Les « tableaux de dévotion » du presbytère de Pont-Scorff : le repentir ou les larmes de Saint Pierre

Amzer-lenn / Temps de lecture : 6 min

Voici encore un « tableau de dévotion » dont nous ignorons l’auteur ou l’atelier de production où chacun avait sa spécialité, l’un les yeux, l’autre les mains, le troisième les drapés, etc… d’où il est sorti. Mais qu’importe : il y a à Pont-Scorff une véritable pinacothèque résultant de l’époque florissante de la spiritualité mystique bretonne au XVII° siècle. Ce tableau, restauré grâce à l’habileté de l’atelier d’Art et de Restauration de Magalie Troy a été retrouvé au fond d’un des placards de la Mairie.

Après avoir contemplé la crucifixion dans le transept sud de l’église paroissiale du Sacré-Cœur, s’il est entre 10 h et midi un jour de semaine, allez jusqu‘au presbytère, c’est à deux pas, place de la maison des Princes

Vous pourrez y admirer ce portrait de saint Pierre

Si, si, c’est bien saint Pierre !

Pour vous en persuader, le peintre de ce portait en buste d’un homme mur, à la calvitie prononcée, cheveux et barbe de boucles grises, vêtu d’une bure brune serrée à la ceinture et d’un manteau bleu a pris la précaution de poser sur le revers du rocher derrière lequel le sujet se cache à moitié : une clef.

Une clef à la poignée artistiquement ouvragée comme le serrurier local savait les forger : c’est une des clefs du royaume des cieux : « prenant la parole, Simon-Pierre répondit:  » Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.  » 17 Reprenant alors la parole, Jésus lui déclara:  » Heureux es-tu, Simon fils de Jonas, car ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. 18 Et moi, je te le déclare: Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et la Puissance de la mort n’aura pas de force contre elle. 19 Je te donnerai les clés du Royaume des cieux; tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aux cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aux cieux. » (Mt 16, 16-20)

Mais examinez bien le portrait d’un peu plus près, ce que permet la disposition du tableau à hauteur du spectateur, regardez bien ses yeux : ils versent des larmes.

Saint Pierre est représenté en pleurs

« Or Pierre était assis dehors dans la cour. Une servante s’approcha de lui en disant:  » Toi aussi, tu étais avec Jésus le Galiléen!  » 70 Mais il nia devant tout le monde, en disant:  » Je ne sais pas ce que tu veux dire.  » 71 Comme il s’en allait vers le portail, une autre le vit et dit à ceux qui étaient là:  » Celui-ci était avec Jésus le Nazôréen.  » 72 De nouveau, il nia avec serment:  » Je ne connais pas cet homme!  » 73 Peu après, ceux qui étaient là s’approchèrent et dirent à Pierre:  » A coup sûr, toi aussi tu es des leurs! Et puis, ton accent te trahit.  » 74 Alors il se mit à jurer avec des imprécations:  » Je ne connais pas cet homme!  » Et aussitôt un coq chanta. 75 Et Pierre se rappela la parole que Jésus avait dite:  » Avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois.  » Il sortit et pleura amèrement. » (Mt 26, 69-75 et Lc 22, 54-62) « il éclata en sanglots » (Mc 14, 72)

Ce sont ces sanglots « amers » (pikrôs, en grec, amare en latin) que le peintre a voulu partager avec nous.  Pauvre Pierre qui assurait bravement un peu plus tôt à Jésus qu’il donnerait sa vie pour lui. (Jn 13, 37b)

C’est tout à la fin du XVIe siècle que la première représentation des larmes de saint Pierre est répertoriée : il s’agit de celle peinte en 1580 par Domenikos, Théotokopoulos (1541-1614) plus connu sous le surnom du « Greco », conservée au musée de Tolède.

C’est l’illustration d’un poème de Luigi Transillo (1510-1569) Lagrime di santo Pietro publié en Italie en 1560 et qui faisait alors fureur dans toute l’Europe : le grand François de Malherbe (1555 – 1628) lui-même – « enfin Malherbe vint » chantera Nicolas Boileau (1636-1711) dans « l’art poétique » en 1674 – s’en inspirera dans un poème dédié en 1587 au roi Henri III qu’André Chénier (1762-1794) commentera quelques années plus tard. En voici quelques vers :

Eh bien ! où maintenant est ce brave langage ?
Cette roche de foi ? cet acier de courage ?
Qu’est le feu de ton zèle au besoin devenu ?
Où sont tant de serments qui juroient une fable ?
Comme tu fus menteur, suis-je pas véritable ?
Et que t’ai-je promis qui ne soit avenu ?

Ce poème sera même mis en musique en 1594 par Roland de Lassus (1532-1594) sous forme de 20 madrigaux, con un motetto nel fine (« avec un motet à la fin ») qu’il dédiera avant de mourir au pape Clément VIII (1536-1605).

L’Europe est en pleine affirmation de la réforme catholique face à la réforme protestante. Un des sujets de discorde est celui des sacrements. Les catholiques considèrent alors le sacrement de la pénitence – la confession – comme un des sept sacrements de l’Eglise. Ce que réfutent les protestants. Le repentir de saint Pierre est pour l’Eglise catholique une métaphore de ce sacrement. Sa représentation devient alors un manifeste de la contre-réforme, un manifeste catholique contre la Réforme Protestante.

Ce portrait de saint Pierre en larmes est caractéristique de cette époque et ne laisse toujours pas indifférent le spectateur d’aujourd’hui.

Les mains nouées en une muette supplication ajoutent à la sincérité des larmes « amères ».

La contrition du pécheur n’a d’égale que la miséricorde de Dieu offensé : « à tout péché miséricorde » rappelle le proverbe. On a même été jusqu’à qualifier le péché originel d’Adam et Eve d’heureuse faute. Un des versets de l’« Exultet » chante, au cours de la veillée de pâques : « o felix culpa quae talem ac tantum meruit habere Redemptorem » : ô heureuse faute qui nous a valu un Sauveur comme celui qui nous a été envoyé, bienheureuse faute de l’homme qui valut au monde en détresse le seul Sauveur.

Même saint Pierre, le premier pape, chef de l’Eglise choisi par Jésus lui-même, ajoutera les siennes à celle originelle de nos premiers parents.

Rappelons-nous, avec Saint Pierre que la miséricorde de Dieu est plus grande que notre péché, à condition, toutefois, d’en avoir le repentir, la contrition, dans les termes de la prière que nous récitons avant de recevoir le sacrement de pénitence : « « Mon Dieu, j’ai un très grand regret de Vous avoir offensé, parce-que Vous êtes infiniment bon, infiniment aimable et que le péché Vous déplaît. Je prends la ferme résolution, avec le secours de Votre sainte grâce, de ne plus Vous offenser et de faire pénitence. Ainsi soit-il. »

Cela me fait penser que j’aurai bien besoin d’aller me confesser….

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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Un commentaire

  1. Merci ! Saint Pierre est pour moi LE grand Apôtre, même si Saint Jean est le Bien-Aimé par Jésus. Mais Saint Pierre est le « type » même qui nous ressemble tellement… Eh oui ! nous professons notre Foi et quelques instants plus tard nous tombons dans le péché. Et nous nous jetons aux pieds de Jésus pour Lui demander pardon. Et Jésus dans Son immense Miséricorde lui a pardonné comme IL nous pardonne….

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