Octobre 1933, soit donc il y a 90 ans ce mois-ci : une grande nouveauté apparait dans la presse bretonne, du moins dans celle qui a pour souci l’identité culturelle, linguistique des Bretons. Il s’agit de la naissance de la première revue intégralement en breton destinée à la jeunesse. Cette revue a pour titre Feiz ha Breiz ar Vugale (Foi et Bretagne des Enfants), un vrai programme spirituel et culturel, en quelque sorte le pendant de la revue Feiz ha Breiz des adultes.
Dans la presse bretonne, un grand vide : l’absence d’une presse pour la jeunesse bretonne
Dans ces années d’après-guerre, la nécessité de créer une revue authentiquement bretonne pour la jeunesse était devenue une urgence, car dans les années 30, la francisation des Bretons s’accélère, et connaît une certaine violence idéologique renforcée par la victoire de 1918. Cette francisation est d’autant plus aisée, qu’une majorité de la population est, soit passive, soit consentante, et rejette désormais «le monde d’avant» ; la propagande patriotique jacobine ne connaît plus de limites.
Dans la presse bretonne il y a un grand vide que comble allégrement la presse dite «parisienne», et qui diffuse chez ses jeunes lecteurs un esprit français qui les rends indifférents à tout ce qui est breton. La Bretagne, c’est la gentille province avec son aimable et original folklore, un cadre dont elle ne doit pas s’affranchir sous peine d’être taxée d’autonomisme, une qualification qui dans les années 30 ne pardonne pas. Parmi les titres en vogue, il y à la presse catholique et la presse non-confessionnelle. La presse catholique a alors un quasi monopole dans les écoles et les patronages, et parmi les titres, les plus implantés, Coeurs-Vaillants, puis plus tard, Âmes-Vaillantes, Lisette, Bernadette, la Semaine de Suzette, l’Echo de Noël, Le Noël, Le Croisé, Bayard, Bernadette, et quelques autres publications de moindre importance. Quant à la presse non-confessionnelle, mais de confession tout de même très républicaine et patriotique française, elle s’octroie le monopole dans les écoles et les patronages de l’Instruction Publique. (1)
Cette presse, confessionnelle ou non, est en général irréprochable dans sa tenue morale et … patriotique. On y défend les mêmes valeurs destinées à faire des jeunes lecteurs de bons patriotes républicains. En ce qui concerne la presse catholique, il s’agit en plus d’en faire de bons chrétiens, de bons catholiques, ce qui allait de soit. Mais, le point commun de cette presse est d’ignorer, outre bien sûr la langue, toutes les traditions bretonnes, toute culture bretonne, sans parler de l’Histoire de Bretagne qui ne peut exister, sauf à travers quelques personnages comme Du Guesclin ou Anne de Bretagne, cette dernière étant assignée dans son statut historique de reine de France bien soumise. Quelques vies de saints bretons, quelques contes et légendes, jeux, et surtout l’image d’une Bretagne de folklore assure la bretonnité de cette presse. C’est peu de dire que la francisation des jeunes lecteurs y trouve largement son compte. Qu’elle soit laïque, catholique ou neutre, ce qui était assez rare, elle complète très efficacement le travail de francisation des fameux «Hussards noirs de la République», et cette efficacité est d’autant plus grande qu’elle est sans contrainte, qu’elle est ludique, et cela n’est pas sans inquiéter l’évêque de Quimper, Monseigneur Duparc qui pourfend « cette presse impie… »
L’absence d’une presse bretonne pour la jeunesse, alors qu’il existe une grande quantité de journaux, de revues culturelles et politiques qui traitent des questions bretonnes inquiète depuis longtemps le jeune et dynamique abbé Perrot. Il a, contrairement à bien des militants bretons, perçu le danger de ce vide dans l’action bretonne d’alors. Il a bien compris qu’au sein de son œuvre du Bleun-Brug, une presse bretonne pour la jeunesse bretonne est indispensable, car la foi et l’amour de la patrie se forment dès la petite enfance sur les genoux de la mère, mais aussi par de saines lectures, comme à l’école et au catéchisme. D’ailleurs, ses amis Gallois qui possèdent pour la jeunesse galloise une belle presse, lui ont fait remarquer cette absence bretonne, et c’est sans difficulté que l’abbé Perrot se laisse convaincre. Il a bien tenté d’intéresser à un projet de presse bretonne pour la jeunesse des amis écrivains, dessinateurs, mais en vain, ceux-ci sont davantage préoccupés par la formation du monde des adultes que celui de l’enfance. Non pas que ceux-ci méprisent ce genre de communications, mais plutôt qu’ils ne se sentent pas la compétence pour une telle entreprise. En effet, il est bien plus difficile de créer une revue pour la jeunesse qu’une revue, qu’un journal pour adultes, il y a toute une psychologie, toute une approche suivant les âges à assumer pour retenir l’attention des jeunes, faire de la revue «leur revue» qu’ils attendent, numéro après numéro, avec impatience. Bref d’en faire le complément indispensable de leur éducation bretonne, ce qu’a fort bien compris la presse parisienne pour mener à bien la francisation. L’abbé Perrot va donc chercher, mais avec difficulté, le talent qui lui permettrait de lancer cette revue bretonne qui faisait tant défaut.
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1933, le talent tant attendu frappe à sa porte …
Ce talent, cette perle rare va un jour frapper à la porte de son presbytère de Scrignac. Plus exactement, par courrier. Un jeune léonard comme lui, mais qui a dû monter à Paris pour son métier en hôtellerie, le sollicite depuis un certain temps pour revenir au pays. Ce jeune homme, âgé de 21 ans, originaire de Pleyber-Christ, fréquente le milieu militant breton parisien, et dans les conversations fortement animées revient régulièrement le nom de Yann-Vari Perrot, recteur de Scrignac qui a fondé le Bleun-Brug et qui attire la jeunesse bretonne avide de redécouvrir ses racines, sa culture, sa langue, son histoire.
Le jeune Herry Caouissin veut en savoir davantage sur ce prêtre dont le nom, qui ne lui est d’ailleurs pas inconnu, puisqu’il avait fait sa première communion avec lui, est prononcé avec respect et semble être la référence morale, spirituelle, culturelle, voire politique de tous ces jeunes militants passionnés. Il s’en ouvre auprès d’un ancien camarade de classe, Yves Berthou, qui connait bien le dynamique recteur. A cette époque, le jeune Herry Caouissin, très doué pour le dessin, possédant aussi l’art d’écrire des contes, des légendes, envoie régulièrement ses bandes dessinées et ses textes à l’illustré Coeurs-Vaillants, celui-là même qui agaçe l’abbé Perrot et son évêque. Dans les bureaux de la rédaction parisienne, rue de Fleurus, il croise un autre jeune de son âge, un certain Georges Rémy, qui plus tard deviendra célèbre sous le pseudonyme d’Hergé. C’est ainsi que dans le numéro 29 du 19 juillet 1931, une bande dessinée de Herry Caouissin voisine avec celle d’Hergé, Tintin au pays des Soviets.
Yves Berhou avait entendu dire que l’abbé Perrot, débordé de travail avec son ministère, son Bleun-Brug, sa revue Feiz ha Breiz, sans parler de tous ses autres projets, dont celui de créer une revue pour la jeunesse bretonne, recherchait un secrétaire intéressé par les questions bretonnes. Yves Berthou qui appréciait les talents de son ami, lui conseilla vivement d’écrire à l’abbé Perrot, de tenter sa chance en lui envoyant quelques dessins et textes. Pourquoi pas, se dit le jeune Herry Caouissin, mais impressionné par l’aura de ce prêtre, il se persuade qu’un tel homme n’aura guère le temps d’accorder de l’intérêt à ses «gribouillages». Mais devant l’insistance de son ami, il se risque à envoyer au directeur de Feiz ha Breiz quelques contes accompagnés de dessins, et une lettre expliquant son vif désir de revenir en Bretagne et de travailler pour elle.
Mais laissons plutôt à Herry Caouissin, par ses mémoires, nous conter les débuts de sa collaboration avec l’abbé Perrot :
«Pendant plusieurs mois j’envoyai à Monsieur Perrot mes dessins. Le temps passa sans que je reçoive de réponse. A l’évidence, pensais-je, mes petites histoires illustrées n’avaient pas dû trouver le moindre intérêt, et à continuer je perdais mon temps. Même si je n’attachais pas plus d’importance que cela à ce que je prenais pour une fin de non-recevoir. Eh quoi ! Un illustré parisien de notoriété acceptait de publier mes dessins, mes histoires, et une revue bretonne n’y accordait aucun intérêt ! J’étais déçu … et vexé. Je pensais que mon ami Berthou s’était lui-même illusionné sur les intentions du directeur de Feiz ha Breiz qui, à n’en pas douter, avait sûrement mieux à faire que de s’intéresser à mes gribouillages et petites histoires. J’avais fini par oublier cette correspondance sans lendemain, quand un jour ma mère, toute excitée, me sorti le dernier numéro de Feiz ha Breiz (novembre 1931) dans lequel était publié l’une de mes histoires illustrées. Bien qu’habitué à voir régulièrement mes dessins publiés dans Coeurs-Vaillants, je n’en revenais pas de me voir publié dans une revue bretonne. Du coup, l’intérêt pour cette revue me prit, et je m’y attachai, et surtout, je repris ma correspondance avec l’abbé Perrot, lui réaffirmant mon vif désir de revenir en Bretagne et de travailler pour elle. Je lui précisais même que je ne demandais aucun salaire. Dès lors, ma grande joie étais de recevoir des lettres de l’abbé Perrot, elles m’enflammaient, et surtout, quelle nourriture bretonne et spirituelle elles m’apportaient.
Une lettre de l’abbé Perrot me donna tous les espoirs :
«J’en suis venu à croire que nous pourrions réaliser de grandes choses très intéressantes et faire du travail breton du plus grand intérêt si vous continuez pendant plusieurs années à collaborer avec moi. Il y a neuf ans que l’on demande la publication d’un Feiz ha Breiz pour enfants. Depuis 21 ans que je dirige Feiz ha Breiz, j’ai vu des collaborateurs venir vers moi; après un travail de deux ou trois mois, ils étaient fatigués, sans convictions et je n’entendais plus parler d’eux. Je n’ai donc pu réaliser ce projet; avec votre concours, peut-être pourrai-je faire ce qui n’ a pu être jusqu’ici réalisé en Bretagne.»
Ainsi donc, l’abbé Perrot, malgré son long silence, avait étudié, jugé, apprécié mes dessins, mes histoires, réfléchi sur mes lettres suppliantes, et en fin de compte pris sa décision pour me proposer d’être son collaborateur : «Mon cher Herry, ta dernière lettre m’a ému jusqu’au fond du coeur. Tu as un idéal, et c’est ce qui me plais en toi. Ce n’est pas après l’argent que tu cours, s’il vient par dessus le marché, tant mieux. Tu peux donc venir chez moi. Tu auras ta chambre. Tu mangeras à ma table, et si Feiz ha Breiz marche, comme je ne prend pas un sou, je te donnerai ce qui sera possible.»
Mon ami Yves Berthou ne manqua pas de me faire comprendre l’immense faveur, l’immense confiance qui m’étais ainsi faite, d’autant que l’abbé Perrot n’était pas homme à prendre ses décisions à la légère, et il avait ce don de savoir discerner les talents. Il était donc hors de question de le décevoir, et cette recommandation impérative me sera faite également par la Comtesse Vefa de Saint Pierre. Alors que je venais d’être embauché, de passage au presbytère de Scrignac où elle avait ses habitudes, elle me toisa d’une façon toute militaire, et me dit : «Ah, c’est vous le secrétaire de Monsieur Perrot, j’espère jeune homme que vous nous décevrez pas !…» Bien plus tard, en 1953, par une indiscrétion, je devais apprendre que mon salaire, pendant 10 ans, avait été payé par la Comtesse Vefa de Saint Pierre, grande bienfaitrice des œuvres de l’abbé Perrot, et qui n’hésitait pas à utiliser sa fortune pour les causes bretonnes qui en valaient la peine, et les œuvres de l’abbé Perrot étaient de celles là. Alors que je voulais la remercier de ce qu’elle avait fait jadis pour moi, elle me répondit : «Mon cher Herry, je ne vois pas de quoi vous voulez parler». Cela fût dit sur un ton affectueux, mais qui ne souffrait pas d’aller plus loin …
L’abbé Perrot m’engageais, non seulement pour créer cette revue tant attendue pour la jeunesse bretonne, mais aussi pour être son secrétaire pour le Bleun-Brug. Pas plus lui que moi n’imaginions que notre destin venait de se lier pour 10 ans, surtout je ne pouvais alors imaginer que ma vie allait être définitivement marquée par lui, comme le sera la vie de bien d’autres bretons qui viendront dans son sillage, que son idéal Feiz ha Breiz serait aussi le mien
AUSSITÔT DIT, AUSSITÔT FAIT !
Le jeune Herry Caouissin se met immédiatement au travail. Il a très bien compris ce que souhaite l’abbé Perrot avec sa revue pour enfants, et son expérience à Coeurs-Vaillants lui facilite la tâche, il dira lui-même que ce travail était pour lui un jeu … d’enfants. Dans un premier temps, l’abbé Perrot le charge d’assumer une rubrique mensuelle, des histoires illustrées dans son Feiz ha Breiz, et surtout les remarquables «pages-catéchistes» en breton intitulée «Ar c’hatekiz dre daolennou». (2)
0ctobre 1933, le premier numéro de Feiz ha Breiz ar Vugale sort. La couverture est illustrée d’un dessin du peintre Xavier de Langlais montrant une petite fille demandant à sa maman de lui parler en breton «Komzit brezoneg din, mammig !». Xavier de Langlais, avec d’autres artistes, deviendra un collaborateur régulier de Feiz ha Breiz.
L’abbé Perrot se félicite d’avoir fait confiance à ce jeune homme, il exulte car enfin il l’a, sa revue. Il est d’autant plus heureux qu’il reçoit les félicitations et encouragements de ses amis gallois, de la dynamique Comtesse de Saint Pierre qui «adoube» en quelque sorte le jeune secrétaire de son recteur; «J’espère que vous nous décevrez pas !» lui avait-elle dit, et il n’avait pas déçu. Mais tout ce bonheur ne serait pas complet s’il ne venait s’ajouter les compliments, les encouragements, la bénédiction de Monseigneur Duparc. L’enjeu est d’importance, car toute la diffusion de Feiz ha Breiz ar Vugale dans les familles, les écoles, les patronages dépend de l’approbation de l’évêché. Sans cet aval, rien ne sera possible. Comme le recteur de Scrignac, l’évêque de Quimper se réjouit de pouvoir contrer la presse parisienne, fut-elle catholique, car il est très attentif à tous ce qui relève de la culture et des traditions bretonnes, et cette presse détourne la jeunesse bretonne de ces richesses. Mais ce succès ne supprime pas pour autant un autre problème : la presse parisienne possède partout, une solide implantation qu’il sera très difficile de concurrencer, et surtout, cette presse possède une puissance financière que n’a pas la petite revue bretonne, et qu’elle n’aura jamais. Dans le seul diocèse de Quimper et Léon, Coeurs-Vaillants, qui est un hebdomadaire, diffuse jusqu’à 5000 exemplaires. De plus, en ces débuts d’années 30, la francisation est si avancée dans la société, dans les familles, à l’église, dans le clergé et les écoles, qu’une revue entièrement rédigée en breton, si intéressante soit-elle, risque fort de se heurter à des réticences, des rejets, de paraître même rétrograde. Pourtant, son contenu très riche, très varié, peut largement soutenir la comparaison avec les revues, les illustrés parisiens. Herry Caouissin a conscience de ce déséquilibre dans les moyens, mais cela ne lui fait pas peur, il est certain du succès. Dès le premier numéro, il lance un vibrant appel aux jeunes, aux familles :
«Enfants de Bretagne, vous avez maintenant lu votre premier numéro de votre Feiz ha Breiz ar Vugale. Il vous plaît ? J’ai confiance que tous répondront «Oui», et cela nous plaira aussi. Vous avez lu la vie des saints bretons, saintt Mélar, vous avez lu le premier cours de catéchisme par l’image : «La création du monde». Cela a été écrit pour vous, pour que vous soyez de bons chrétiens, pour que la foi reste vivante dans vos coeurs. Vous avez également lu le premier cours de l’Histoire de Bretagne. Vous avez vu avec beaucoup de plaisir les dessins du célèbre roi Arthur et de son barde Merlin jouant de la harpe. Enfants, retenez ce que vous avez lu avec attention afin de comprendre la vie de notre Bretagne, et lorsque vous la connaîtrez, vous l’aimerez de tout votre coeur. Vous avez vu les cours de breton par l’image. Vous avez besoin d’apprendre le breton, le plus beau trésor de notre peuple, l’âme de la Bretagne. En avant donc, donc enfants de Bretagne, sur les pas de vos Pères, et recevez la bénédiction de Dieu et des saints bretons. Dans vos prières, demandez que notre cher pays soit sauvé.»
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UNE REVUE DE QUALITE CULTURELLE ET SPIRITUELLE
Feiz ha Breiz ar Vugale, malgré la modestie de ses moyens ne faillira jamais à la qualité de ses numéros successifs, ce qui devrait lui assurer le succès, et ce succès sera au rendez-vous, du moins le temps de la nouveauté, et parce qu’il se trouve un «noyau dur» de familles, d’écoles, d’instituteurs, d’institutrices et de prêtres convaincus. Il y a aussi l’indispensable recommandation de Monseigneur Duparc qui sonne comme un devoir de s’y abonner. Mais il y a aussi le «clan» des hostiles, des réfractaires à tout ce qui est breton, et ces hostilités viendront de partout, tant du côté des laïques anticléricaux, ce qui après tout est normal, que des milieux catholiques enseignants, influençant en cela les familles, sans parler des contre-offensives sournoises de la presse parisienne et régionale qui pourtant n’ont rien à craindre de cette modeste revue.
Dès son premier numéro, la revue annonce sa ligne de conduite : chrétienne, catholique et bretonne, afin de former une jeunesse fidèle à la foi, à une Bretagne authentiquement bretonne. Cela va amuser ceux qui ne voient dans cette entreprise qu’une utopie, qu’une nostalgie d’un monde appelé à disparaître. Mais l’amusement du début, devant le succès immédiat, va faire place à de continuelles campagnes de dénigrements, de calomnies qui laissent sous-entendre que les rédacteurs de la revue ont pour objectif de «fabriquer», sous couvert de la foi, de la culture bretonne des autonomistes. Si ces calomnies, au début, ne provoquent que des haussements d’épaules, elles vont avec le temps parvenir à leurs fins, détourner des lecteurs influençables. Mais ces calomnies visent, plus que la revue elle-même, l’abbé Perrot et son jeune collaborateur, accusés d’êtres en lien avec les partis politiques autonomistes.
Modeste, sans doute, mais dans le paysage presse et culturelle elle dérange, elle est l’intruse. Ainsi, malgré les approbations de Monseigneur Duparc pour que Feiz ha Breiz ar Vugale soit largement diffusé dans les écoles catholiques du diocèse, des établissements vont refuser la revue, même envoyée gracieusement, et vont même jusqu’à la dénigrer auprès des familles, déconseillant d’y abonner leurs enfants. L’abbé Perrot se trouve meurtri, blessé, humilié par ces refus qui ne passent pas inaperçus dans les tournées des facteurs, qui sont contraints de la renvoyer a l’expéditeur avec sur le bandeau de l’adresse, la mention infamante «REFUSE», bien en évidence, et parfois soulignée plusieurs fois, accusant ainsi la rage de l’auteur du refus. Ces refus sont une véritable contre-publicité et alimentent les bavardages médisants, les moqueries.
L’abbé Perrot s’en ouvre à son évêque, et il ne mâche pas ses mots :
«Monseigneur ! Si ce n’est pas une honte de voir des maîtres et des maîtresses des écoles chrétiennes de sa Grandeur, se f… ainsi d’un prêtre ! Et de faire si peu de cas de vos mandements. Monseigneur, ils sont la honte de la Bretagne, ils font le même travail que tous ceux qui veulent détruire notre langue, notre culture. Je les mets sur le même rang que ceux qui font la guerre à Dieu. Et que pensent nos postiers d’ici qui sont communistes ? De toute façon, là où entre Coeurs-Vaillants, Bernadette, La Semaine de Suzette, Pierrot, Mickey et autres comiques américains, Feiz ha Breiz ar Vugale n’a plus qu’à plier bagages.»
Herry Caouissin, en tant que directeur de la revue et secrétaire du recteur, s’en trouve lui aussi blessé, il réplique vivement par des courriers cinglants à ces instituteurs, institutrices, curés et bonnes-sœurs qui travaillent à la francisation de la jeunesse bretonne, «Tout cela parce qu’ils ont tous honte de leurs origines, bien souvent rurales, et qu’ils sont très satisfait de leur ignorance de toute culture bretonne !», dira-t-il. Mais c’est encore la Comtesse de Saint Pierre qui avec son caractère bien trempé, va appliquer de sévères sanctions à ces écoles récalcitrantes. Généreuse, elle multiplie les dons financiers aux écoles qui enseignent le breton et le catéchisme en breton, et dont les enfants portent fièrement le costume de leur paroisse. Aussi, lorsqu’elle apprend que l’une de ces écoles qui bénéficient de ses largesses refusent Feiz ha Breiz ar Vugale, en personne elle s’en va trouver les directeurs afin de les réprimander sans ménagement, les menaçant de leur retirer toute son aide. Ainsi, les écoles de Gourin, de Roudouallec, de Le Saint, du Faouët, de Spezet, de Châteauneuf-du-Faou, et de bien d’autres bourgs et villages vont connaître son courroux. La méthode est efficace, mais elle a aussi ses limites, car le rejet de la langue et des traditions bretonnes et le souci obsessionnel de paraître être de son temps, d’être francisé, est si fort chez certains, qu’ils préfèrent se passer des aides de la Comtesse.
UN COMBAT TROP INEGAL …
A son lancement, Feiz ha Breiz ar Vugale tire à 1500 exemplaires, parfois 2000, et a aussitôt un lectorat dans les familles, les écoles estimées entre 3000 et 4000 personnes. C’est peu à l’échelle de la Bretagne bretonnante, mais des chiffres qui font espérer un bel avenir. La revue va ainsi tenir six ans, et sortir 62 numéros. Hélas, à chaque relance d’abonnement, la revue perd des lecteurs. A-t-elle déçue ? A part d’inévitables mécontents, ce qui est somme toute la règle du jeu pour toutes publications, elle est très appréciée. La raison principale des désaffections, outre les influences de Paris, est le travail de dénigrement d’adversaires déclarés, mais aussi de ceux qui auraient dû la soutenir.
En six ans, le breton a considérablement reculé, et les mandements renouvelés de Monseigneur Duparc pour que dans les écoles catholiques la langue bretonne, l’histoire de Bretagne, la géographie soient enseignés n’y change rien : il y a trop d’indifférence, d’adversaires. Et il y une autre cause : bien des coups bas viennent de confrères de l’abbé Perrot, jaloux, incapables d’intéresser la jeunesse à autre chose qu’à des jeux de patronages. Des prêtres et des religieuses qui traînent le complexe de leur origine rurale, d’où leur hargne sur tous ce qui peut la rappeler.
En 1937, la revue change de format, et ressemble davantage à un petit journal, mais a aussi considérablement réduit ses pages, le résultat d’une désaffection du lectorat, mais aussi du fait que Herry Caouissin a de moins en moins le temps de s’y consacrer, tant le Bleun-Brug l’occupe, et malgré la générosité de Madame de Saint Pierre, l’argent ne suit pas. Au printemps 1939 paraît le dernier numéro qui est un «SOS» : «Feiz ha Breiz ar Vugale a zo warnez mervel» (est sur le point de mourir), cet appel ne sera pas entendu.
Pour l’abbé Perrot et Herry Caouissin c’est la fin d’un beau rêve qui était, malgré les difficultés devenu une réalité. Tous deux s’en trouvent très affectés. C’est peu de dire qu’ils rendent responsables de cet échec davantage les Bretons se délectant de leur francisation, que les ennemis bien connus des causes bretonnes, car ceux-là n’auraient rien pu faire devant des Bretons convaincus de leur identité en danger. L’amertume de cette disparition est d’autant plus ressentie, que les ennemis de la langue bretonne jubilent, et y voient une confirmation que la langue bretonne a fait son temps et n’intéresse plus les familles, la jeunesse.
Mais, Feiz ha Breiz ar Vugale a-t-il été vraiment un échec ? Non ! affirme Herry Caouissin. Durant six années, la petite revue a malgré tout rempli son rôle : ouvrir à la foi et à la Bretagne des milliers d’enfants, des familles entières, qui sans elle auraient tout ignoré de leurs racines bretonnes. Herry Caouissin ne voudra pas rester sur ce demi-échec, «qui n’en était un que dans la mesure où nous n’étions pas parvenus à décrasser (sic) de leur francisation la mentalité d’une majorité d’enseignants, de bien des parents … et de trop de curés et de bonnes-sœurs, ces derniers, plus destructeurs que les pires jacobins de la République», dira-t-il.
Homme à ne pas se laisser vaincre, il entend bien ne pas en rester là. Son passage à Coeurs-Vaillants lui a appris les arcanes du métier dont il a tiré bénéfice pour Feiz ha Breiz ar Vugale. Mais ce qu’il n’avait pas prévu, ou du moins dans son idéal sous-estimé, c’était la francisation très avancée, progressant chaque jour, des Bretons, la force du rejet du monde d’avant, c’est à dire celui de leurs ancêtres, celui de leurs racines. La réalité est que le «tout en breton» n’est plus la solution, même dans une Bretagne (la partie bretonnante) où la langue bretonne est encore dominante.
Il a aussi remarqué que la presse nationaliste bretonne, comme le journal Breiz Atao, ou encore des revues culturelles comme An Oaled (Le Foyer breton), qui en toute logique auraient dû être rédigés en breton, sont en français, ou bilingues. Même La Semaine Religieuse, le bulletin de l’évêché n’utilise que le français, alors que les «Paroissiens» (les livres de messe) sont tous en latin et breton (3). A cela, une raison bien simple : les directeurs de publication qui sont des réalistes, eux-mêmes bretonnants, savent fort bien que pour être lu et faire passer les causes bretonnes, que cela plaise ou non, il faut désormais privilégier le français, sans quoi c’est la confidentialité assurée. Il fallait savoir si l’on écrivait pour de petits cercles d’initiés, de convaincus, des intellectuels ou pour le peuple qu’il faut atteindre et convaincre. Pourquoi n‘en serait-il pas de même pour une revue pour la jeunesse ? Il ne s’agit aucunement de se renier et de donner raison aux ennemis de la langue bretonne, mais de faire alors preuve de réalisme. De plus, dans ses deux composantes, la Bretagne n’est-elle pas bilingue ? Sur ce constat, qui ne se veut pas défaitiste, Herry Caouissin projette déjà le lancement d’un journal, d’un illustré comme on disait à l’époque, sur le modèle de Coeurs-Vaillants. Ce sera OLOLÊ, une autre aventure qui marquera toute une génération et dont nous vous entretiendrons dans un prochain article.
Herry Caouissin avouera : «Je ne pouvais laisser mon cher abbé Perrot sur cette douleur, sur ce que lui prenait pour un échec personnel. Il n’était pas parvenu, disait-il, à convaincre de sa foi bretonne les familles bretonnes. Il se trompait, son Bleun-Brug et la nombreuse jeunesse qui marchait dans son sillage prouvaient largement qu’il n’avait pas démérité, et c’est bien parce qu’il avait su réveiller toute une jeunesse dans sa foi chrétienne et sa culture bretonne, que ses ennemis s’acharnaient contre son œuvre. »
Aujourd’hui, une collection complète de Feiz ha Breiz ar Vugale est introuvable, excepté chez quelques collectionneurs, sur Gallica ou encore via ce lien. La consulter, c’est découvrir la richesse d’une modeste revue dont l’ambition était, par la fidélité aux vertus chrétiennes, à la foi, à la langue, à la culture et aux traditions bretonnes, et par la beauté et le sacré, de former, dès leur petite enfance, les adultes de demain, des Bretons, des Bretonnes fières de leur pays, de leurs racines, en un mot de former une authentique élite, et les ennemis de l’abbé Perrot ne s’y étaient pas trompés …
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SOURCES :
- Archives Herry Caouissin. Dossier Feiz ha Breiz ar Vugale – Ololê.
- Mémoires de Herry Caouissin.
- Livres de Youenn Caouissin «Vie de l’abbé Yann-Vari Perrot. J’ai tant pleuré sur la Bretagne». Editions Via Romana (2017, épuisé).
- Du même auteur, «L’abbé Yann-Vari Perrot, une âme pour la Bretagne». Editions Via Romana – Ar Gedour (2021. 14 euros)
Notes:
1) De septembre 1932 à mai 1939, a paru une modeste revue de 4 à 8 pages pour enfants, Breizadig. Kelaouenn evid ar vugale, elle dépendait du journal Breiz, dont le directeur était Yves Le Moal – pseudonyme littéraire Dirnanor). Herry Caouissin, sous le pseudonyme d’An Alarc’h en dessinera le titre et fournira des dessins.
2) Herry Caouissin présentera son frère Ronan (le futur écrivain-historien Ronan Caerléon), lui aussi doué pour le dessin, à l’abbé Perrot, qui lui demandera aussi d’illustrer certains contes.
3) Dans la Bretagne bretonnante, jusqu’au tournant des années 1950, la majorité des livres de messe seront en latin et breton, y compris les livrets de cantiques, bien que depuis plusieurs années, les livrets de cantiques français commencent, grâce à des prêtres hostiles à la langue bretonne, à s’imposer. C’est ce clergé, qui après le Concile va se croire autorisé à expulser de la liturgie le latin, le chant grégorien et la langue bretonne à travers ses cantiques.
Trugarez evit ar skrid-mañ.
« Dans la presse bretonne il y a un grand vide que comble allégrement la presse dite «parisienne», et qui diffuse chez ses jeunes lecteurs un esprit français qui les rends indifférents à tout ce qui est breton. »
Ha pegen gwir eo hiriv c’hoazh etre ar gatoliked. Ar re zizoue a nac’h o bro hag e feiz, ar pezh n’eo ket souezhus. Met etre ar re a zalc’h bev feiz o hendadoù e vez ankounac’het pe disprizet o sevenadur. Emgavioù breton evel « Feiz ha Breizh » a zo evidomp-ni talbennoù e-lec’h ma rankomp sevel a-enep ar seurt traoù-mañ, ha brav e oa gwelout ha klevout eo pouezus d’an aozerien ivez.
Ur goulennig evit ar skrivagner, a drugarekaan c’hoazh, daoust-hag eñ e skrivent e brezhoneg an A. Perrot hag ho tad pa gasent an eil d’an egile lizheroù ? Lennet em boa bet lizheroù an A. Perrot, bet skrivet abalamour d’e labour dastum evit e « Varzhaz Bro Leon », ha skrivet e galleg memestra.