Le « gisant » de la chapelle du Bas Pont Scorff

Amzer-lenn / Temps de lecture : 13 min

N’allez pas quitter Pont-Scorff sans avoir été visiter le « gisant » de la chapelle Notre-Dame de Bonne Nouvelle qui se trouve dans le haut du Bas Pontscorff, sur la grand route d’Hennebont !

Mais attention, nous sommes rive gauche du Scorff, sur le territoire, non plus de Pont-Scorff, mais de Cleguer.

La chapelle se dresse au mitan du carrefour de la grand route d’Hennebont et de l’ancienne rue qui, venant de Cleguer, descend sur le Scorff que franchit le vieux pont médiéval, vite qualifié de « romain », bordé, côté Pont-Scorff, des vestiges de la chapelle Saint Jean Baptiste des chevaliers de l’Hospitalité de Jérusalem.

Vous ne pouvez pas la rater !

C’est une chapelle qui, comme beaucoup de ses semblables en Bretagne, ne paie pas de mine. Du moins, extérieurement.

Plusieurs fois remaniée au cours des siècles, elle aurait été fondée le 14 juillet 1235 par un des seigneurs du Kemenet-Héboé, Eudon ou Eon Picault, sire d’Hennebont, sous le vocable d’Intron Varia ar Didreiz (du Passage)

Au cours du XIII° siècle, souhaitant limiter la montée en puissance de la famille Rohan à laquelle allait échoir le Kemenet-Héboé, les ducs successifs de la maison capétienne de Dreux depuis Pierre « Mauclerc » (1187-1250), son fils Jean I° « le Roux » (1217-1286) son petit fils Jean II (1239-1305) et son arrière petits fils Arthur II (1261-1312) procédèrent au démembrement de cette importante seigneurie qui s’étendait initialement de la rive droite du Blavet aux rives gauches de l’Ellé et de la Laïta, englobant toute la vallée du Scorff de Kernascleden à l’Ile de Groix !

Le château fort d’Hennebont se dressait alors, rive droite du Blavet, en Kéméné-Héboé, tandis que la rive gauche, où se construira la ville « close », relevait du « Bro-Erec », le pays du roi Warok qui s’étendait, au VI° siècle, jusqu’à Vannes, sa capitale.

Le fils aîné d’Arthur II, le duc Jean III « le Bon » (1286-1341), vicomte de Limoges par sa mère, donnera en 1332 la châtellenie de Pontcallec dont relevait alors, après démembrement, entre autres, la paroisse de Cléguer et la chatellenie de Tronchateau, comprenant la chapelle Notre Dame, à un sire de Derval, s’en réservant toutefois la désignation du desservant et le droit d’inhumation.

C’est ainsi que la chapelle du Bas Ponscorff sera, au même titre que Saint Denis ou l’Escurial pour les souverains espagnols, élevée au rang de nécropole au bénéfice de plusieurs membres de la famille ducale…

Le duc Jean III décède sans héritiers « réservataires » laissant ainsi, sans successeur désigné, le duché que se disputeront sa nièce, la fille de son frère Guy : Jeanne de Penthièvre dite « la boiteuse » (1324-1384), épouse de Charles de Blois (1319-1364), neveu du roi de France Philippe VI de Valois (1293-1350) et son demi frère, fils de la seconde épouse de leur père Arthur II, née Yolande de Dreux : Jean de Montfort (1284-1345), époux de Jeanne de Flandre (1295-1374), l’héroïque « Jeanndig flam » du siège d’Hennebont en 1342.

C’est la guerre de succession de Bretagne, encore appelée : « guerre des deux Jeanne », Blois contre Montfort, qui se conclura à la fameuse bataille d’Auray, le 29 septembre 1364, par la mort de Charles de Blois et le triomphe de son rival et neveu, Jean de Montfort (1339-1399), le fils de Jeanne la Flamme, venant aux droits de son père, Jean de Montfort (1294-1345), fils d’Arthur II et de sa seconde épouse née Yolande de Dreux (1269-1322), comtesse de Montfort l’Amaury.

La pierre tombale de Jean de Montfort – « père » – se trouve dans l’abside sud de la collégiale Sainte Croix de Quimperlé.

Le sire de Derval, bénéficiaire de la donation faite par le duc Jean III, ayant pris le mauvais parti, celui de Charles de Blois, le vainqueur, devenu le duc Jean IV reprit, avec le fief de Pontcallec, la possession de la Châtellenie de Tronchâteau et, partant, de la chapelle N.D. de Bonne nouvelle du Bas Pontscorff qui bénéficiera de nouveau de la protection et des munificences des ducs de Bretagne pendant plus d’un siècle encore.

Quant à la châtellenie de la Roche-Moysan, issue du démembrement du Keméné-Héboé, pour sa partie ouest, qui va de la rive droite du Scorff à la rive gauche de l’Ellé, elle va échoir au vicomte Jean I° de Rohan (1324-1396), par donation du duc Jean IV (1339-1399), le vainqueur d’Auray, en 1380.

Pont Scorff ressort donc de la Roche-Moysan et Cléguer de Pontcallec.

Il faudra attendre 1445 pour que le duc Pierre II (1418-1457), le fils de Jean V (1389-1442), fasse don de la châtellenie de Pontcallec avec toutes ses dépendances, à son chambellan : Hervé de Malestroit (1380-1452), l’ancêtre des futurs marquis de Pontcallec, tout en confirmant, pour ce qui est de la chapelle Notre Dame, les réserves tenant à la nomination du desservant et au droit d’inhumation.

Jusque là, la chapelle N. D. de Bonne Nouvelle du Bas Pontscorff était restée domaine privé des ducs de Bretagne qui, en fonction de ces réserves expresses, entendaient bien, malgré la donation, continuer de s’en réserver l’usage, même restreint.

À la suite du « traité » d’union de 1532, la chapelle relèvera désormais directement du roi de France comme l’apprendra, à ses dépens, à l’issue d’un procès clos en 1671 le dénommé Bertrand Guymarho, sieur de Kersalo, qui prétendait y apposer ses armoiries et s’y réserver un banc.

Mais, entrons ! En général, la petite porte latérale sud n’est pas fermée.

Commençons par saluer comme il le mérite l’occupant des lieux dont la présence est attestée par la petite lumière rouge qui brille près du tabernacle…

Une fois cet hommage légitime rendu à qui de droit, examinons le mobilier de cette petite chapelle dont les vénérables reliques ducales se cachent sans doute sous le pavement.

A une exception, toutefois : face à la petite porte latérale, en partie masquée par les bancs, vous découvrirez, posée sur un massif de pierres de granit le long du mur, une statue tumulaire en pierre de calcaire du XIII° siècle de 2,20 mètres, de long si la pierre est couchée, ou de haut si elle est présentée « debout ».

C’est ainsi que l’a vu Louis Rosenzweig, archiviste du département du Morbihan sous le second empire et président de la Société Polymathique du Morbihan, comme il l’écrivit en 1863 dans son « répertoire archéologique du département du Morbihan », réédité en 1992 par Res Universis, page 51 a.

Dans un coin de la chapelle on a déposé une statue de pierre haute de plus de 2 mètres ; elle couvrait, selon la tradition, une tombe dans la chapelle des chevaliers de Saint Jean à Pont-Scorff : elle représente une femme, les mains jointes, la tête posée sur un coussin et entourée d’une sorte de bandeau qui lui descend sur les épaules ; une aumônière est suspendue à sa ceinture.

C’est le « gisant » !

Mais, en est-ce un véritablement ?

A mon humble avis – qui n’est pas celui d’un spécialiste – il s’agirait plutôt d’un « haut relief » en calcaire, non pas le tendre et friable tuffeau blanchâtre du val de Loire, mais ocre, au grain très fin comme on en trouve en Bourgogne ou, plus proche, dans la région de Caen.

Cette sculpture, destinée à être présentée verticalement, a été détachée, voire arrachée de son fond, sans être brisée.

Le haut relief est une technique de sculpture en 3 dimensions, comme la statue en « ronde bosse » sur son socle, mais plus ou moins détachée d’un fond ; on l’appelle aussi « demi-bosse ».

Très fréquemment utilisée à la Renaissance pour la décoration des façades de bâtiments publics ou religieux, elle l’est plus rarement dans l’art funéraire.

« Le type du gisant, création de l’art funéraire du Moyen Âge chrétien, évoluera à la fin du XIII° siècle (il était auparavant figuré idéalement jeune et beau) où l’on assiste à une recherche de vraisemblance physique dans la représentation du défunt : cela se remarque déjà dans l’effigie funéraire du roi Philippe III le Hardi, mort en 1285 et enseveli en l’abbatiale de Saint-Denis, mais plus encore dans celle du connétable du Guesclin, mort en 1380, dont la petitesse et la laideur légendaires furent reproduites fidèlement. »

Maryse Bideault « Encyclopédie Universalis », V° « gisant ».

Mais, alors, qui est donc cette belle dame, richement vêtue et parée, si bien représentée sur cette pierre autrement plus fine et tendre que notre granit local ?

Pour Job Jaffré « Seigneurs et seigneuries du Kéméné-Héboé », Dalc’homp sonj ! 1986, page 148, il pourrait s’agir de Marie de Rosmadec, née vers 1450 qui épousera en seconde noce vers 1475 Jean II de Malestroit (1445-1508) le petit-fils du Chambellan du duc Pierre II.

Pour Bernard Rio (1.200 lieux de légende en Bretagne -Coop Breiz, 2019, page 98), il s’agirait « probablement » de la duchesse Marie, née vicomtesse de Limoges (1260-1290), l’épouse d’Arthur (1261-1312) et la mère du duc Jean III et de Guy de Penthièvre et donc, la grand-mère de Jeanndig flam, l’épouse de Charles de Blois.

A la mort de son père, Guy VI de Limoges, dit « le Preux », en 1263, la petite Marie, 3 ans, héritera de la totalité de la vicomté de Limoges qui restera administrée sous la tutelle de sa mère, née Marguerite de Bourgogne. C’est elle qui, avant de mourir en 1277, négociera le mariage, en 1275, de leur fille unique, Marie, avec Arthur, futur duc de Bretagne auquel elle apportera en dot la vicomté de Limoges.

Leur fils aîné, Jean III le Bon, héritera du duché tandis que son frère cadet, Guy de Penthièvre, héritera, lui, de la vicomté de Limoges qu’il transmettra à sa fille Jeanne, épouse de Charles de Blois.

S’ils durent laisser le duché aux Dreux-Monfort, les Blois-Chatillon conservèrent la vicomté de Limoges qu’ils transmirent à leur descendants directs, puis, par les d’Albret, jusqu’à Henri de Bourbon (1553-1610), qui accédera en 1589 au trône de France sous le nom d’Henri IV et réunira la vicomté de Limoges à la couronne.

Outre le sévère granit de leur sol et de leurs constructions, les bretons continuent de partager avec les limougeauds les armoiries herminées héritées de Guy de Penthièvre et une piété populaire sous forme d’« ostensions » qui sont pour eux ce que sont pour nous nos pardons…

Dans son ouvrage « Histoire de Cléguer et du Bas Pont Scorff » paru en 2012 aux éditions du Menhir, aimablement communiqué par Alain Le Roscoët, l’auteur, Xavier Dubois, complète ainsi la description de Louis Rosenzweig : comme dans les costumes des environs de 1260. Le manteau est retenu par une cordelière qui passe sur la poitrine .

La tradition locale l’appelle « en duguess ».

« Vox populi, vox Dei » ; il s’agirait donc bien, comme l’évoque Bernard Rio, de la duchesse Marie de Limoges.

En effet, l’épouse de Jean de Malestroit, née Marie de Rosmadec, aussi haute et puissante dame qu’elle soit, n’a jamais revendiqué le titre ducal conféré par la tradition populaire au personnage que représente la sculpture de la chapelle N. D. de Bonne Nouvelle du Bas Pontscorff.

Xavier Dubois précise dans son ouvrage (page 77) que la pierre n’a pas toujours été au même endroit :

« En 1671 elle est signalée au milieu du chœur. Après la révolution, elle aurait été déposée dans la chapelle Saint Jean. » C’est à dire de l’autre côté du Scorff, sur la commune de Pont-Scorff….

« en 1874 un bulletin de la société polymathique du Morbihan la signale dans la chapelle Saint Joseph de Meslien »

Si le bulletin de cette honorable société savante pour l’année 1874 comporte bien, pages 133 et suivantes, un article de M. Jegou sur « la dame de Tronchâteau », consulté sur le site « gallica.bnf », « l’antique débris de monument funéraire » est alors toujours « relégué dans un angle obscur de la modeste et vieille chapelle Notre-Dame de Bonne Nouvelle située au Bas Pontscorff, commune de Cléguer ».

C’est peut être à la suite de cet article que, pour éviter ce qui venait d’advenir au gisant de la fondatrice de l’abbaye de la Joie à Hennebont, la duchesse Blanche de Champagne (1226-1283), épouse du duc Jean I° « le roux » (et grand mère du duc Arthur II), qui s’y est fait inhumer, subrepticement déménagé au Louvre où il se trouve toujours, que le commandant Henri Huchet de Cintré (1808-1876), fit transporter la dalle de calcaire dans la chapelle domestique de son château de Meslien, où il habitait, commune de Cléguer…

Mais revenons à notre dalle

«  Elle est ensuite déposée dans la sacristie de Notre Dame, à l’inventaire de laquelle elle figure lors de la séparation de l’Église et de l’État en 1902 »

Et l’auteur de poursuivre :

« elle disparaît peu de temps après au profit d’un particulier jusqu’à ce qu’un paroissien s’en émeuve auprès des autorités préfectorales »

Sans plus de précision, il conclut :

« la statue réintègre alors sa place dans la sacristie, avant d’être déplacée vers son emplacement d’origine, dans le chœur de la chapelle. »

Aujourd’hui cette pierre tumulaire se présente telle que vous la voyez : couchée à l’horizontal : c’est donc bien un gisant !

Ayant échappé à la convoitise des conservateurs des musées nationaux elle est confiée aux bons soins de « l’association des amis de la chapelle du Bas » qui, sous l’actuelle présidence de Jean Turquin, en assure l’entretien et l’animation. 

Les portes vont être repeintes couleur sang de bœuf, et le motif en bronze ou en laiton du tabernacle repris.

De son côté, la municipalité de Cleguer ne reste pas inactive : elle envisage la reprise du dallage au droit de la porte latérale et la réfection de l’escalier menant à la tribune (« Le Télégramme » du 5 mars 2020)

Le pardon de Saint Pierre s’y déroulera le 27 juin 2020 et celui de Notre Dame de Bonne Nouvelle le 15 août suivant, comme chaque année.

Dès à présent, la fraternité Saint Patern du Tro-Breiz, sous la direction de Marie-Alix de Penguily et à l’instigation d’Alain Le Roscoët, s’est donné rendez vous, pour ce qui la concerne, le dimanche 29 mars 2020, pour la messe à 10 h à l’église paroissiale Saint Gérand de Cleguer qui honore ainsi le saint évêque d’Auxerre à la fin du X° siècle.

Il y a fort à parier que notre marche de l’après midi nous conduira jusqu’au Bas Pontscorff et sa chapelle Notre Dame de Bonne Nouvelle où nous pourrons, de conserve admirer entre autres trésors son fameux « gisant » !

Vous y êtes tous les bienvenus !

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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