Samain, Halloween, Toussaint & Jour des morts

Illustration Korrig'Anne (DR)
Amzer-lenn / Temps de lecture : 11 min

On oppose aujourd’hui aisément la fête d’Halloween à la fête chrétienne de la Toussaint (1er novembre… dès les premières vêpres, soit donc la veille) et la fête des trépassés (2 novembre), en oubliant les racines de chacune alors que l’on pourrait aisément ré-évangéliser cet Halloween version américano-commerciale n’ayant clairement plus rien à voir avec une tradition antique, non en s’y opposant mais en rappelant les origines de cette fête et ce que le christianisme peut en dire.

D’un côté, Halloween, dont l’étymologie elle-même révèle l’origine chrétienne de cette fête, même si elle trouve ses racines bien avant (le mot Halloween ne vient pas du vieil anglais comme on l’entend bien souvent mais d’un terme gaélique ancien signifiant « assemblée des saints« ).

De l’autre, la Toussaint qui se mêle allègrement aujourd’hui à la fête des morts, alors que l’Eglise catholique invite sur deux  dates (et non une !) à se rappeler de ceux qui ont été : à savoir un jour dédié à ceux qui sont déjà saints et au ciel (Eglise triomphante), et le lendemain pour tous ceux qui sont trépassés, sont en voie de sainteté et pour lesquels nous devons prier (Eglise souffrante). Rappelons qu’au ciel, il n’y a que les saints (et pas seulement ceux qui sont déclarés comme tels par l’Eglise, ces derniers étant des modèles qui nous sont donnés, à nous, l’Eglise militante).

Ce que nous dit la fête de Samain

Ce « triduum » se mêle donc avec une fête que les néo-pagan aiment à rappeler de nos jours : la fête de Samain (Samônios en gaulois ou encore Samhuinn en gaélique d’Écosse)- qui se prononce Saouinne –  sonnant la fin de l’été, son affaiblissement. La mort de l’été, la période sombre qui va ouvrir vers la lumière, disent les textes mythologiques irlandais. Il faut déjà savoir que la fête de Samain ne tombait pas forcément le 31 octobre mais était célébrée sur trois jours entre le 28 octobre et le 3 novembre, selon le cycle lunaire.

L’importance de cette date se retrouve dans beaucoup d’événements des mythes celtiques. Par exemple, nous rapporte Christian Guyonvarc’h, dans le récit fondamental de la Seconde bataille de Mag Tured, c’est à Samain que le Dagda, avec la Morrigan ou déesse de la guerre -son épouse- a rendez-vous à l’occasion duquel elle lui promet de venir en aide aux Tuathà Dé Danann. Samain est aussi le moment où l’état-major des Tuathà Dé Danann se réunit pour préparer la lutte décisive contre les Formore. Les événements courent d’une fête de Samain à l’autre. (cf « Les Druides », p250 et suivantes- Ed. Ouest-France).  La date de cette fête marque ainsi le début de l’année celtique, une sorte de charnière entre deux années, mais aussi entre le monde humain et le monde des morts. Il n’est pas inutile de préciser que un an et un jour est, dans la conception celtique du temps, symbole d’éternité. Samain est en quelque sorte une période close, qui n’appartient ni à l’année qui se termine, ni à l’année qui commence, échappant ainsi aux contingences des deux dimensions. Pour les Celtes, il n’y a plus de frontières en la fête de Samain, entre le monde des vivants et l’autre monde, et c’est encore plus vrai dans les lieux consacrés (omphaloi). Ainsi, en cette nuit, les morts de l’année écoulée partaient pour l’Autre Monde (le Sidh), car un passage se formait entre celui-ci et celui des vivants. Les âmes des défunts du temps passé rendaient visite à leurs familles. On passait de la saison claire à la saison sombre, de la lumière de l’été à la tristesse de l’automne engendrant l’hiver. Un passage s’ouvrait de la lumineuse saison vers le royaume de l’ombre, et les deux hémisphères célestes ne s’ouvraient qu’à ce moment. Les frontières du monde visible et du monde invisible tombaient. Le temps et l’espace n’existaient plus. Il devenait donc possible pour les humains de visiter le Sidh, et pour les habitants du Sidh de s’introduire au Royaume des Vivants. L’arbre-maître de cette époque est l’if (symbole d’éternité qui a ses racines dans le monde des morts et qui montent vers le monde spirituel), que l’on retrouve toujours dans nos cimetières.

Illustration Korrig’Anne (DR)

Quand les morts sont heureux et qu’on les respecte, ils trouvent repos éternel (on retrouve cette même espérance chez les Celtes et chez les chrétiens). C’est pourquoi les foyers jusqu’il n’y a pas si longtemps, dans une survivance d’un rite ancestral enfoui dans les souvenirs, laissaient une bougie allumée sur les bords de fenêtres, avec un bol de lait et une galette, pour que ces esprits puissent se nourrir avant leur grand voyage. Les vivants prirent l’habitude de se costumer et de porter une lanterne, afin de faire peur au mauvais et de ne pas se faire reconnaitre des esprits sombres et autres créatures issues des mondes souterrains. Il ne s’agissait donc pas d’une exaltation du prince des ténèbres et de ses valets, mais d’une sorte d’exorcisme au sein d’un temps sacré. La fête d’Halloween arrivait, avec le maintien de certaines de ces traditions (rappelez-vous par exemple la légende de Jack O’Lantern, avec le navet creusé dans lequel on met une bougie, devenu depuis une citrouille éclairée …)

Kala Goañv

En Bretagne, c’est Kala Goañv (les calendes d’hiver), c’est-à-dire le début du mois de novembre et des mois noirs. Miz Du ou mois Noir pour Novembre et Miz Kerzu (mois très noir) pour Décembre. Tourne le temps voguant au rythme des saisons, et les mois noirs qui s’écoulent comme on passe de l’ombre à la lumière et de la mort à la Vie. Au solstice d’hiver (sur lequel sera placée la fête de Noël), la lumière rejaillit et envoie le pouvoir.

Pour les Celtes, la perception de la lumière ne peut se faire que parce que l’obscurité elle-même existe, comme la nuit donne naissance au jour. Rappelons parallèlement que dans la Genèse, Dieu dit « qu’il y ait des luminaires dans l’étendue du ciel, pour séparer le jour d’avec la nuit; que ce soient des signes pour marquer les époques, les jours et les années ». De même, nous savons que la vie commence par la conception de l’enfant dans les entrailles de la mère avant que ce petit d’homme ne voit le jour. On ne peut donc prendre conscience de cette lumière qu’en tenant compte de l’obscurité qui la précède. C’est en soi cela que célébraient les Celtes. Là encore, nous voyons qu’il ne s’agissait pas d’une exaltation de la mort comme aiment à le penser ceux qui ne connaissent pas grand chose à la chose celtique ou comme la version commerciale d’Halloween tend à le faire croire.

Des semences du Verbe

Dès le prologue de Saint Jean, nous savons que le Verbe « au commencement était avec Dieu et le monde a été fait par Lui et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans Lui« . Comme le disait le père apostolique Saint Justin de Rome, il y a certainement de ces semences du Verbe, semences qui préexistaient en toute chose dans les cultes antiques à la venue du Christ. Une vérité venant du plus profond des âges et révélée par l’Incarnation et la Rédemption du Christ Jésus, « Dieu, né de Dieu, lumière, née de la lumière ». Même des païens astrologues comme les rois mages ont reconnu comme les premiers cette Lumière. Pourquoi pas nous ?

Plutôt que de dégommer ceux qui fêtent Halloween, des enfants qui viennent vous extorquer des bonbons aux néo-pagan qui fêtent une Samain fantasmée, peut-être devrions-nous–du moins en Bretagne–leur rappeler en quoi Halloween était une fête qui, si elle pouvait être était teintée de quelque superstition, mettait toutefois en avant le respect et le souvenir des gens que l’on avait connu et aimé, et que la Toussaint suivie du Jour des Morts (2 novembre) sont venus illuminer d’espérance. Une manière de communier avec eux au-delà de la vie terrestre. Une sorte de proto-communion des saints, quoi…

S’il est nécessaire de rejeter la conception commerciale emplie de laideur et d’ignorance d’une fête d’ Halloween qui n’a plus que le nom d’une tradition aujourd’hui disparue, comme il faut rejeter les relents sataniques portés par certains, cette veille de la Toussaint nous offre cependant l’occasion d’annoncer ces réalités invisibles et de propulser les “hommes de bonne volonté” ignorants ou dévoyés, vers les splendeurs que notre Créateur a préparées pour nous, loin de la laideur mise en avant de nos jours le 31 octobre ! C’est donc peut-être le moment de leur apprendre que si Halloween peut être une occasion de se retrouver dans une ambiance bon enfant, il est nécessaire pour cela de revoir quel était l’esprit d’origine de la fête et de ne pas tomber dans le macabre.

Il ne s’agit bien évidemment pas d’oublier l’Essentiel ou de tomber dans un syncrétisme douteux, sachant que les Celtes ont célébré Samain tant qu’ils n’avaient pas eu la Révélation et la cohorte de saints venus l’annoncer. Quand ils ont été évangélisés, ils ont certainement trouvé dans le christianisme une sorte d’aboutissement ou une « sublimation » de leur propre religion, comme St Paul qui a su s’adresser aux Athéniens : « Hommes Athéniens, je vous trouve à tous égards extrêmement religieux. Car, en parcourant votre ville et en considérant les objets de votre dévotion, j’ai même découvert un autel avec cette inscription : A un dieu inconnu ! Ce que vous révérez sans le connaître, c’est ce que je vous annonce » (Actes 17, 22-23). L’homme est un être naturellement religieux. L’orientation vers l’Absolu est inscrite dans son être profond. «L’inculturation est l’incarnation de l’Évangile dans les cultures autochtones et, en même temps, l’introduction de ces cultures dans la vie de l’Église » (1). Comme saint Paul à l’Aréopage d’Athènes, l’Église fait une lecture nouvelle et créatrice de la culture ancestrale de chacun des peuples où elle est envoyée, « faisant tomber le voile » (cf 2 Co 3, 16.) et la purifiant.

croix celtique
Photo GL / Ar Gedour (Droits réservés)

C’est bien parce que ces saints qui fondèrent la Bretagne (et pas seulement) ont si bien su s’inculturer et annoncer ce dieu inconnu à des peuples extrêmement religieux que la Toussaint s’est si bien implantée en Bretagne et dans les pays celtes, en gardant certainement un héritage du passé, mais rappelant tout autant les réalités de l’Enfer, du le Paradis et du Purgatoire par ces trois jours. La tradition du Gwezenn an Anaon ou Gwezenn Avalou (Breuriez ou Arbre à Pommes) est de cet héritage.

Le retour vers un néo-paganisme n’a donc pas de sens, d’autant plus si l’on se propulse dans cette dynamique vers la Connaissance de Dieu qui nous a été livrée par l’Evangile et nous est un peu plus révélée chaque jour que nous vivons. Et le rejet de nos racines n’a lui aussi pas plus de sens que le « pagan-revival », et la connaissance des sources peut certainement aider à appréhender notre vision d’aujourd’hui, tant dans une optique d’évangélisation que de lutte contre les dérives obscures.

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Illustration en titre : Korrig’Anne. Tous droits réservés.

1- Jean-Paul II, Lettre encyclique Slavorum Apostoli à l’occasion du onzième centenaire de l’œuvre d’évangélisation des saints Cyrille et Méthode (2 juin 1985), no 21 ; La Documentation catholique 82 (1985), p. 724.

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD". En 2024, il a également publié avec René Le Honzec la BD "L'histoire du Pèlerinage Militaire International".

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Un commentaire

  1. Texte bien.plus mesuré que des délires nous provenants de France dans un relent de fantisme faussement chrétien égal au même délire que ce truc commercial américain

    Deux choses manquent néanmoins au texte :

    1) Le fait que Kala Goañv/ Samain existait toujours dans certaines régions de Bretagne jusque dans les années 50….

    2) Le dérolé de la soirée, qui est avant tout une fête familiale autour d’un repas, avec au minimum 1casdiette pour les défunts… Sachant que la nourriture non consommée par les défunts étaient donnée le matin aux pauvres…

    Et si, on veut ajouter… Il n’y a jamais eu de bonbons ni menace de sort…

    Les bonbons existaient bien, mais pour le 1er janvier. Les enfants allaient de porte en porte pour souhaiter les voeux.

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