La Passion de Loudéac a passionné Yves Daniel

Amzer-lenn / Temps de lecture : 10 min

Avez-vous été voir la Passion de Loudéac, en plein pays gallo ? Il faut allez voir la Passion de Loudéac (Côtes d’Armor). J’y étais le dimanche 31 mars 2019 après midi au Palais des Congrès pour la première des trois représentations de cette année 2019.

passion loudeacAprès la messe dominicale à 10 heures 30 à l’église paroissiale catholique Saint Nicolas où les tabernacles des deux autels latéraux sont curieusement surmontés de la représentation des deux ampoules d’huiles saintes qu’on pouvait y conserver autrefois pour l’onction des baptisés et celle des malades, ou encore, à 11 h, à la chapelle toute proche Notre Dame des Vertus où est célébré la liturgie orthodoxe roumaine, un excellent repas au restaurant-traiteur « L’hermine », ancienne route de Pontivy (02 96 28 76 27), soyez bien à l’heure, 14 heures 30, pour retirer votre billet que vous aurez préalablement réservé sur internet.

Ne vous étonnez pas de voir les rues de Loudéac quasiment désertes : la population locale est presque entièrement concentrée au Palais des Congrès et de la culture, boulevard des Priteaux, espace culturel Yves Ropers (1925-2001), du nom de l’ancien maire qui, il y a une trentaine d’année, a conçu et réalisé ce bâtiment pour qu’il puisse s’adapter au spectacle de la Passion. Les gens de Loudéac et des alentours qui ne sont pas sur scène, sont sur les gradins ou dans le hall pour l’accueil et la régie.

Le livret a été écrit pour le patronage paroissial dénommé l’« Etoile Sportive Saint Maurice » (ESSM) par l’abbé Robin, alors vicaire, c’était à la veille de la première guerre mondiale, en 1914. C’est toujours le même script et les acteurs bénévoles appartiennent tous à l’ESSM.

Dès le lever de rideau, au son du chant « Lève-toi, Jérusalem », de l’abbé David Julien (1914-2013) inspiré en 1958 du prophète Isaïe (51, 17 et ss), nous voilà transporté dans la ville sainte au milieu de la foule qui s’apprête à fêter la Pâque et accueille à grands cris, Jésus avec ses disciples, au grand dam des grands prêtres du temple, des pharisiens et scribes qui, au paroxysme de la jalousie, se résolvent, au son des notes graves d’un des Carmina Burana aux sonorités médiévales, composés en 1935 par le munichois Carl Orff (1895-1982), à se débarrasser définitivement de ce dissident et de sa clique qui porte ombrage à leur autorité placée sous le signe intangible de la Loi mosaïque.

Seule peine envisagée : la mort ! Ils sont tous d’accord, sauf Nicodème et Joseph d’Arimathie qui quittent l’assemblée instituée en tribunal qui a déjà prononcé la peine capitale en l’absence du prévenu ni même de tout jugement.

Pourtant il en faut un, même une mascarade, pour ne pas s’aliéner la population toute entière acquise au nazaréen et à ses sectataires et qui risquerait alors de crier à l’assassinat, au meurtre prémédité !…. Ce que les hauts dignitaires religieux veulent éviter à tout prix. Pour cela, il faut 1°) retourner la foule par un soigneux noyautage en règle et, 2°) s’emparer physiquement de la personne de Jésus pour un simulacre de procès avant de le mettre à mort.

On préconise l’utilisation de la technique de l’infiltration : corrompre un des disciples pour connaitre l’emploi du temps de son maître et l’appréhender en catimini ; c’est alors qu’intervient Judas, l’Iscariote, le traitre à 30 deniers que, traditionnellement, l’iconographie classique revêt de la couleur jaune mais qui est, aujourd’hui, en rose !

Son rôle n’a-t-il pas été essentiel dans l’histoire du salut et, à ce titre, prévu par les Ecritures que Jésus est venu accomplir ? Avant de lui jeter la pierre, le personnage nous invite à réfléchir sur notre propre comportement : ne sommes-nous pas tous, peu ou prou, des sorte de « Judas l’Iscariote » ? Nous, les plus ou moins traitres à l’héritage chrétien reçu de nos pères ? Il quittera la scène, côté cour (à droite), en invoquant Satan, mais pour autant, est-il vraiment voué aux gémonies comme on le croirait trop souvent et trop rapidement ?

Et Pierre, le brave Pierre, qui sera malgré tout institué chef de l’Eglise, prêt à donner sa vie pour défendre Jésus, qui va jusqu’à tirer l’épée contre un des gardes venu l’arrêter, le voilà qui, identifié par son accent, jure ne pas connaitre ce Jésus que le sanhédrin vient de condamner à mort, et ceci à trois reprises ! Encore un traitre, comme Judas, et encore, sans l’excuse d’une compensation financière suffisante : gratuitement, par pure faiblesse et lâcheté. Ce que nous qualifions de « respect humain », trop souvent mis en avant pour masquer ce que nous sommes, n’est-il pas le signe évident d’un manque de courage élémentaire de notre part ? Pierre aussi va quitter la scène la tête entre les mains, mais côté jardin (à gauche), du côté opposé à celui de Judas : « fuyons ! »

Il avait pourtant été distingué avec Jacques et Jean par Jésus pour venir veiller et prier avec lui au jardin des oliviers avant son arrestation. Les trois témoins privilégiés de la Transfiguration de Jésus entre Moïse et Elie sur le mont Thabor n’ont pas tenu le coup : ils se sont assoupis. « L’esprit est prompt, mais la chair est faible ».

Et c’est l’entracte au cours duquel, un verre à la main, j’ai retrouvé Judas et Pierre auxquels nous ressemblons tant ! Tiens, n’est-ce pas le chef du restaurant de l’Hermine en apôtre et un des marchands du temple n’est-il pas le serveur ? Le grand-prêtre m’a offert une madeleine ; je n’ai pas osé interviewer Jésus au milieu de ses admirateurs(trices), mais j’ai reconnu, sous le vêtement d’un des habitants de Jérusalem, le curé de la paroisse qui officiait ce matin à Saint Nicolas. Avant de regagner ma place j’ai été saluer comme il convient Pierre-Yves Le Priol, l’auteur de « la foi de nos pères » venu là compléter, par un chapitre spécialement dédié, la prochaine édition de son excellente étude sur la permanence de la chrétienté bretonne.

passion loudeacLe noyautage de la foule par les marchands chassés du temple par Jésus, d’une part et de l’autre, le verdict prononcé par le sanhédrin, assemblée des prêtres, pharisiens et scribes érigée en tribunal, quand même, ayant provoqué son effet, il s’agit maintenant d’obtenir du pouvoir civil l’exéquatur de la décision prononcée par les autorités religieuses. Et le pouvoir civil, c’est, en l’occurrence, l’occupant romain qui l’exerce.

Nous voilà donc devant le palais du gouverneur de la Judée dont Jérusalem est la capitale religieuse. Ponce-Pilate est bien embarrassé : si la loi juive lui est totalement indifférente, il reste attentif à l’ordre public et surtout, il ne veut s’attirer aucun blâme de sa hiérarchie. En bon juge qu’il est, soucieux d’éviter le déni de justice, il s’empresse de soulever d’office son incompétence « ratione loci » au profit du roi Hérode, souverain de Galilée, dont ressort le nazaréen. Mais celui-ci lui est renvoyé revêtu de la robe blanche des malades mentaux, pénalement irresponsables…

Que ce soit devant le sanhédrin, la cour du roi Hérode, ou même Ponce-Pilate, Jésus, l’accusé innocent déjà condamné, mais pas encore exécuté, se tait.

Ponce Pilate est en butte non seulement aux autorités religieuses juives mais aussi à toute la population qu’elles ont réussi à gagner à leur cause : « à mort le nazaréen ! ». Ils vont jusqu’à lui préférer le nuisible Barabas ! « Que son sang retombe sur nos têtes et celles de nos enfants » s’écrie la foule d’une seule voix. Alors, il s’en lave ostensiblement les mains, mais pas sa conscience qu’il se risque à brusquer et malgré le rêve prémonitoire de son épouse Claudia que vient lui rapporter sa servante, alors qu’il s’était borné à faire fouetter Jésus, il finit par céder devant la pression médiatique – cela arrive ! – et se résout à l’exécution de la sentence rendue par le sanhédrin.

Et c’est le chemin de croix, les trois chutes successives, l’aide de Simon le Cyrène, le portrait tiré du supplicié que nous offre Véronique, les saintes femmes, dont Marie, la mère de Jésus ;

Elles sont là, aux pieds de la croix dressée sur le monde, exhibant Jésus crucifié, les femmes de Jérusalem : tous les apôtres et les disciples ont fui, sauf Jean auquel Jésus, du haut de sa croix confiera sa mère.

Les sept dernières paroles du Christ comprennent également son dialogue avec les deux larrons, le mauvais et le bon que Jésus lui-même aura canonisé en lui promettant le paradis. Mais sans doute pour des motifs de difficultés de mise en scène, ce passage de l’Evangile de Luc (23, 43) sera omis et c’est, à mon avis, bien dommage.

A l’issue du dernier soupir rendu par Jésus et des bouleversements cosmiques survenus, c’est le centurion lui-même, un romain, un occupant et un païen qui proclamera spontanément la divinité du Christ : « celui-là était vraiment le fils de Dieu ! »

Jésus est mort, nous assistons alors à la descente de croix organisée par Joseph d’Arimathie : Jésus est inhumé dans son caveau.

Mais on n’en est pas resté là : mort et enterré, Jésus est ressuscité : il est apparu, notamment, aux pèlerins de retour de Jérusalem après la fête de la Pâque : ils ne l’ont pas reconnu immédiatement, même quand il leur a expliqué ce qui s’est passé au regard de ce qui avait été annoncé par les Ecritures.

C’est à table, quand il a bénit le pain et l’a partagé entre eux comme il l’avait fait après leur avoir lavé les pieds la veille de la fête, au cours de la cène, qu’ils ont reconnu la présence entre eux de Jésus-Christ le messie, crucifié, mort et enterré et pourtant ressuscité dans sa gloire comme il l’avait annoncé.

Le rideau tombe avec les notes triomphantes de l’Alléluia du Messie de Georges-Friedrich Haendel (1685-1759) : par ses sacrements, particulièrement celui de l’eucharistie, « le sacrement des sacrements », au-delà du spectacle qui s’achève, le Christ reste bien toujours présent parmi nous jusqu’à la fin des temps.

Dépêchez-vous de réserver vos places pour dimanche prochain 7 avril ou le dimanche suivant 14 avril, il est déjà trop tard cette année pour la séance spéciale enfants du mardi 2 avril à 20 heures.

Mais si ce n’est pas pour cette année, ce sera pour l’année prochaine !

Et rappelez-vous surtout qu’à chaque messe, au cours de l’eucharistie qui suit la liturgie de la parole, c’est la passion du Christ qui, non pas se joue devant vous, comme à Loudéac, mais se vit avec vous.

Date des représentations

  • Dimanche 31 mars, 15h00
    Dimanche 7 avril, 15h00
    Dimanche 14 avril, 15h00

Représentation pour les enfants : Mardi 2 avril, 20h00

Pour réserver, cliquez ici.

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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Un commentaire

  1. Bonjour , Merci pour votre commentaire très bien fait.
    Je suis dans les coulisses et sur scène comme bénévole de ce spectacle.
    Vous nous donner la force de continuer avec confiance cette aventure qui a 105 ans.

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