Avant que Job Le Bayon ne crée avec son compère Louis Cadic le Théâtre Populaire Breton (1909) à Sainte Anne d’Auray, il existait sous l’égide de M. Le Priol un vrai théâtre au Petit Séminaire. Des représentations dramatiques avaient lieu et étaient pour les élèves l’une des distractions les plus attendues et les mieux appréciées. Aussi, le soir d’une séance, la punition la plus cruelle que l’on pouvait infliger était la privation d’y assister.
Le théâtre, outre le plaisir qu’il procure aux spectateurs, peut devenir un moyen d’instruction et d’éducation, et peut avoir un rôle social très important. Ce qu’avait compris Job Le Bayon. Né le 11 avril 1876 à Pluvigner. Il fit ses études au Petit Séminaire de Sainte Anne. Son professeur, l’abbé Buléon, lui appris à maîtriser le français, car son parler quotidien était le breton qu’il lisait couramment. La muse lui taquine « les méninges », et c’est en vers comme le fera JP Calloc’h, qu’il composera ses dissertations littéraires. A la faculté de Rennes, il décroche une licence de lettres. C’est alors qu’il sort sa première oeuvre théâtrale : « En Eutru Keriolet » en 1902, jouée par la troupe de Pluvigner. En 1905, l’abbé Le Bayon est nommé vicaire à Bignan. Il rejoint ainsi son ancien maître qui en est le curé-doyen. A eux deux, ils montent une troupe à « usage local » seulement.
Animateur inlassable, ce prêtre poète, écrivain et dramaturge breton, part tous les jours par monts et par vaux, parcourir la campagne morbihannaise. Trouvant ses acteurs sur les lieux de leur travail, c’est-à-dire les champs, il galvanise ses troupes en leur faisant répéter les différentes scènes du drame qu’ils vont devoir jouer à Sainte Anne d’Auray. Ses acteurs, ils les a trouvés et formés. Ils sont de Bignan, Colpo, Pluvigner et Sainte Anne d’Auray.
Mais, pressenti par l’abbé Louis Cadic, directeur du Pèlerinage de Sainte Anne, il compose une pièce qui serait jouée à Keranna, la veille de la fête, le 25 juillet, afin d’occuper la foule des pèlerins. Donc, le 25 juillet 1909, c’est le mystère breton « Nicolazik » qui est interprétée devant une foule considérable et sous une pluie battante.
L’immense enceinte du théâtre, qui pouvait contenir 2000 personnes fut remplie. Des milliers de spectateurs, bretons, français, anglais, américains, belges… assistèrent au spectacle et ne ménagèrent pas leurs applaudissements aux acteurs.
Ces derniers, cédant aux sollicitations, acceptent de rentrer en scène et donneront une nouvelle représentation. Ils sont infatigables. C’était un théâtre de verdure, en plein air…
Monsieur Cadic, avec son zèle éminemment averti, se demande si la vie intellectuelle, littéraire, artistique ne pouvait pas se concentrer au pied de la basilique, comme au dedas la vie religieuse. Il songe que Sainte Anne mérite bien l’hommage de toutes les splendeurs. Et lentement, doucement, il installe les oeuvres qui le conduiront à son pieux et patriotique dessein. Il fonde le musée Nicolazic, historique surtout. Il ouvre un cercle d’hommes, où les intelligences s’affinent et que les coeurs s’y fortifient. Puis il crée un patronage, une société de gymnastique, une fanfare, une compagnie de pompiers. Il fonde un atelier d’infirmerie et pour la gent féminine un atelier de couture. Puis il compose une troupe d’acteurs et une chorale où le goût s’épure et le sens artistique s’éveille et se développe. C’est ainsi qu’il fait jouer aux jeunes « Le Chat Botté », opérette féérique en 3 actes, « Le Petit Poucet », opérette en 2 actes. Sans oublier que la douloureuse tragédie « La Tombe du Soldat » écrite par le RP Louis Samson de Sainte Anne obtint en 1907 et 1908 un immense succès sur la scène du Patro.
Pendant ce temps, les petits séminaires répéteront « Britannicus », tragédie de Racine.
Pour son oeuvre du théâtre populaire breton, M. Le chanoine Cadic a voulu faire grand. La salle mesure 40m sur 23m, devant une scène dont la surface utile ne compte pas moins de 70m². On peut y loger 2500 spectateurs ; par une ingénieuse disposition des fauteuils et des gradins, ils seront à l’aise. L’acoustique est si vibrante que même en parlant à mi-voix, les derniers rangs peuvent distinctement comprendre les paroles.
A signaler : Mr Decker de Vannes a composé la musique de toutes les oeuvres de Job Le Bayon. En Mr Boris d’Auray, il trouva un décorateur talentueux.
Les choeurs ont été formés et dirigés par Mr Maréchal de Sainte-Anne, le doux poète de « Kousk Breiz Izel ».
Parmi les acteurs, 4 sont hors pair, 3 de Pluvigner et 1 de la troupe de Bignan. Chacun d’eux incarne à merveille un type breton, avec une articulation impeccable et une gestuelle ordonnée.
Les autres acteurs et figurants ne déplorent pas du tout le groupe de « grands ténors ». Simples paysans de Bignan ou petites fileuses, tous sont dignes de leurs rôles. Et c’est un spectacle touchant que de voir ces hommes de quarante, cinquante ans, ces patriarches de plus de soixante ans, affronter le public en l’honneur de la « Bonne Maîtresse » et par leur jeu sincère, intelligent, jamais monotone, soulever les applaudissements d’une salle vibrant à l’unisson…
HC
Articles très interessants et riches. Mercis lus modestement, j’en viens de mettre sur le site Academia éducation une Petite Histoire du théâtre breton…
Bien à vous,
François Labbé