Kerfons, c’est cette magnifique petite chapelle de Ploubezre, dans le Diocèse de Saint-Brieuc & Tréguier, qui se trouve à environ 6 kilomètres au sud de Lannion, non loin du Château de Tonquédec.
Etablie, comme son nom l’indique en breton, dans un hameau autrefois planté de hêtres, Kerfaoues, ce petit sanctuaire, fondation des seigneurs de Coatfrec (ou Coëtfrec), date des XVème et XVIème siècles. Il a la forme d’un tau, le vaisseau étant flanqué au nord et au sud de deux chapelles en ailes, plan classique des monuments religieux du Trégor. La nef et la chapelle nord (premier quart du XVème siècle) sont de style ogival flamboyant et la chapelle méridionale (1559) de style Renaissance.
Elle fut détruite au XIVème siècle pendant la guerre de succession de Bretagne, et reconstruite au XVème siècle.
La partie la plus remarquable se trouve à l’intérieur de la chapelle avec un jubé sculpté en bois polychrome de style gothique flamboyant daté de 1485. Il est l’oeuvre d’un atelier morlaisien. Il comprend cinq arcatures en arc brisé aigu séparées par des colonnes torsadées. Il est classé monument historique depuis 1899, l’ensemble de la chapelle l’étant depuis 1910, et le reste du mobilier depuis 1975.
Cette chapelle accueille de nombreux événements culturels tout au long de l’année, grâce à une association très dynamique qui travaille à la mise en valeur de ce patrimoine, « les amis de Kerfons-Mignoned Kerfaoues ». Celle-ci a été créée en mai 2015 pour mettre en valeur la chapelle de Kerfons et y organiser des manifestations culturelles en collaboration avec la mairie de Ploubezre et la paroisse de Lannion et depuis a rempli honorablement ses objectifs puisque le nombre de visiteurs a énormément augmenté. Il suffit de se rendre sur le site de l’association pour se rendre compte du travail important réalisé par les bénévoles.
Durant l’été, nous étions plusieurs de l’équipe rédactionnelle sur le secteur, et l’envie nous a pris d’aller visiter cet édifice. Le constat fut simple : ce petit joyau est aujourd’hui dans un état inquiétant puisque des infiltrations existent au niveau du toit. Ce qui provoque une prolifération de cette mousse verte qui tapisse certains endroits des murs. Alors le passant est mis à contribution par une entrée tarifée 2 euros, obole obligatoire fixée semble-t-il par la mairie de Ploubezre pour découvrir l’intérieur, et surtout le jubé. Alors par principe, ce fut un niet catégorique de notre part.
D’après nos informations, la mairie ouvre cette chapelle à la visite depuis de nombreuses années du 15 mai au 15 septembre et, pour cela, elle embauche des jeunes de la commune auxquels est donnée une formation adéquate qui leur fait découvrir le riche patrimoine de la commune., ce qui est en soit une excellent initiative. Cet édifice étant l’écrin d’un mobilier exceptionnel -et surtout l’expression d’une foi profonde- notamment ce jubé du XVème, les statues et retables des XVIème et XVIIème, et il est important, avec toute la sécurité nécessaire, que ces œuvres d’art soient visibles par un public amateur.
Sur les lieux, nous avons donc opté pour un petit rappel de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat (qui précise clairement que l’accès au culte doit être gratuit et ouvert à tous) à la gentille demoiselle qui se trouvait à l’entrée… qui nous répond que : « oui mais cette chapelle est désaffectée… « , en précisant que la mairie a décidé de faire payer l’entrée pour participation à la rénovation, et que des travaux sont prévus à partir de septembre, notamment au niveau des chéneaux. Ensuite, a-t-on appris, viendront les gros travaux sur la charpente et sur la toiture, dépendant de l’étude des architectes des Bâtiments de France (étude de 2002 à laquelle la commune de Ploubezre n’a donné suite qu’en 2013, d’après un document de la DRAC). Ce sont eux aussi qui décideront de la réfection des portes et du tableau de saint Louis abrité dans la chapelle. Ces travaux qui s’élèveront à environ 400 000 euros (dont 70% pris en charge par la DRAC) devraient s’étaler sur quatre années. D’autres subventions sont attendues, ce qui ramènerait la part de la municipalité aux alentours de 80 000 € . Effectivement, la somme est considérable pour une petite commune comme Ploubezre.
Cependant notre surprise reste là : nous pouvons comprendre qu’on puisse chercher à trouver de l’argent, mais de là à faire payer le pèlerin pour accéder à un lieu de culte. Tu veux visiter, tu paies. Tu veux prier… tu paies aussi ! Cela est-il normal, alors même que, sauf erreur de notre part, cette chapelle n’est justement pas désaffectée (ni donc désacralisée parce que parfois on se trompe quand même de mot…) ? Nous avons cherché les documents attestant que la chapelle n’était plus affectée au culte, sans succès. Par contre, le 7 mai 2017, le traditionnel pardon de Kerfons (messe à 10h30 ) a bien eu lieu là-bas, prouvant par là-même que le culte a toujours lieu à Kerfons, même si ce n’est qu’une fois l’an.
Pour tenter de comprendre quelle était la raison de cette obole obligatoire et l’affectation des recettes issues de ce droit d’entrée, nous avons contacté la mairie qui n’a pas donné suite à notre demande de renseignements. L’association a, quant à elle, aimablement répondu à nos sollicitations et confirmé nos sources :
Les recettes générées par ce droit d’entrée, contrairement à l’explication que vous a donnée la guide, ne servent pas à la restauration de la chapelle (les budgets de restauration n’ont aucune commune mesure avec les recettes de billetterie) et même ne couvrent pas les frais de gardiennage mais la mairie est attentive à permettre la formation de jeunes étudiants et accroître ainsi la connaissance qu’ils ont de leur lieu de vie. Il est également important pour nos élus d’assurer la sécurité de ces joyaux.
Nous comprenons bien évidemment l’intention louable d’avoir un gardiennage, et que cela puisse contribuer à un job d’été, tout en permettant aux jeunes de mieux connaître leur patrimoine. Mais doit-on obliger le visiteur à payer pour entrer dans un lieu de culte ? Il existe soit la possibilité d’inviter à un don de manière manuelle, voire de manière numérique, avec des bornes dédiées et incitatives utilisant le sans-contact.
Une fois que les personnes concernées auront lu cet article, devra-t-on encore payer pour aller prier Notre-Dame de Kerfons ?
Je connais bien cette chapelle. Cet été, je souhaitais seulement m’y recueillir, et non la visiter comme un musée. Je n’ai pas pu y prier et vraiment je ne trouve pas ça normal !
Cette forme « Kerfaouez » est très curieuse. Albert Deshayes dans son « Dictionnaire des noms de lieux bretons » voit dans ‘fons’ le mot ‘foz’ (=fosse), terme que l’on retrouve dans un bon nombre de noms de lieux par ailleurs. La finale -ez de la forme bretonne fait difficulté à mon avis pour y voir le mot ‘faou’ qui signifie effectivement ‘hêtres’. ‘Kerfaouez’ fait penser à ‘Keranfaouis’ en Pleyben, mais c’est une autre histoire…
Bonjour, oui je vous comprend. Pour certains paroissiens deux euros c’est énorme. Personnellement je préfère trouver une chapelle ou une église ouverte avec un droit d’entrée, comme cela se passe en Allemagne (malgré un caractère facultatif). Mais la présence d’une personne est rassurante autant que pédagogique, car le dialogue peut également déboucher sur des perpectives archéologiques ou idéologiques nouvelles. Ceci étant, étant donné le caractère sacré de cet admirable édifice, l’argent récolté à l’entrée ne peut qu’être employé à bon escient. Pour terminer, je soulignerais à l’auteur le caractère de musée que prennent les églises et les chapelles bretonnes. Les touristes venus de l’extérieur ne peuvent que se régaler, gratuitement qui plus est, de cette diversité architecturale très particulière qui foisonne en Bretagne (5). Peu étant d’assidus pèlerins (pour les réflexions entendues). Ce que je trouve le plus anormal est une taxe de séjour pour un breton en vacance dans son propre pays ! Vaste débat.
Peut-on se contenter de voir nos églises et chapelles devenir des musées, alors même que ces édifices étaient des lieux de vie, témoins de la foi de ceux qui les ont édifiés ? Si ces lieux deviennent peu à peu des lieux touristiques plutôt que des lieux spirituels, c’est peut-être aussi la faute aux chrétiens qui souvent de sont pas fichus de se bouger les fesses pour leur patrimoine, et qui font des quêtes dominicales des opérations pièces jaunes.
Et combien donnent ne serait-ce qu’une heure de temps de présence, de nettoyage, de prière, ou d’autres services dans leurs paroisses ou dans les comités de chapelles à l’entour ?
Que des personnes cherchent donc à trouver des pistes pour avoir de l’argent permettant une sauvegarde des lieux n’est pas choquant.
Malgré cela, ce qui est dénoncé dans mon article, c’est non pas le principe d’une obole, mais l’idée que cette obole soit obligatoire. Qu’elle ait été facultative aurait été différent.
Deuxièmement, lorsqu’on vient prier dans une chapelle, l’idée même d’êtrre contraints de payer pour entrer dans ce lieu de culte revient à une remise en question de la liberté religieuse. Cette question se pose actuellement pour des édifices bien plus grands et vous verrez le jour où l’accès vous sera restreint pour la messe dominicale ou pour d’autres offices car il faudra privilégier les visites touristiques. Il y a déjà des lieux, en Bretagne, où la tentation se fait jour.