Saints bretons à découvrir

La chapelle Saint Servais de Pont-Scorff

Amzer-lenn / Temps de lecture : 10 min

Située au bord de la route de Pont-Scorff à Quimperlé, environ un kilomètre au-delà de l’embranchement vers Lesbin, on ne peut l’ignorer… Lancé en pleine vitesse, même limitée, l’automobiliste que nous sommes, pressé par le temps, ne regrette rien d’un arrêt perdu tant son aspect extérieur manque pour le moins de pittoresque et d’attrait : un parallélépipède rectangle quasi aveugle, si ce n’est, à l’ouest, une petite porte cintrée sans prétention ouvrant entre deux courts contreforts à peine plus élevés qu’elle et, au sud, trop rapidement entr’aperçue, une autre ouverture, plus solennelle… Le petit clocheton qui coiffe la chevronière de la façade ouest confirme bien que ce bâtiment est muni d’une cloche, donc consacré, qu’il s’agit bien d’une chapelle, et, si vous avez pu vous arrêter, un petit panneau explicatif vous précisera qu’elle est dédiée à Saint Servais… De toute façon, vous n’en saurez pas plus : elle est fermée !

Eh bien, pas toujours !

Elle était ouverte ce dimanche de début juillet pour la fête des chapelles, comme elle l’avait été en juin, la veille du solstice d’été, pour le pardon de saint Eloi, patron des maréchaux ferrants et des chevaux.

Vous pensez bien que je n’ai pas voulu manquer l’occasion : et je n’ai pas été déçu, comme d’ailleurs on ne saurait l’être à Pont-Scorff ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le montrer dans ces colonnes.

C’est, en effet, dans la sacristie de cette chapelle, petit édicule en moellons de granit qui flanque l’extrémité est de la façade sud, qu’a été retrouvé, plié comme un vulgaire tapis, l’immense crucifixion qui se trouve désormais exposée, restaurée, dans le transept sud de l’église paroissiale de Pont Scorff.

I – Le sol, le plafond et l’ensemble statuaire

Magnifique pavage de granit en dalles rectangulaires parfaitement jointées, aucune trace d’humidité, pas de grossiers jointoyages en vulgaire ciment épais, comme on le voit trop souvent : la rénovation en a été ici assurée avec soin et compétence par les bénévoles de l’association de sauvegarde qui continue de donner à ce lieu le lustre qu’il mérite.

Quel plaisir ce doit être de balayer un sol d’une telle qualité, et la personne qui y est préposée s’en est manifestement donnée à cœur joie ! Son travail est magnifié par la lumière matinale qui s’écoule de la quasi seule ouverture – si l’on excepte un modeste vitrail et une fenêtre de toit au sud – provenant de l’importante à quatre lancettes qui ouvre, plein est, derrière l’autel.

L’œil s’est accoutumé et le regard est attiré maintenant vers le haut, le bleu du ciel s’est reproduit sur la frisette de la voute, que souligne le brun des éléments de charpente : poutres, chevrons et poinçons. Par une coquetterie touchante, le sommet de la voute est agrémenté des sigles habituels évoquant la Vierge Marie (MA), Jésus (IHS, Iesu Hominis Sauter), l’alpha et l’oméga (commençant bizarrement par cette dernière lettre de l’alphabet grec !…), pour finir, dans le chœur, par la représentation traditionnelle, en relief, de l’Esprit Saint sous la forme d’une colombe.

Lors de la reprise totale de la voute après la réfection de la toiture dont le coyau a été scrupuleusement respecté ainsi que j’avais pu le constater en faisant le tour extérieur du bâtiment, le comité de chapelle a tenu à y reproduire les vignettes dont il avait conservé préalablement les photographies, assurant ainsi une conservation à l’identique du plafond d’origine.

Le coyau est la pièce de charpente qui vient s’accoler au chevron et donne à la toiture une double pente permettant ainsi à l’eau de ruisseler plus loin du mur que s’il n’existait pas.

C’est Saint Yves qui vous accueillera, à gauche, mais alors, un énorme Saint Yves, grand comme une figure de proue que son imagier local avait coutume de sculpter. Plus habitué des arsenaux que des prétoires, il l’a représenté en pleine plaidoirie, avec en main le sac des pièces du procès en forme de bourse, sous le bras le code ou la Bible et sur la tête, en guise de bonnet carré, un curieux chapeau pointu terminé par un ridicule pompon. Mais quelle fougue ! Comment ne pas donner raison aux arguments qu’il expose?

N’an eus ket e Breizh, na n’eus ket unan 
N’an eus ket ur sant, evel sant Erwan !

Le titulaire de la Chapelle, Saint Servais, est statufié en habits pontificaux, à gauche de la verrière du chœur ; lui fait pendant, à droite, un moine en habit de prêcheur, comme le célèbre dominicain Saint Vincent Ferrier, décédé en 1419 à Vannes. A moins qu’il s’agisse d’un arabe portant djellabah et burnous, la tête enroulée de son chèche, c’est bien, alors, Saint Nicodème, un important personnage contemporain de Jésus (Jn 3), comme indiqué sur la statue.

Servais, serait né à Penestria, en Arménie, au tout début  du IV° siècle, celui des premiers conciles oecuméniques, dits « christologiques » (Nicée 325, Constantinople 381, Ephèse 431 et Chalcédoine 481) et de la lutte contre l’arianisme, hérésie niant la nature divine du Christ, combattue notamment par son contemporain qu’il a vaillamment soutenu : Athanase le Grand, évêque d’Alexandrie (296-373), promoteur du Dieu unique en trois personnes avec, comme symbole de la Sainte Trinité, la figure géométrique du triangle équilatéral.

Evêque de Tongre, en Belgique, il est mort le 13 mai 384 à Maastricht, aux Pays Bas. Alors que la neige tombait à gros flocons, recouvrant d’un manteau blanc toute la province du Limbourg, en émergeait seul, au grand étonnement de toute la population, le catafalque du saint évêque. C’est sans aucun doute ce phénomène miraculeux qui fera de Servais le dernier des « saints de glace », fêté le 13 mai, après son contemporain, décédé en 475, évêque de Vienne dans la vallée du Rhône : Saint Mamert, le 11 et le jeune Saint Pancrace, martyrisé à Rome en 302, le 12 mai.

Saint Grégoire de Tours (538-594) raconte dans son histoire ecclésiastique des Francs (livre II, chapitre V) que le saint évêque de Tongre était allé jusqu’à Rome invoquer, contre l’invasion inexorable des cruels Huns, la protection de Saint Pierre qui lui apparut, et, faute de consolation, lui donna une clef d’argent forgée avec un maillon de la chaine qui l’avait retenu  prisonnier. Voila ce qui explique la statue du chef de l’Eglise brandissant ses clefs d’une main, et, de l’autre, en tendant une à son protégé, Servais, qui, lui, a, manifestement, perdu la sienne !

La légende fait de lui un neveu de Sainte Anne et donc un cousin de Jésus. C’est donc aussi en raison de cette parenté que la statue de la patronne des bretons, plongée dans son livre de prière, est en bonne place.

Et pour terminer la série, voici une très belle Notre Dame de la Délivrance, protégeant son ventre de ses deux mains et une Sainte Marguerite sauroctone, tueuse de serpent, le pied sur le dragon vert de l’hérésie, aussi éloquente que le patron des avocats qui lui fait face.

Comme dans toute série, son unité est brisée par un intrus : il y a une statue, plus petite que les autres, mais de même facture, représentant Saint Sébastien, né à Narbonne et martyrisé à Rome au III° siècle, rien d’oriental chez lui, peut-être l’hommage du sculpteur ou de son commanditaire à son saint patron ?

On trouvera également, mais d’un autre style, les figurines de Saint Isidore, l’avatar de Saint Servais, sur un piédestal en granit, Saint Eloi entre deux petits chevaux que l’on sort pour le pardon et saint Nicolas, à la tribune.

II – pourquoi ce culte de Saint Servais à Pont Scorff ?

Saint Aubin, futur évêque d’Angers au VI° siècle, a une origine scorvipontaine, sans doute contestée à Languidic où sa naissance est aussi revendiquée, il est donc légitimement honoré dans sa commune de naissance.

Son contemporain, Gildas, dit le sage, débarqué à Houat, fondateur d’une abbaye en presqu’île de Rhuis avant de se retirer sur les bords du Blavet aura évangélisé toute la rive sud de la Bretagne, rien d’étonnant à ce qu’il ait sa chapelle sur le territoire de Pont Scorff.

Mais Saint Servais ?

Dernier des « saints de glace », fêté le 13 mai, il signe la fin des gelées tardives si dangereuses au printemps pour les jeunes pousses ; sa fête passée on peut alors, sans crainte, planter au jardin ; bref, il n’y a pas mieux pour les paysans comme protecteur des récoltes !

Et les bretons ne s’y sont pas trompés ! … A commencer par ceux des riches plaines de la côte nord de l’Armorique, celle qui fait face à l’île de Bretagne avec laquelle on ne cessait alors d’échanger, marchandises et populations.

« Hij ar rew !» Secoue la gelée, s’écrient les pardonneurs de Saint Servais à côté de Callac, les paysans de Cornouaille, du Léon et même du Vannetais cherchant à attirer l’attention du saint protecteur sur leurs propres récoltes, au détriment de celles des autres ! Et il pouvait arriver que les penn baz entrent dans la danse ! ….( Bernard Rio, « Sur les chemins des pardons et pèlerinages de Bretagne », éditions Ouest France, 2015, pages 191 & ss, citant Anatole Le Braz « au pays des pardons », Terre de Brume, 1998)

La protection de Saint Servais allait même au-delà des récoltes, jusqu’aux animaux nécessaires à la culture, comme les chevaux, sans qu’il soit nécessaire de faire appel à l’espagnol Saint Isidore (1082-1172) ou au ministre du bon roi Dagobert, Saint Eloi (588-660) !… On l’a un tant soit peu oublié à Pont Scorff où la chapelle Saint Servais abrite les représentations de l’un et l’autre saint personnage, sans que le titulaire ne s’en offusque autrement, même si c’est l’image de l’évêque de Noyon qui est, le jour du pardon des chevaux, promenée en procession au lieu de celle de l’évêque de Tongre !

Il reste que l’unité de la statuaire montre à quel point la construction navale qui s’est développée sur les rives du Scorff comme du Blavet, les relations maritimes vers l’orient, l’extrême, mais aussi le proche, à l’est de la Méditerranée, là où sont nés Jésus, Marie, Anne, Pierre, Nicodème et même Marguerite d’Antioche et l’arménien Servais, contribuent à donner à cette petite chapelle sans trop de mine, au bord de la route de Vannes à Quimper son caractère particulier, associant Armor et argoat, paysans et marins.

Alors, surtout, si vous voyez que la porte est ouverte et quelques véhicules garés à proximité, ne manquez pas de vous arrêter. Comme moi, vous ne serez pas déçu par le temps pris et donné à la contemplation et la prière !

Avant de repartir, n’oubliez pas d’aller vous désaltérer à la fontaine : elle se trouve sur la droite en allant à Pont Scorff, juste en face du chemin qui mène au village de Kervennec.

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Trugarez vraz deoc’h !

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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Un commentaire

  1. MERCI beaucoup pour cet article passionnant sur st Servais. J’ai appris beaucoup de choses sur ST SERVAIS.
    J’ai la chance d’habiter à st Servais dans le Finistère et l’enclos paroissial est magnifique. J’y vais tous les jours pour l’admirer. La restauration se termine, bientôt on pourra rentrer dans l’église.
    L’ossuaire a une porte très étonnante
    La Fontaine est très belle avec ST SERVAIS en kersanton
    Dès que je pourrais j’irai voir cette chapelle st Servais à Quimperle

    Trugarez

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