Jean de Montfort : ambition, guerre et souveraineté bretonne

Amzer-lenn / Temps de lecture : 4 min

Si Charles de Blois, auquel nous avons récemment consacré un article (à retrouver ici) incarne le prince pieux et fidèle à la couronne de France, Jean de Montfort représente, lui, l’autre visage de la Bretagne médiévale : celui de l’indépendance farouche, de la stratégie réaliste, et d’une ambition politique déterminée. Prétendant au duché de Bretagne au XIVe siècle, il entre en conflit direct avec Charles de Blois lors de la guerre de Succession (1341–1364), avec l’appui décisif du roi d’Angleterre. Derrière cette lutte dynastique se dessine une vision différente du destin breton, moins tournée vers une loyauté féodale portant à la vassalité, plus marquée par la souveraineté et la diplomatie internationale.


Un droit contesté, mais une ambition affirmée

À la mort du duc Jean III de Bretagne sans descendance, deux candidats se disputent sa succession : sa nièce Jeanne de Penthièvre, mariée à Charles de Blois, et Jean de Montfort, demi-frère du défunt duc. Bien que le droit successoral semble favoriser Jeanne selon la tradition féodale du royaume de France, Jean de Montfort conteste cette lecture, s’appuyant sur un argument simple mais puissant : la volonté d’incarner une Bretagne forte, indépendante, et libre de ses alliances.

Refusant l’arbitrage capétien, il se tourne vers le roi d’Angleterre, Édouard III, qui voit en lui un allié précieux dans sa lutte contre la France. Ce choix fait de Montfort un élément essentiel dans la guerre de Cent Ans — mais aussi un acteur habile d’une stratégie de survie.


Un chef pragmatique, soutenu par sa lignée

Après la capture de Jean de Montfort par les Français en 1341, c’est sa femme, Jeanne de Flandre, qui reprend brillamment le flambeau de la guerre : elle défend Hennebont, mobilise les alliés anglais et galvanise les troupes bretonnes. Grâce à elle, que l’histoire retiendra notamment par le surnom de Jeanne La Flamme, la cause montfortiste reste vivante.

Jean de Montfort finit par être libéré, mais meurt en 1345, sans avoir conquis durablement le duché. Ce sera son fils, Jean IV de Bretagne, qui prendra la relève et remportera la bataille décisive d’Auray en 1364, scellant la victoire des Montfort — et l’avenir du duché.


Un projet politique pour la Bretagne

Jean de Montfort ne se contentait pas de revendiquer une couronne. Il portait une vision politique claire : celle d’une Bretagne indépendante dans ses décisions, libre de choisir ses alliances, y compris avec l’Angleterre. En cela, il incarne un tournant : le refus d’un alignement automatique sur la couronne française, au nom de la souveraineté du duché.

Son alliance avec l’Angleterre n’était pas une soumission, mais un pari stratégique, parfois jugé cynique, mais redoutablement efficace. Son objectif n’était pas d’angliciser la Bretagne, mais de s’appuyer sur un partenaire puissant pour briser l’emprise capétienne.


Une figure ancrée dans l’imaginaire breton : an Alarc’h

Bien que Jean de Montfort soit mort avant d’avoir vu triompher sa cause, le souvenir des Montfort s’est enraciné dans la mémoire collective bretonne. Il devient en effet l’objet d’une transmission dynastique symbolique et poétique, notamment à travers la chanson An Alarc’h (« Le Cygne »). Cette complainte, écrite bien plus tard (au XVIe siècle), célèbre le retour de Jean IV, fils de Jean de Montfort, après son exil.

Le cygne y symbolise à la fois la noblesse, le retour espéré, et l’esprit indomptable de la Bretagne. En filigrane, c’est aussi la légitimité montfortiste qui y est exaltée. L’héritier exilé revient triomphalement « par mer » pour restaurer l’autorité ducale. Ce chant a connu un regain de popularité au XIXe et XXe siècle, dans le cadre du réveil culturel breton, faisant de la dynastie Montfort une référence mythifiée de l’indépendance bretonne.

En bref…

Jean de Montfort meurt avant d’avoir pu asseoir pleinement son autorité, mais son combat pose les bases d’une nouvelle dynastie ducale qui règnera sur la Bretagne jusqu’à son annexion au XVIe siècle. En rupture avec la tradition féodale française, il incarne une Bretagne résolument tournée vers l’autonomie politique, quitte à jouer un jeu diplomatique complexe.

Moins religieux que son rival Charles de Blois, mais plus tacticien, Jean de Montfort reste le symbole d’un pouvoir réaliste, moderne avant l’heure. Et grâce à l’imaginaire collectif, le nom des Montfort, à travers la chanson An Alarc’h, reste celui de ceux qui firent voler la Bretagne de ses propres ailes.

À propos du rédacteur Tudwal Ar Gov

Bretonnant convaincu, Tudwal Ar Gov propose régulièrement des billets culturels (et pas seulement !), certes courts mais sans langue de buis.

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2 Commentaires

  1. Jean-Luc Laquittant

    Bon article, mais un peu nébuleux, car le nom de jean de Monfort à travers le chant An Alarc’h est une erreur . An alarc’h c’est pour son fils Jean IV de Montfort le vainqueur d’auray.

  2. Le visiteur, épris d’histoire ou simple curieux, peut encore de nos jours , soit plusieurs siècles après, observer très localement, à la base des remparts d’Hennebont (An Henbont), les traces de chaleur, consécutives aux incendies et violences guerrières du siège d’Hennebont.
    .
    L’apport de chaleur a en effet modifié l’apparence de la pierre sur un petit secteur des défenses fortifiées. Comme un témoignage permettant de méditer sur l‘histoire et la guerre, une thématique redevenue très actuelle ces dernières années..
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    Roudoù an tan-gwall, roudoù ar brezel, evel un testeni eus an emgannoù hag ar feulster c’hoarvezet derc’h ha miret e levrioù « Istor Breizh ». E 2025 emaomp. Ha warc’hoazh ? Daoust ha gendalc’ho ar peoc’h ? Piv oar petra a c’hellfe c’hoarvezout ?

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