Saints bretons à découvrir

RENOMMER DES RUES OU DES LIEUX-DITS : OUI MAIS …

Amzer-lenn / Temps de lecture : 7 min

La mode est depuis un certain temps de vouloir « renommer » les choses, les rues, les lieux-dits, les circonscriptions, voire même des villes. Cet engouement semble être lié à une inconsciente envie de faire du passé table rase, et cela s’avère d’autant plus facile qu’à cette mode préside une inculture totale sur l’histoire de ce qui est visé. Nous sommes dans l’expression d’un inquiétant déracinement qui semble aller désormais vers sa conclusion irréversible ; en tous domaines on remet tout en cause. Dans ces affaires, on ne peut nier qu’à l’ignorance, s’ajoute de plus en plus une part d’idéologie. Cette part trouve partout un terrain favorable facilité par le formatage des esprits, orienté par une forme d’indifférence, de mépris pour sa propre culture, pour ses propres traditions, pour l’histoire locale, et l’imbécile souci d’être de son temps, de ne pas porter atteinte à la culture de l’autre, de la mettre à égalité avec celle du pays, de la région.

Les exemples qui, de manière inavouée, tentent de déchristianiser, de désacraliser des noms de lieux liés à des saints sont, hélas, assez nombreux : citons la proposition assez récente d’un élu de Saint-Brieuc souhaitant voir la ville renommer en « Port-Brieuc », comme sous la Révolution ; ou encore la désormais célèbre Vallée des Saints de Carnoët, insidieusement rebaptisée en «Vallée des Géants».  Nous pourrions encore citer la chaine France 2 dont les saints du jour sont devenus des « ci-devant saints », là encore comme sous la Révolution.

Mais venons-en au motif de notre article, lié d’ailleurs à de telles affaires, car en définitif tout se tient, et relève de cette déculturation dont nous parlions. D’ailleurs, pour requalifier, renommer, déraciner les choses, les noms, les personnes, l’histoire, point n’est besoin d’avoir recours à des experts, à des linguistes, des historiens et autres intellectuels, car le bon monsieur Tout-le-monde, la bonne madame Tout-le-monde font très bien le travail. Ils le font d’autant mieux que, se croyant investis d’une mission sociétale, leur zèle se met au diapason de leurs ignorances. Ainsi, dans l’édition  d’Ouest-France du 30 mars 2021, un article a retenu notre attention, justement le genre de « papier » sur lequel on ne s’attarde guère, excepté les intéressés fiers que leur quotidien fasse état de leurs suggestions : « Trente rues ou lieux-dits vont être renommés ». L’article en question nous apprend donc qu’à « Pluméliau-Bieuzy (Morbihan), les élus se sont réunis pour étudier les propositions des habitants pour rebaptiser certains lieux-dits homonymes  propres aux deux communes ». La raison ? « Ces changements vont faciliter les interventions des pompiers, la distribution des colis, la navigation par GPS et les services à domicile ». La consultation a apporté quarante réponses se réjouissent Nadia Le Pabic et Romuald Jégouzo, agents en charge du dossier. A la lecture de l’article, il est permis de se demander si l’identité culturelle et historique des lieux-dits et rues visées ont été prises en compte. Par l’exemple donné, il ne le semble pas. Une famille habitant le lieu-dit « Kerhervé » en Bieuzy, y est allée de sa proposition : Kerhervé serait changé en Kerlabuse. Pourquoi Kerlabuse ?  S’agit-il de faire référence à une « buse d’évacuation des eaux, à l’oiseau » ?  Oui, c’est bien cela, la référence concerne ce sympathique rapace, mais cela justifie-t-il de troquer le prénom bien breton d’Hervé par le nom d’un oiseau ? D’après cette famille, le lieu-dit en  question, qui doit faire doublon avec un autre lieu-dit sur Pluméliau, a sa « petite histoire » qui justifie ce choix : dans ce secteur, depuis 2017, une buse se la joue « Les oiseaux », célèbre film d’Hitchcock, dans lequel des nuées de volatiles attaquent les habitants d’une petite ville américaine. La buse en question, dès la période de nidification s’énerve au passage des cyclistes, des coureurs, et entreprend par des vols en escadrilles de dissuader les importuns  de passer à proximité de l’arbre où elle niche.  Espèce protégée, pas question de l’envoyer Ad Patres, d’autant que ses vols ne sont pas dangereux, la mairie recommande donc aux promeneurs, pendant cette période, de choisir un autre itinéraire. « La buse fait partie de notre environnement, elle n’a jamais attaquée nos enfants », précise les parents.

Cette petite histoire rend évidente l’appellation de Kerlabuse, et cela aurait pu être un autre Kerquelquechose. Il est vrai qu’au mot « Ker » (maison, ville), tout et n’importe quoi peut y être accolé, cela fera toujours bien assez breton. Quitte à changer de nom et à faire « breton », cette brave famille aurait pu choisir le nom breton de la buse, à savoir, barged, ce qui aurait donné Kerbarged, mais évidemment cette appellation aurait été moins parlante et aurait demandé une explication.  Ce manque d’imagination témoigne de l’absence de toute référence culturelle bretonne. Une absence culturelle qui ignore les raisons mêmes du nom de Kerhervé en ce lieu-dit. En effaçant le nom breton n’efface-t-on pas en même temps un morceau d’histoire locale, d’identité bretonne voire chrétienne ? En effet, Kerhervé s’il fait référence à saint Hervé, fait peut être aussi référence à un évènement de l’histoire locale, lié à une personne, une famille, et renvoie de toute façon au saint. On peut donc craindre que sur les trente noms de rues et de lieux de Pluméliau-Bieuzy devant être « renommés », peu de cas soit fait des appellations bretonnes historiques…

Nous pourrions multiplier les exemples de ce genre de déracinement par transformation des noms, francisation. Depuis les années soixante, où les communes se sont laissées convaincre par des malins sans racines et sans culture de troquer leurs antiques blasons jugés trop identitaires et trop chrétiens par des logos, façon tube de gouache écrasé, avec interprétations  farfelues, toutes les occasions ne sont que prétextes à débaptiser une rue, un bâtiment, un lieu-dit : bref ! On dénature, on désacralise, on déracine à tout-va, l’ignorance, la bêtise, la peur de paraître trop attaché à son identité fait en ces domaines tous accepter.

La Bretagne, très prisée de gens en recherche  d’une sécurité, d’un retour à la campagne s’y installe en faisait fi de toute identité bretonne, en nommant leur maison, leur hameau, leur rue de toutes sortes de références qui elles aussi contribuent à cette perte d’identité bretonne.  Il est des cas où l’appellation en breton leur déplaisant, ils la francise tout simplement : un exemple près de chez moi, le village de Kerfetan (vannetais, Kerfeunteun en KLT) a été traduit en Kerfontaine. C’est ainsi que ce qu’il reste encore de breton, par petites touches comme dans les cas cités, s’efface sous nos yeux indifférents. Et ne parlons même pas des Kroaz Hent, carrefours devenus désormais Croissant.

Protester revient souvent à se risquer à être reconnu comme rétrograde, intolérant, fermé aux autres cultures. Et l’on nous dira encore que changer un nom, n’est après tout que sans importance, un détail. Or, de détails en détails supprimés, ce sont des pans entiers de notre culture, de notre histoire de Bretagne, de nos traditions que sont ainsi gommés, pour laisser la place au néant culturel. A la cancel culture…

Nous ajouterons qu’à trop consulter des gens, bien braves sans doute, mais sans culture, les élus prennent le risque d’être complices de cette déculturation qui va de pair avec une mondialisation qui déracine tout ce qui se trouve devant sa marche inexorable. Or, les élus ont le devoir de veiller à ce que leur commune garde son âme. Cela commence par le devoir d’en garder précieusement les noms qui en racontent toute l’histoire. Mais ce souci ne semble guère être une priorité : une âme qui est trop souvent sacrifiée à des intérêts économiques, électoralistes, sur fond d’indifférence.

À propos du rédacteur Yvon Abgrall

Publiant régulièrement des articles dans la presse bretonne, il propose pour Ar Gedour des articles documentés sur le thème "Feiz & Breizh" (foi et Bretagne), d'un intérêt culturel mais aussi ancrés dans les préoccupations actuelles.

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7 Commentaires

  1. La même chose aurait du se passer à Terrug (Telgruc) dans le Finistère (« impasse des pélicans », et j’en passe !…). Une forte mobilisation du mouvement culturel a eu raison de la volonté du maire, qui…n’a pas été réélu !…

    Résultat: il y a plus de noms bretons qu’avant toute cette histoire!

    Contacter: Yann-Ber Kemener à Skol Vreizh qui s’était beaucoup investi; contacter Kevre Breizh, qui mobilisera.

    Ne vous laissez pas faire !

  2. Des noms de rues seraient à supprimer car ils portent celui de criminels et racistes anti-bretons: rue Stalingrad (Lanester). Rue Emiles Combes, Danton, Gambetta… Une grande enquête devrait être faite sur toute la Bretagne.
    Pour rappel: Gambetta, responsable avec Napoléon III du premier camp de concentration connu sur le territoire français: Conlie, en Mayenne, 70 000 Bretons morts.

  3. Vous avez dit détail ? « Le diable est dans les détails » ! … (W. Churchill

  4. Heureusement la « commune nouvelle  » de Pluméliau-Bieuzy porte le nom des 2 anciennes communes, alors qu’en certains lieus on a crée de toutes pièces de nouveaux noms comme Evellys, Val d’Oust, Val d’Anast, etc, que personne ne sait situer.
    Il est dommage par ailleurs que tant de rues portes des noms interchangeables, rue des Hortensias, des Camélias, des Jonquilles, etc, alors qu’on pourrait s’inspirer de noms de lieux-dits englobés dans les agglomérations, autrefois beaucoup de lieux même inhabités avec un nom propre, qu’on voit encore sur les cartes, ou de célébrités locales.
    Puisque la mode est de mettre des noms de célébrités féminines, mettons des rues Anne de Bretagne !

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