélique signifie « petit phoque ». C’est donc un surnom-épithète impliquant une familiarité avec l’eau. Or saint Conoc, fils de Brochan grand-père de Dewi, est l’éponyme de Plogonnec, limitrophe de  Locronan. On a donc lieu de penser que Ronan est son surnom.

    Nulle part cette pratique n’est présentée comme une macération : les « athlètes de Dieu » sont plus forts que les éléments contraires. Askèsis est un « exercice » et n’implique nullement le culte de la douleur.   L’ ascète, corps, âme et esprit, est fort pour Dieu.
Les moines celtes n’étaient pas les seuls « aquatistes ». Saint Shenouté (348-466), abbé du Monastère Blanc à Sohag en Egypte est connu pour la même pratique, et  saint Ninian et ses moines de Candida Casa en Brittia du Nord, ne devaient pas l’ignorer.  D’ailleurs le modèle n’est-il pas le baptème de Jean et du Christ ?  Baptizô  signifie « plonger ».

Mais les chrétiens celtes devaient avoir d’autant moins de mal à l’adopter que cette pratique n’ était pas inconnue des druides. On pensera évidemment aux bains froids dont Cuchulin avait besoin au retour du combat. Mais, plus liturgiquement, la fête de Brigit, devenue la fête chrétienne de la Purification, comportait des rites de lustration. Dans le calendrier celtique elle est dans le mois Anagantios de la Table de Coligny. Ce nom parait être une abréviation de *Ande-nag-antios, de ande- « super » et nag-« baigner.

    Les fontaines des églises et chapelles, dans les lannotthiow, témoignent toujours de l’antique pratique de santé physique et spirituelle.

 

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* Ouvrages de l’auteur :

  • L’origine géographique des Bretons armoricains. Série Etudes et recherches de Dalc’homp Soñj
  • Ecrire le gallo : précis d’orthographe britto-romane
  • Petite histoire linguistique de la Bretagne
  • Introduction à la connaissance du gallo
  • Liste des communes galaises du département des Côtes-d’Armor (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
  • Liste des communes du département de l’Ille-et-Vilaine (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
  • Liste des communes du département de Loire-de-Bretagne (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
  • Liste des communes galaises du département du Morbihan (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
  • La Naissance des nations brittoniques – de 367 à 410 –, Ploudalmézeau : Editions Label LN, 2009

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À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD".

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