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IL Y A 70 ANS : NAISSANCE D’UN AUTHENTIQUE CINEMA BRETON AVEC LE MYSTERE DU FOLGOET

Amzer-lenn / Temps de lecture : 30 min
Photo du film « Le mystère du Folgoët » – Archives AR GEDOUR

Il y a 70 ans, en avril 1953, sortait sur les écrans bretons et parisiens le premier film long métrage «Le Mystère du Folgoët», film retraçant sur six siècles  (1350 – 1950) l’histoire de la basilique du Léon, Notre-Dame du Folgoët.

Un an avant, en 1952, les frères Caouissin, Herry, Ronan et Perig, passionnés de cinéma fondaient l’Association Brittia Films dont les objectifs étaient de promouvoir la culture bretonne par le cinéma. Association, précisons-le, qui sera reconnue par le Ministère de l’Education Nationale, ce qui était considérable sur le plan culturel breton qui renaissait de ses cendres. Déjà, avant guerre cette fratrie dynamique, à laquelle il faut aussi ajouter le quatrième des frères, Robert, avait fondée les Editions Brittia, puis du Léon-Ololê-Urz Goanag Breiz, desquelles sortirent une grande quantité d’ouvrages remarquables, principalement pour la jeunesse bretonne. Les frères Caouissin s’étaient aussi dans le cadre du Bleun-Brug, largement investis dans le théâtre.

Pierre Fresnais

En 1952, il n’existait pas de cinéma breton, seul le cinéaste Jean Epstein avait tourné en Bretagne divers films comme Finis-Terrae, l’Or des mers, Le Tempestaire, Chansons d’Armor, Le gardien du phare ou encore Remorque, Pêcheurs d’Islande, mais Jean Epstein se défendait de faire du cinéma breton. Seul les scénarios tirés de romans, comme ceux de Roger Vercel, les paysages donnaient une certaine bretonnité à ses films. De même, plus tard, le cinéaste Jean Delannoy, qui portera à l’écran le roman d’Henri Quéffelec, «Un recteur de l’Ile de Sein», sous le titre Dieu  a besoin des hommes, ne prétendra pas faire du cinéma breton. Jean Delannoy, pour ce film avait choisi Herry Caouissin pour être son conseiller sur les questions des traditions bretonnes, tant profanes que religieuses, et il eu ainsi à initier l’acteur Pierre Fresnay qui tenait le rôle principal du recteur, à toutes les subtilités de ces traditions.

Le cinéma d’après-guerre va être riche en  thème religieux. Outre le film cité, il y aura le célèbre Monsieur Vincent ou encore Le défroqué, toujours avec Pierre Fresnay. Ces films exalteront la grandeur du christianisme, ses saints, ses héros, exactement l’inverse du cinéma actuel qui dès qu’il touche au religieux chrétien, n’a pas assez de bave pour la déverser sur l’Église, ses prêtres, religieux et religieuses.

Jean Delannoy, Jean Renoir, Jean Epstein, Georges Clouzot, le célèbre Abel Gance,  reconnaissants tous les incontestables talents d’Herry Caouissin en matière de cinéma, vont l’encourager à démarrer une carrière dans le 7ème Art, car tous, bien que séduits par la matière bretonne, disait: «Pour faire un film breton, un vrai, il faut savoir le breton, mais aussi être viscéralement breton dans l’esprit, l’âme, le coeur, en comprendre les traditions. Or, il n’y a à notre connaissance qu’une seule personne qui ait ces qualités, Herry Caouissin». Fort de ces encouragements, venant des plus grands noms du cinéma, admis dans la Cour des Grands, Herry Caouissin, avec ses frères, va se lancer.

UN  CINEMA  BRETON…CHRETIEN

Il fallait, aux lendemains d’une guerre qui avait contribué à discréditer et détruire tout ce qui relevait de la culture bretonne, par les accusations calomnieuses de collaborationnisme, oser une telle entreprise, surtout sans moyens financiers sérieux. Il fallait aussi avoir une foi bretonne et chrétienne, que les épreuves passées n’avaient pas entamer, pour croire à cette nouvelle aventure. Un cinéma breton, d’accord, mais pourquoi chrétien ? Tout simplement, parce que les frères Caouissin, fidèles à l’idéal Feiz ha Breiz du Bleun-Brug, de leur père spirituel l’abbé Perrot, entendaient continuer dans cette voie. Pour eux, il ne pouvait y avoir d’authentique culture bretonne si elle s’amputait de la foi, car foi et culture était intimement liées. C’est bien donc en s’appuyant sur les racines chrétiennes de la Bretagne que sortira le film Le Mystère du Folgoët, comme d’ailleurs s’appuyaient toutes les éditions citées.

Cet enracinement chrétien sera la marque de Brittia Films, sa force, mais aussi hélas … sa faiblesse, car très vite, le monde allait évoluer puis basculer vers une désacralisation et une déchristianisation de la société. Le monde du cinéma, qui était encore à cette époque le «Noble Art» avec ses metteurs en scènes, ses acteurs et actrices  Grands Seigneurs, n’allait pas tarder à être corrompu, excluant, petit à petit, tous ceux qui se refusaient à cette corruption, où l’immoralité des mœurs, des scénarios, le pouvoir de l’argent et des copinages allaient confisquer à leur profit le cinéma, et plus tard la télévision. Herry Caouissin, tout comme Jean Delannoy, Claude Autant-Lara et bien d’autres, pour ne pas accepter de se vautrer dans les caniveaux de ce nouveau monde, seront exclus, disqualifiés au profit de bateleurs d’estrades, de scénaristes dont le CV était culturellement et politiquement correct, et qui s’empressaient de sacrifier aux modes les plus extravagantes, voir dégradantes. On peut en juger aujourd’hui.

Herry Caouissin ne voulait pas limiter la culture cinématographique  en ne s’attachant qu’au fond ludique et commercial, qui trop souvent excluait volontairement toute spiritualité et toutes références morales. L’effort premier était donc culturel portant sur la formation du goût, qui consiste à rendre le spectateur sensible à la beauté sous toutes ses formes, l’invitant à entrer dans l’univers du sacré, car «tout art vrai commence et finit par le sacré». «Eduquer par le jeu»  était déjà, notamment par le théâtre, la devise du Bleun-Bug ; elle sera aussi celle de Brittia-Films. Le défi est grand : il s’agit de faire comprendre aux Bretons qu’ils appartiennent à un grand peuple, à l’Histoire et aux traditions très riches. C’est bien ce que furent le Bleun-Brug, l’Association des Seiz-Breur ou encore l’Atelier breton d’Art chrétien, et ses éditions pour la jeunesse bretonne, et son illustré Ololê. Le cinéma breton se devait donc d’être un moyen de plus d’inculturation, d’évangélisation. En cela, Brittia-Films se conformait à ce que disait Pie XI à propos de l’art, et le cinéma en était un: «La noblesse naturelle de l’art doit résider surtout dans la recherche d’un progrès humain vers l’honnêteté et la vertu. Les films doivent par leur force magnifique, illuminer et diriger positivement vers le bien».  Ces recommandations vieilles de plus d’un siècle  invitent à méditer sur le cinéma d’aujourd’hui : une affligeante pauvreté des scénarios, excluant le beau, le sacré, la moralité la plus élémentaire, à de rares exceptions, de super navets uniquement sauvés par les époustouflantes technologies, rendant les dinosaures plus vrais que nature, reconstituants les monuments historiques plus beaux que de leur temps.

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UN FILM JOUE PAR LE PEUPLE, POUR LE PEUPLE

Le 8 septembre 1952, jour de la fête de l’Immaculée Conception, toute l’équipe à laquelle s’étaient joints beaucoup de gens de la région, dont les élus, après avoir assisté à la messe dans la Basilique du Folgoët, en présence de Monseigneur Fauvel, évêque de Quimper et Léon, de Monsieur O’Buachalla, Président du Sénat d’Irlande, le premier tour de manivelle est donné, mais c’est aussi tout l’esprit du tournage du film qui est donné : un film pour les Bretons, joués par des Bretons, mais aussi un film pour la gloire de la Vierge Marie,  et à la gloire de sa Maison, Notre-Dame du Folgoët, qui en sont les deux principales vedettes. Mais il va de soit qu’il n’y aurait pas eu de Basilique de Notre-Dame du Folgoët, si dans les années 1350, il n’y avait pas d’abord eu Salaün ar Fol (Salaun le fou), cet ermite, qui n’ayant pu devenir moine, vécut en invoquant la Vierge dans la grande forêt de Lesneven, puis après sa mort fut vite oublié, jusqu’au jour où sur sa tombe poussa un lys sorti de sa bouche avec l’inscription AVE MARIA en lettres d’or. Il n’en fallut pas davantage pour que le miracle soit reconnu, et surgisse très vite de terre la cathédrale de granit en très pur style gothique.

La dévotion à Notre-Dame du Folgoët et à Salaün ar Fol avec le grand Pardon de septembre étant très vivace, dès que le projet du film fut connu, ce fut l’émoi dans la région. C’était le grand sujet de conversation durant les six mois de tournage. Précisons que le cinéma avait encore dans le début des années 50 une aura qu’il perdra par la suite, et que d’autre part la télévision était encore absente de plus de 98% des foyers. Avoir dans sa commune, dans son village, sa ferme le privilège d’une équipe cinématographique, peut-être de figurer dans le film, il y avait de quoi bouleverser quelque peu les habitudes et les esprits. Justement, et il faut voir là une des grandes compétences des frères Caouissin et leur parfaite connaissance des mentalités bretonnes, des traditions, car il n’y eu aucun bouleversements dans la vie quotidienne des gens, acteurs bénévoles, ni aucune tête qui s’enfla du fait de figurer dans le film, chacun restant à sa place.

Très vite d’ailleurs, l’intégration de l’équipe de tournage aux gens du pays se fit, les Caouissin étaient eux aussi de purs Léonards et parlaient couramment le breton, ce qui à cette époque où le breton dans les campagnes était la langue dominante facilita bien des choses. Le tournage du film joua un formidable rôle social, car lors des scènes de tournages, toutes les générations, les divers milieux sociaux se retrouvaient comme dans une grande famille. Aller sur les lieux du tournage faisait partie désormais de l’emploi du temps de tout un chacun: pour quelques heures, le paysan délaisse ses champs, le marin son bateau, l’artisan son atelier, le commerçant son magasin, le docteur son cabinet, le notaire son étude, le curé son presbytère, le moine son monastère, la religieuse son couvent. 300 acteurs se retrouvent ainsi tour à tour sur les divers lieux de tournages. Un point qui est remarquable : il n’y avait aucune revendication de type syndicale, imposant des horaires, des rôles, des salaires qui auraient pourri l’esprit du tournage du film. Heureuse époque où l’on acceptait de travailler pour la beauté, pour la foi sans avoir un esprit revendicatif. Il n’est pas exagéré de dire que jamais plus, dans l’histoire du cinéma on ne retrouvera cet esprit, cette sociabilité généreuse …, sauf peut- être aujourd’hui au Puy du Fou, et lors du tournage du film Vaincre ou Mourir.

D’ailleurs, il était clair que, pour rien au monde les acteurs bénévoles du pays n’auraient voulu d’un cachet : le seul fait de tourner dans le film était pour tous un honneur, d’autant qu’il était dédié à la Mère du Christ et à Salaün ar Fol. Accepter de l’argent eu été pour l’audacieux un déshonneur irréparable aux yeux de la population.  C’était encore un autre honneur que de mettre à la disposition de l’équipe de tournage tous leurs biens: fermes, mobiliers, chevaux et vaches, charrettes et champs. Un autre honneur était aussi à qui aurait le privilège d’héberger tel membre de l’équipe, ou encore de l’avoir à sa table. Oui, c’était vraiment le film des Bretons. Si tous les acteurs que nous avons nommés étaient bénévoles, seul l’acteur principal, Charles Priel qui tenait le rôle de Salaün ar Fol, comédien professionnel, était payé, du moins aurait-il dû l’être comme c’était prévu dans son contrat. Mais Charles Priel, homme de cinéma, de théâtre, écrivain, poète et fervent croyant appartenait justement à cette «noblesse» du cinéma  qui avait le sens du beau, du vrai, du don de soi, et ne se prenait pas pour des êtres supérieurs. Apprenant que personne ne touchait un salaire, même le plus petit, il refusa  d’être payé, souhaitant être mis à la même enseigne que tous le monde, afin de lui aussi jouer pour Notre-Dame : tenir le rôle de Salaün ar Fol était un honneur, et suffisait à le «payer». De même, Andrée Clément, l’actrice principale au côté de Pierre Fresnay dans Dieu a besoin des hommes, qui prêtera sa voix aux commentaires du Mystère du Folgoët, refusera d’être payée.

Au départ, le clergé était assez réticent face à ce projet, voire très méfiant. Pour réussir le tournage, il était indispensable d’avoir sa caution, et surtout celle de l’évêque, Monseigneur Fauvel. C’est grâce à l’abbé Le Goff (Saïk ar Go), recteur de Plounéour-Trez, à son autorité et son charisme que tomberont les dernières réticences ecclésiastiques et celles de quelques notables ayant prêté une oreille trop complaisante à des ragots, voir des calomnies sur les frères Caouissin, et leurs «intentions autonomistes cachées». Les communistes, les libre-penseurs, les anti-cléricaux, toujours à l’affût de combats contre l’Église et la foi voyaient dans le tournage de ce film un embrigadement de la population, qui la détournait de son travail.

TOUS VIVAIT LEUR RÔLE AVEC CONVICTION

Dans une société rurale encore pétrie de traditions, d’une manière de vivre son quotidien, il n’était point besoin aux réalisateurs de se lancer dans de longues explications auprès des acteurs. A quelques détails près tous comprenaient ce qu’on attendait d’eux, d’où un gain de temps considérable et l’économie de frictions qui auraient cassées l’ambiance bon enfant et familiale. Chaque scène était tournée, par précaution deux fois, mais parfois un seul tournage suffisait tant le jeu tout naturel des acteurs était spontané.

Ainsi, bien des scènes respirent un naturel confondant, et cela est surtout perceptible dans les séquences révolutionnaires, des prières. L’explication est simple : aussi incroyable que cela puisse paraître, la Révolution française n’était éloignée que de 160 ans, et ses stigmates étaient encore partout visibles sur les églises, les calvaires. En 1952, il y avait encore des personnes très âgées, entre 90 et 95 ans, donc nées entre 1840 et 1850, qui étant enfants avaient entendu les récits de leurs grands-parents, qui très jeunes avaient vécus la Révolution, la Terreur, la Chouannerie. Lors du tournage des scènes révolutionnaires, ces personnes âgées vont, malgré les explications techniques et les artifices des réalisateurs, sincèrement penser revivre ces évènements. Par exemple, lors du pillage de la cathédrale, de la destruction des statues par la soldatesque révolutionnaire – les Sans-culottes avinés – ou encore durant le culte à la Déesse Raison, les larmes seront authentiques. Pourtant, on avait pris grand soin d’expliquer à ces braves gens que les statues que l’on brisait ou que l’on jetait à terre étaient des reconstitutions d’argile, mais rien n’y fît, l’émotion était trop forte. De même, lorsque les paysans prient secrètement devant la statue de Notre-Dame du Folgoët, cachée dans un lit-clos d’une ferme, les prières sont authentiques : on prie sincèrement pour que jamais plus de tels évènements n’arrivent.

Une autre scènes incroyable, improvisée : quand deux soldats républicains demandent brusquement à une vieille dame (elle n’avait pas été prévenue du rôle qu’elle allait jouer): «Dis donc la vieille, tu dois savoir où est la statue de la Vierge du Folgoët ?» ; réponse spontanée, cinglante «Non, je ne la sais pas, mais je voudrais bien le savoir pour aller la prier tout de suite!». La brave grand-mère était persuadé avoir à faire à de vrais soldats, à ceux-là même dont ses grands parents lui avait contés les méfaits. A ce stade, on n’était plus dans du cinéma, mais dans l’authentique.

Dans la scène du retour triomphal de la Vierge du Folgoët dans la cathédrale, la tourmente étant passée, on peut voir, entre autre, un vieux paysan en costume, aux cheveux longs; non seulement le costume, les cheveux sont authentiques, mais ses larmes le sont toutes autant, il ne peut les retenir lorsque le Te Deum éclate et que le recteur de la cathédrale appelle au sauvetage du sanctuaire toujours menacé. Autre scène émouvante, les réalisateurs ont absolument tenu à ce que ce soit les descendants des familles, qui en rachetant le Folgoët, le sauvèrent de la destruction par un marchand de pierres, jouent le rôle de leurs ancêtres  Nous pourrions ainsi multiplier les exemples qui rendent chaque séquence si véridique.

Glenmor était aussi de l’équipe du film

Si la majorité des rôles sont de l’ordre de la figuration, ils n’en sont évidemment pas moins importants, car ce sont tous ces petits rôles ajoutés qui font le film. Soulignons cependant, celui de Charles Priel, alias Salaün ar Fol, qui était si imprégné de son rôle que bien des paysans lui demandait de bénir leurs enfants. Il en sera de même pour Herry Caouissin qui joue le rôle du recteur de Notre-Dame du Folgoët, et qui en chaire appelle ses paroissiens à sauver la cathédrale. Il est si convaincant dans son jeu, qu’il passe pour un vrai prêtre, et se voit solliciter pour un baptême, des …  confessions. Il y a aussi des acteurs «surprises» comme Perig Géraud-Kéraod, le fondateur des scouts Bleimor, et plus tard des Scouts et Guides d’Europe, qui tient le rôle de Jean de Montfort auprès de Jeanne d’Arc, et qui dans son armure, authentique elle aussi, a fière allure. Signalons encore, que dans l’équipe cinématographique travaille aussi un certain Emile Le Scanff, qui 10 ans plus tard se fera connaître sous son nom d’artiste-chanteur, Glenmor.

Les images du film, parfois de vrais tableaux, surtout dans les visages si expressifs des acteurs, sont sublimées par l’admirable accompagnement musical de Jeff Le Penven. Et que dire des choeurs des chorales des diverses paroisses léonardes chantant admirablement nos cantiques bretons. Quant aux moines de Kerbénéat-Landévennec, on retiendra entre autre, le très beau Languentibus in purgatorio composé par Jehan de Langoueznou en l’honneur de Salaün ar Fol. On est également impressionné par la voix de ténor du clerc qui chante la gloire du Duc Jean V le Magnifique, venu au Folgoët avec son épouse Jeanne de France, demander la protection de la Vierge pour son Duché, pour ses Bretons.

LA PREMIERE SEANCE

Le 21 avril 1953, la première mondiale est donnée à Brest-salle du Vox, présidée par Monseigneur Fauvel et Dom Colliot, prieur de Kerbénéat. Cette soirée est une vraie soirée de gala au profit de la future abbaye de Landévennec. Herry Caouissin tient ainsi une promesse qu’il avait fait 18 ans plutôt dans les ruines de l’antique abbaye : être, même modestement l’un des artisans de la résurrection du l’abbaye de Saint Gwenolé. Les 1200 places du cinéma se sont trouvées nettement insuffisantes : il a fallu refuser du monde. Une autre projection est donc prévue pour le lendemain. La veille, à Paris, le film a été projeté salle d’Iena. La diaspora bretonne s’étant ruée sur les billets, le bureau de location de places avait été contraint de fermer ses portes plusieurs jours avant.

Un film qui sera projeté dans le monde entier

Janig Corlay, épouse d’Herry Caouissin, en compagnie de Jean Delanoy, Daniel Gelin et Jean Brochard, à l’occasion de la sortie du film (archives Ar Gedour – DR)

Tourner un film est une chose, le diffuser en est une autre. Brittia-Films ne disposait pas des circuits de grandes distributions cinématographiques pour alimenter les salles. En outre, le nombre de bobines disponibles était limité. Ce sont donc les frères Caouissin qui en itinérants, assureront bien des projections en Bretagne et en région parisienne. Heureusement, beaucoup de paroisses et d’écoles se chargeront de la projection. Le film sera réclamé par la diaspora bretonne, c’est à dire dans toute la France, mais aussi par beaucoup de missionnaires en Afrique, en Outre-Mer, en Asie. Le Mystère du Folgoët sera aussi projeté en Australie, au Canada, en Amérique du Sud, au Japon, et bien sûr, en Irlande et Pays de Galles. En somme, contre toute attente, le film aura une carrière internationale.

Si au tout début de l’aventure cinématographique bretonne, la presse était critique, ironique, parfois hostile, il en sera tout autrement par la suite. Personne ne voulait désormais être en dehors du coup. Cette même presse n’aura de cesse de louer le film, d’autant que la presse cinématographique parisienne n’est pas en reste. Il serait bien trop long de publier tous les articles élogieux, rares sont les critiques de cinéma qui vont se risquer à dénigrer le film, sinon que de relever certaines faiblesses. Ouest-France, qui à l’époque ne fait guère dans la culture bretonne, bien au contraire, multipliera les «bons papiers» :

«Il semble que les frères Caouissin aient tenu, par le développement de leur beau film sur le Folgoët, à prouver qu’après les Brizeux, les Charles Le Goffic, les Le Braz et tant d’autres, l’âme bretonne ne peut mourir».

«L’âme de la Bretagne revit. Nous devons cette réalisation à des Bretons si fidèles à leurs traditions qu’ils ont mis, non sans difficulté, tout en œuvre pour satisfaire leur public, sensible aux belles images sans sacrifier à ce qu’on appelle le « vérisme breton» (La Résistance de l’Ouest).

«On ne peut s’empêcher de penser à Paul Claudel dont l’art de rendre un mysticisme chrétien s’apparente assez à la manière des auteurs de ce film» (La Liberté du Morbihan).

«Herry Caouissin s’inscrit, quant à sa manière de travailler, dans la lignée d’Eisenstein, de Rosselini et Rouqier» (Le Télégramme de Brest).

Et nous pourrions ainsi poursuivre les recensions favorables au film, contredisant les jugements critiques partiaux, souvent motivés par une allergie viscérale à la religion catholique.

Herry Caouissin qui avait le sens de l’humour et de la répartie, même dans les épreuves, lors d’une des premières projections, remettra à sa place un imprudent qui avait crû bon de lui dire en public: «On prétend que votre film est un navet»; réplique cinglante : « Oui, en effet mon film est un navet, mais c’est un « (N’) AVE» MARIA», déluge d’applaudissements de la salle. Le fâcheux ridiculisé, ne sembla pas comprendre le jeu de mots, trop subtil pour son cerveau bloqué.

UN  CINEMA  AUTHENTIQUEMENT BRETON EST-IL ENCORE POSSIBLE ?

Serait-il possible aujourd’hui de recréer un authentique cinéma breton, dans l’esprit de Brittia-Films, mais avec les moyens de notre époque? La question peut sembler étrange, car certains nous dirons : «Mais il  existe une cinéma breton, et qui donne l’occasion de Festivals, comme à l’île de Groix, Lanester». En effet, sauf que ce cinéma breton, n’a bien souvent rien de breton. Même si les réalisateurs sont (parfois) bretons et tournent en Bretagne, sur des thèmes (parfois) bretons, il n’est pas breton pour autant. Il n’est pas breton, parce qu’à ce cinéma il lui manque l’âme bretonne, une fidélité d’enracinement, quelle soit profane ou religieuse.

Les historiens et les critiques qui s’intéressent à l’aventure de Brittia-Films, par ignorance, par sectarisme idéologique et culturel, indifférents à toutes dimensions spirituelles ne veulent y voir que du cinéma d’amateurs, de curés pour patronages, qu’un cinéma pour maintenir une Bretagne à genoux et dans l’obscurantisme. Selon eux, les Caouissin qui «se prétendaient fondateurs d’un cinéma breton, outrepassaient leurs compétences et s’octroyaient un professionnalisme qu’ils n’avaient pas». Que les plus grands noms du cinéma des années 50 aient loué les réalisations de Brittia-Films ne pouvaient compter à leurs yeux.  Il est vrai que ce sont les mêmes qui prétendent que l’Histoire de Bretagne a commencé avec eux. Qu’importe! Comme pour bien des réalisations bretonnes, rien ne pourra effacer qu’en matière de cinéma breton, les fondateurs de Brittia-Films furent des pionniers, et que la Bretagne attend toujours la relève d’un vrai cinéma breton, comme désormais il y a, avec le film Vaincre ou Mourir un authentique cinéma vendéen, expression de l’âme vendéenne. D’ailleurs, sur cette question, les critiques des petits pelliculeux sans culture qui jugent le film vendéen ont, sans le savoir, les mêmes arguments éculés que pour Le Mystère du Folgoët : amateurisme, obscurantisme, traficotage de l’Histoire, desseins subversifs dissimulés derrière le culturel, etc, en somme, l’originalité des arguments, hier comme aujourd’hui, n’est pas au rendez-vous. La vérité est que ce monde n’aime ni l’enracinement, ni le beau, ni le sacré, ni l’honneur, et encore moins la foi.

L’association Brittia-Films avait beaucoup de projets, l’histoire de Bretagne était si riche que les sujets ne manquaient pas. Herry Caouissin se demandait même quel événement, quel personnage serait le plus intéressant à porter à l’écran, tant tous méritaient cet honneur. Ainsi, il écrivit avec l’aide de sa femme, Janig Corlay, les scénarios des vies de saint Yves, d’Anne de Bretagne, d’Yvon Nicolazic, de Cadoudal, de l’abbé Perrot. Mais de tels films demandaient un budget, des moyens techniques, et une figuration très importants. Il fallait voir plus modeste, le choix se portera sur la vie du barde Théodore Botrel, puis sur des films documentaires.

Pourtant, cela ne découragera pas Herry Caouissin qui continuera à en écrire des projets de film : Sous le Pied de l’Archange de Roger Vercel, avec pour vedette Le Mont Saint Michel,  Jean Cormoran du même romancier, Gurvan de Tanguy Malmanche, et même le roman de son épouse Janig Corlay, Le Glaive de Lumière, avec toujours le Mont Saint Michel en vedette. Il s’en fallut de peu, comme Sous le Pied de l’Archange pour que le film trouve une mécène avec l’industriel Michelin, d’autant que le film avait l’aval d’André Malraux ministre de la culture, et celui du Président de la République, De Gaulle et de sa femme.

Là encore, ce seront les désillusions, tant le monde du cinéma avait bien changé, un monde où les idéalistes avec leurs œuvres pétries de foi, de culture, d’enracinement n’avait pas leur place.

C’est précisément ce désir de produire, d’aller de l’avant, alors que les moyens financiers manquent, et que les soutiens espérés font de plus en plus défaut, qui vont précipiter la faillite de Brittia-Films. Faut-il ajouter à cela une trop grande propension à l’idéalisme, à une générosité qui rapidement se présente comme «décalée» par rapport à l’évolution des mentalités qui se matérialisesde plus en plus. Brittia-Films, fera ainsi don de l’intégralité des recettes de la «Grande Première» du film, soit 5000 francs de 1953, au bénéfice de la construction de l’abbaye de Landévennec. Plus souvent que nécessaire, le même geste sera fait pour la restauration de chapelles, comme celle de Landouzen au Drennec. Il y eu aussi ceux qui ayant loué le film, l’ayant projeté, oubliaient de payer la facture. Il y eut aussi ceux qui renvoyaient la bobine détériorée, qu’elle en devenait inutilisable, sinon à la restaurer à grands frais. Mais, ces inconvénients financiers auraient été surmontables, si ces années cinquante, puis davantage encore pour les décennies qui venaient, on n’était pas entré dans un enchaînement de déchristianisation de la société auquel n’échappait pas la Bretagne. D’autre, part, bien que se dessinait un renouveau culturel breton au travers des Cercles celtiques entre autre,  et du renouveau de la musique bretonne, de la danse, le cinéma n’était pas encore pris en considération. Les Caouissin avaient eu le tort d’être trop en avance, pionniers sans moyens, et sans doute pour les temps qui venaient, d’avoir trop d’idéal. En effet, dans ce renouveau breton qui s’amorçait, ce qui allait manquer, c’est précisément l’idéal qui avait tant animé les générations précédentes : l’alliance naturelle de la foi avec les causes bretonnes, une alliance qui avait donnée tant de beaux résultats : le Bleun-Brug, les Seiz-Breur, l’Atelier breton d’Art chrétien, la résurrection de Landévénnec, Ololê, l’Urz Goanag Breiz, les Scouts et Guides Bleimor, et bien d’autres réalisations.

Comme il se doit, le film s’achève en apothéose par le couronnement de la Madone en 1880, et le Grand Pardon du Folgoët en septembre (1952). Pour ces dernières séquences, les réalisateurs ont tenus à introduire la couleur, ce qui à l’époque est une innovation. En effet, soit le film est en noir et blanc, ce qui est encore le cas de la majorité des films, soit il est en couleur, ce qui est encore un luxe. Brittia-Films va donc surprendre par ce choix, et la presse va louer cette «audace» qui transgresse les codes. Plus tard, dans le début des années soixante, avec ce que l’on va appeler «La nouvelle école ou nouvelle vague du cinéma», de jeunes réalisateurs vont également introduire quelques séquences couleurs dans leur film noir et blanc; les critiques vont présenter cela comme «du jamais vu», oubliant ou ignorant que Brittia-Films fut le précurseur de ce genre, avant que la couleur soit la norme pour tous les futurs films.

Quant au Pardon du Folgoët de 1952, il est sans commune mesure avec le Pardon d’aujourd’hui : une foule, un faste religieux amplifié par l’abondance des cantiques bretons et grégoriens, les bannières et les croix, et les costumes bretons de tant de paroisses, encore bien portés à cette époque. Sur le plan religieux, de la foi, des traditions, ce Pardon est un témoignage fort, car sous peu allait venir des temps iconoclastes qui considéreront que c’était là l’expression d’une foi populaire dépassée et qu’y mettre fin était un signe d’évolution pour un «catholicisme mature et ouvert au monde».

Au générique, le film s’affiche clairement comme un Acte de Foi (Feiz ha Breiz), Herry Caoussin dira: «si le Mystère du Folgoët se regarde, bien évidement, comme un film qu’il est, il se regarde aussi comme une prière».

Les frères Caouissin, militants bretons de longue date, en tournant Le Mystère du Folgoët avaient pleinement conscience que leur film serait le témoignage d’une Bretagne qui allait disparaître, et qu’il leur fallait fixer sur la pellicule ses derniers feux. Ils avaient bien compris que, plus que tout autres moyens d’expressions, le cinéma était l’outil par excellence pour redonner aux Bretons le goût de leur Histoire, de leurs vrais traditions, comme l’avait été le Bleun-Brug et son théâtre. Ce cinéma breton n’intéressera pas la nouvelle génération. Désormais ses idoles étaient toutes autres, il n’y avait plus un peuple breton pétri de foi et de véritables traditions.

La belle carrière du Mystère du Folgoët aura exigée des voyages répétés des bobines, beaucoup reviendront inutilisables, et il s’en fallu de peu que le film soit définitivement perdu. Saluons donc la Cinémathèque de Bretagne à Brest qui fera un remarquable travail de restauration, sauvant ainsi un chef-d’oeuvre.

A la fin de sa vie, Herry Caouissin dira, avec une certaine amertume, mais aussi  avec une légitime fierté: « Je n’ai pu après le film du Folgoët tourner les films dont j’ai rêvé, parce que je n’ai jamais renié ma foi chrétienne et bretonne, mais au moins dans ma vie j’aurais élevé deux sanctuaires à la Mère du Christ: le premier, avec l’abbé Perrot, un sanctuaire de pierres avec la chapelle Notre-Dame de Koad-Kéo; le second, un sanctuaire gravé dans la pellicule, le film Le Mystère du Folgoët». Et il rappelait que jadis, le lointain prédécesseur de l’abbé Perrot, l’abbé Klaoda Jégou, assassiné par la soldatesque révolutionnaire en 1797, et dont avec le recteur de Scrignac il avait retrouvé les restes, avait dit: «Celui qui élèvera une Maison à la Vierge en ce monde, la Vierge lui élèvera une maison dans l’Autre monde»; Et de conclure, «j’en ai donc élevé deux, j’espère que le jour venu pour moi, elle s’en souviendra …».

Il aurait même pu ajouter qu’il aura largement contribué, dès 1935,par les démarches en tant que secrétaire du Bleun-Brug, et par le don de Brittia-Films, à la résurrection d’un troisième sanctuaire, l’abbaye de Landévénnec.

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À propos du rédacteur Youenn Caouissin

Auteur de nombreux articles dans la presse bretonne, il dresse pour Ar Gedour les portraits de hauts personnages de l'histoire religieuse bretonne, ou encore des articles sur l'aspect culturel et spirituel breton.

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Un commentaire

  1. Peut-on trouver une cassette du film?

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