Alors que le débat sur la fin de vie remet en cause notre rapport à la vulnérabilité humaine, il est urgent de redécouvrir ce que signifie véritablement « soigner » : un acte de fidélité à la vie, bien loin des ambiguïtés actuelles autour de l’euthanasie.

Philosophiquement, soigner, c’est accueillir la vulnérabilité d’autrui comme un appel à la responsabilité, dans la ligne de ce que souligne Emmanuel Levinas : «La vulnérabilité du visage est ce qui appelle à la responsabilité». Soigner n’est donc pas d’abord une technique ; c’est un acte éthique, à savoir prendre soin de la vie, même lorsqu’elle est fragilisée. Nous allons donc revenir ici sur le vocabulaire utilisé et vulgarisé pour faire passer auprès du plus grand nombre un acte pour ce qu’il n’est pas.
L’euthanasie comme « soin » : un détournement du langage
Dans les débats actuels, l’euthanasie est de plus en plus souvent qualifiée de « soin ultime » ou « dernier soin ». Ce glissement sémantique est lourd de conséquences. Dans l’esprit commun, un soin vise en effet à préserver, soulager, accompagner la vie. Il se situe dans une logique de fidélité à l’être vivant. Or, l’euthanasie, en provoquant délibérément la mort, ne soulage pas la souffrance en elle-même : elle supprime le sujet souffrant. Qualifier l’euthanasie de « soin » n’est donc pas anodin. Cela joue sur la connotation positive du terme « soin », associé à la compassion et à la bienveillance, pour adoucir l’idée d’une pratique qui, fondamentalement, vise à mettre fin à l’existence. Cela dissimule que l’acte ne cherche plus à préserver ou accompagner la vie, mais à y mettre un terme.
Paul Ricoeur écrivait avec force que « le respect de la vie est la première éthique ». Albert Schweitzer rappelait également que le respect de la vie était le principe le plus élevé. Principe et droit humain fondamental : le droit de vivre. Or, disons-le clairement : supprimer la vie pour mettre fin à la souffrance, ce n’est plus soigner : c’est renoncer au soin lui-même. Imagine-t-on supprimer les pauvres pour mettre fin à la pauvreté ?
Cette confusion des mots brouille les repères éthiques en masquant la gravité du geste posé. Accepter ce glissement, c’est risquer d’entrer dans une logique où la valeur d’une vie serait mesurée à l’aune de son utilité ou de son absence de souffrance.
Par ailleurs, certains promoteurs de l’euthanasie présentent cette pratique comme un nouveau droit humain, revendiquant un « droit à mourir ». Mais il est essentiel de rappeler que le premier droit reconnu par toutes les grandes déclarations universelles est celui de vivre. Le droit à la vie est premier, fondamental, car il est la condition même de l’exercice de tous les autres droits. Renverser cet ordre, c’est fragiliser la protection due aux plus vulnérables que devrait avoir toute société vraiment humaniste.
Sous couvert d’altruisme, l’euthanasie s’inscrit ainsi souvent dans une vision très marquée par l’individualisme contemporain, qui valorise l’autonomie absolue et a de plus en plus de mal à accueillir la dépendance, la fragilité, la finitude. Dans cette perspective, choisir de mourir peut apparaître comme une manière de préserver sa liberté personnelle jusque dans la mort, mais au prix d’un affaiblissement du lien de solidarité et de fraternité qui devrait entourer toute vie humaine fragilisée.
Les soins palliatifs : une véritable fidélité au soin
Face à cette dérive sémantique et culturelle, dérive que l’on perçoit également sur d’autres sujets, les soins palliatifs apparaissent comme l’expression la plus authentique du soin. Les soins palliatifs reconnaissent que la guérison n’est parfois plus possible, mais que prendre soin, aimer, soulager et accompagner restent toujours possibles. Ils visent d’abord à soulager la douleur sans hâter la mort, refusant toute confusion entre soulagement et suppression de la vie. Ils engagent aussi à accompagner la personne dans toutes ses dimensions, qu’elles soient physiques, psychiques, sociales ou spirituelles, pour répondre à l’ensemble de ses besoins humains et pas uniquement médicaux. Enfin, ils affirment le respect de la vie jusqu’à son terme naturel, en considérant que toute vie garde sa dignité, même lorsqu’elle est fragilisée.
Cicely Saunders, pionnière des soins palliatifs modernes, exprimait cette fidélité dans des termes simples mais puissants : « Vous comptez parce que vous êtes vous, et vous compterez jusqu’au dernier moment de votre vie. »
Les soins palliatifs témoignent ainsi d’une manière profondément humaine et respectueuse de répondre à la souffrance, en restant fidèles à l’idée que soigner, c’est accompagner, soulager et honorer la vie jusqu’au bout.
Fidélité au soin, fidélité à l’humain
Le véritable soin ne consiste pas à supprimer la vie pour supprimer la douleur. Il consiste à accompagner la personne dans toutes ses dimensions, à soulager la souffrance sans jamais trahir la dignité de l’existence. Dans un monde où le langage est parfois dévoyé, il est essentiel de rappeler que soigner, c’est être fidèle à la vie humaine, même vulnérable, même souffrante. Les soins palliatifs incarnent cette fidélité, dans un respect inconditionnel de ce qui fait notre humanité. L’euthanasie, en prétendant être un soin ou un droit, risque au contraire de la trahir, en substituant à l’accompagnement de la vie l’acte d’y mettre fin prématurément. Il convient donc de ne pas se laisser entraîner par un vocabulaire avec lequel on jouerais pour mieux faire passer la pilule finale…