Les leçons d’une pandémie

Amzer-lenn / Temps de lecture : 14 min

J’ai voulu esquisser un début de réflexions sur ce sujet, lors de mon émission, le libre journal de lumière et d’espérance diffusée sur Radio Courtoisie, ce dernier dimanche de Pâques, 12 mars. Nous avons essayé, avec mes invités, de donner des informations et de faire un bilan des problèmes généraux posés par la crise sanitaire mondiale et la manière dont elle est gérée en France. Ce dont nous avons débattu me pousse à conserver ce titre pour vous parler, comme promis, des questions spirituelles et du changement actuel de certaines pratiques religieuses.

Celle qui a eu le plus troublé les fidèles est la suppression des messes publiques, en particulier pendant la Semaine sainte. Il semble que cette décision ait été prise après une concertation entre le gouvernement et les représentants des différentes religions pratiquées en France. Je n’en connais pas les détails et n’ai d’ailleurs pas à les connaître. Mais j’ose espérer que, de part et d’autre, on aura bien gardé conscience qu’il ne saurait y avoir, du côté de l’État, que des mesures générales et purement sanitaires, liées à l’ordre public, s’appliquant indifféremment et de la même manière à toutes les religions pratiquées sur notre sol, mais qu’il était absolument nécessaire ensuite de voir comment ces mesures pouvaient se concilier au mieux avec le caractère propre de chaque religion. Car si la loi de séparation de 1905 s’applique à toutes, elle dit aussi explicitement respecter la liberté de conscience en son article 1. Quant au préambule de notre Constitution de 1958, il assure lui aussi dans son article 1 que « La République assure la liberté de conscience. ».

C’est pourquoi il a bien fallu tenir compte à partir de 1906 (Encyclique Vehementer nos), de la condamnation sans appel, ni retour possible, de la dite loi par le Pape Pie X. Qu’on prenne en effet le cas du rapporteur de la loi, Aristide Briand, les constituants de 1946, comme ceux de 1958, tous, quoiqu’on pense de leur idéologie politique, étaient attachés à la liberté de conscience. Dès 1924, la République aménagea les dispositions sur les associations cultuelles, pour qu’elles fussent diocésaines pour les catholiques, afin de sauvegarder l’autorité de l’évêque diocésain, point capital de la doctrine catholique. Le 9 septembre 1951, le député Charles Barangé faisait voter une loi permettant de verser une allocation scolaire aux familles dont les enfants étaient scolarisés dans le public comme dans le privé. La loi Debré (premier ministre et ministre de l’Education nationale) du 31 décembre 1959 établit des contrats entre l’Etat et les écoles privées qui le souhaitaient (donc pas seulement catholiques). Je n’entre pas dans les détails, mais je constate simplement que la République laïque aidait l’école confessionnelle. Elle accédait aux désirs des parents catholiques qui désiraient donner une éducation chrétienne à leurs enfants, tout en ne refusant pas de payer des impôts, dont une partie allait à l’école publique qu’ils n’utilisaient pas.

Tout cela faillit être supprimé en 1984 par la loi Savary qui ne traduisait qu’une des 110 propositions de François Mitterrand, visant à instaurer un grand service public unifié et laïque de l’Education nationale. Je ne puis ici entrer dans les détails du projet, car ils n’étaient pas simples et accompagnés de discours inquiétants pour ceux qui tenaient à la liberté des écoles confessionnelles (je pense bien évidemment aux deux amendements du député André Laignel du 22 mai 1984, clairement hostiles aux écoles catholiques, ce qui, venant de sa part, n’étonna personne, mais ne put que jeter le discrédit sur le projet ministériel, principalement du côté catholique).

D’où la grande manifestation du 22 juin 1984, à laquelle j’ai participé, étant pasteur luthérien et Président du Consistoire de Paris. Elle partait de la place de la Bastille. Les fenêtres d’un balcon s’ouvrirent et nous reçûmes la bénédiction de Son Éminence le Cardinal Jean-Marie Lustiger et de Monseigneur Jean Vilnet, président de la Conférence des évêques de France. Nous étions deux millions dans les rues de Paris, rejoints par des politiques aussi variés que le président Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chaban-Delmas, Simone Veil et Jacques Chirac, Maire de Paris avec la majorité de son conseil municipal. Le 14 juillet suivant, le président Mitterrand annonçait le retrait du projet de loi.

En 1999, sous l’impulsion du Cardinal Lustiger, s’ouvraient des négociations avec le gouvernement de la République pour normaliser les relations entre l’Etat et l’Eglise catholique, afin que le caractère propre de cette dernière fût mieux respecté. Il en résulta en 2002 la création de l’Instance de Matignon, co-présidée par le Nonce Apostolique et le Premier Ministre. Entre autres, je signale que le président de la conférence épiscopale et l’Archevêque de Paris y siègent de droit.

C’est pourquoi, bien que séparée de l’Etat comme les autres religions, l’Eglise catholique a, dans ce pays, un statut particulier qui lui est naturellement conféré par l’histoire et la culture. Et à cette heure, on peut ajouter que le catholicisme est encore la religion de la majorité des français.

C’est pourquoi si un catholique est tenu en conscience d’obéir à l’Etat légitime en ce qui concerne des mesures sanitaires en temps d’épidémie, il est en droit de se poser des questions dès que celles-ci touchent à des pratiques religieuses. Pour tout le monde catholique, deux avis priment : celui du Pape et celui de l’évêque diocésain. En France, il faut y ajouter l’instance de Matignon. La pratique religieuse catholique, et son libre accès, qui relèvent de la liberté de conscience garantie par la loi, imposent la participation à des sacrements. Le catholicisme est une religion de l’Incarnation du Divin dans l’humain au moyen de la seule puissance divine.

La fête de Noël, qui célèbre la naissance de Jésus de Nazareth, manifeste ce mystère. Le Verbe divin assume la nature humaine sans s’altérer ni la détruire. Il est son Créateur, et sa créature ne peut trouver sa fin ultime qu’en lui. En ressuscitant à Pâques, après trois jours au tombeau, ce qui signifie à la fois le retrait de Dieu (bien connu dans l’Ancien Testament) et la fin de tout homme, Jésus ressuscite, toujours vrai Dieu et vrai homme, Dieu lumineux comme le soleil à la fin d’une éclipse (voir le récit de la Passion), homme pleinement sanctifié, ayant retrouvé mieux que les conditions de sa première nature, homme ne pouvant plus entrer en tentation.

Cette force de vie gagnée à Pâques, Dieu nous l’offre dans sa Parole, audible et visible, tout comme Elle l’était en Jésus Christ, et ce, par les moyens des sacrements.

Être privé des sacrements n’est donc pas une affaire anodine pour un catholique. Seuls le Pape et les évêques ont cette autorité. L’Etat n’a jamais commandé en France de fermer les églises, ni interdit des offices à l’intérieur de celles-ci. Il a limité le nombre des assistants, une vingtaine de personnes pour les services funèbres, des distances entre les fidèles. Il n’a pris aucun arrêté ou décret empêchant des aumôniers d’accomplir leur ministère auprès des malades et des mourants, même du coronavirus.

Quant aux évêques, ils ont interdit temporairement les messes publiques. Mais à Paris, et dans beaucoup d’autres diocèses à ma connaissance, toutes les églises sont ouvertes, et les obsèques peuvent se dérouler normalement à l’intérieur des églises avec les restrictions susmentionnées. Cela dit, les différents échos que j’ai de ce qui se passe à Rungis, là où sont stockés les cercueils des défunts du coronavirus m’inquiètent, sans vraiment m’étonner. Je pense que Monsieur le Préfet de Police, qui réfléchit tant sur le coronavirus, devrait poursuivre plus avant sa réflexion et diligenter une enquête avec la fermeté que nous lui reconnaissons tous. Quant aux responsables de Pompes funèbres, à qui il reste quelque conscience, et ça existe, je les ai beaucoup rencontrés ces temps ci, ils devraient rappeler à la raison certains de leurs confrères. On ne se défait pas rapidement d’une mauvaise réputation. Cela peut nuire au compte en banque à défaut de la conscience quand celle-ci n’existe plus !

Même chose pour certains hôpitaux qui risquent de traîner avec eux des mentions du genre « interdits aux prêtres! », ou « ici on ne vieillit pas! ».

Cela dit, j’en reviens à la messe et à la réception de l’Eucharistie. Je suis absolument persuadé, mieux, j’ai l’intime conviction que ce n’est pas de gaieté de cœur que nos évêques ont pris leur décision. Pour pouvoir les juger, si tant est qu’on le puisse ou qu’on en ait le droit, il faudrait savoir deux choses que nous ne pouvons qu’ignorer pour la première et subodorer pour la seconde. Qu’ont fait valoir clairement à nos évêques les autorités de l’État ? En ces matières, il y a le dit et le non dit, et ce n’est un mystère pour personne que les relations Église/État se sont considérablement dégradées depuis 2012 , début du mandat du Président Hollande ! Le pouvoir politique français, à part de notables exceptions que je ne nommerais pas pour ne pas les compromettre, n’aime pas l’Eglise catholique, c’est un euphémisme que de le dire ainsi, mais nous sommes dans l’octave de Pâques ! Sur le plan spirituel, ce gouvernement, avec ses lois sur la bioéthique, nous attire la colère de Dieu, et au temporel, y compris sur les questions sanitaires, il n’inspire guère confiance. Je comprends que nos évêques se montrent très prudents.

De plus, il appartient au clergé de gérer leur décision. Or ses réactions, dans l’ensemble bonnes, nous montrent quand même certaines déficiences théologiques qui auraient pu amener à des catastrophes en cas de messes permises, même en nombre restreint d’assistants. Un exemple : combien de fois ai-je lu que le corps du Christ ne saurait transmettre la mort !

Mais est-ce là une bonne compréhension de la doctrine de la transsubstantiation ? La substance, en bonne théologie thomiste n’est pas la matière ! Les paroles de consécration du prêtre transforment donc la substance du pain en corps du Christ, le pain ne subsistant que sous la forme de ce que Saint Thomas d’Aquin appelle « accident ». Mais cet « accident » n’est point néant. Il appartient au monde de la matière, il peut pourrir comme certaines hosties consacrées demeurées depuis deux siècles dans les ostensoirs de la « Petite Eglise » (séparée de Rome et n’ayant plus de prêtres), qui se contente de cette adoration du Saint Sacrement. Mais pour me référer à un exemple plus proche, je rappelle que dans le cérémonial des évêques, et je l’ai lu dans le rituel de la messe papale (au moins jusqu’à Paul VI), il y avait un rite de pré gustation avant la consécration. Et ce tant pour l’hostie que pour le vin, afin d’éviter le risque d’empoisonnement du Pontife avec des espèces pourtant consacrées. Ce pourquoi, quand on assiste, de plus, et pour des raisons inverses à celles que j’ai données à propos d’une fausse conception de la transsubstantiation, à la manière, disons peu scrupuleuse dont se font certaines célébrations eucharistiques, y compris la participation, on est en droit de douter de la mise en œuvre de certaines mesures d’hygiène en cas d’épidémie. Cela dit, cette mesure ne peut être que transitoire, et il faudra bien trouver un moyen de distribution de l’Eucharistie. Et comme je regrette que quelques suggestions justes de Monsieur Gregory Solari sur l’Eucharistie de maison soient perdues au milieu de considérations liturgiques et théologiques étonnantes de sa part pour qui l’a lu il y a plusieurs années. Mais il est vrai que cela fait la joie du modernisme catholique porteur de ce qu’il appelle l’esprit du Concile… une nouvelle forme de spiritisme où l’on invoque l’esprit de feu Monseigneur Bugnini !

En attendant, on ne saurait trop encourager la communion spirituelle, comme l’a fait notre Saint Père, non pas comme une fin en soi, ni comme un acte de remplacement, mais comme un signe de grande attente, comme une expression du grand vide que ressent l’âme chrétienne séparée de la présence sacramentelle de son Sauveur. Et je repense à un vieux cantique de ma jeunesse pour les réunions familières : « J’ai soif de ta présence, Divin chef de ma foi, dans ma faiblesse immense, que ferai-je sans toi ? Chaque jour, à chaque heure, oh j’ai besoin de toi, viens, Jésus, et demeure auprès de moi ! ». Ce jeûne eucharistique ne peut-il pas se transformer en exercice spirituel qui nous fasse mieux comprendre l’importance de la communion fréquente, comme le souhaitait Saint Pie X ?

Autre conséquence tout aussi importante, ne peut-il pas nous aider à mieux nous préparer à rencontrer le Seigneur Vivant dans son corps glorieux, par des examens de conscience plus sérieux, des confessions plus réfléchies et plus approfondies, des engagements plus suivis en matière de contrition et de pénitence ? Et s’il n’y a pas de possibilité d’avouer ses péchés à un prêtre, rien n’interdit de prendre des notes et de s’engager fermement à se confesser dès que possible.

Ne nous y trompons pas, ce n’est aussi que dans ces conditions spirituelles précises, qu’on peut recevoir la grâce des indulgences, don de l’Eglise invisible, fruit de la communion des saints, que le Christ peut nous dispenser par l’intermédiaire de son Vicaire, le Pape, Successeur de Pierre. Point de pardon automatique des péchés, même pour ceux qui se sont agenouillés devant leur écran de télévision ! Mais incitation au repentir et à la pénitence devant le prêtre, son ministre ordinaire. Et pour ceux qui vont quitter ce monde, et qui n’auront pas le temps nécessaire pour accomplir leur devoir sacramentel, ils s’agrègent lentement à l’Eglise invisible, là où se fait entendre le chant du chœur des anges, supplantant celui de nos plus belles chorales, là où règne la plénitude de la Miséricorde, dont l’indulgence papale n’a fait que soulever le voile.

Ceux qui vivent dans l’Eglise en lui obéissant, comme ils le doivent à Jésus Christ lui-même, n’ont donc rien à craindre des temps de rigueur qui nous sont imposés, même si le pouvoir exécutif se trompe. « Supplet Ecclesia », comme le dit notre Droit Canon. « En cas d’erreur commune de fait ou de droit, comme de doute positif et probable de droit ou de fait, l’Eglise supplée le pouvoir exécutif de gouvernement tant au for externe qu’au for interne » (canon 144 CIC 1983). Et pour expliquer « l’extraordinaire adaptabilité du système canonique aux circonstances plus diverses de lieux, de temps, de personnes », le Cardinal Pompedda, Préfet du Tribunal suprême de la Signature apostolique (1999-2004), lors d’un colloque sur Saint Yves, citait notre cher Hincmar de Reims (806-882) faisant une comparaison appropriée à notre situation : « De même, en effet, que l’inégalité des urgences et des temps réclame l’adaptation à la circonstance, de même les diverses espèces de maladies obligent à trouver, c’est connu, différents essais de remèdes ». L’obéissance à l’Eglise, à ce qu’elle nous enseigne et nous prescrit sur le plan de notre pratique, comme le respect des règlements et lois du gouvernement politique légal, ne peuvent se vivre que dans l’ordre et surtout dans la prière. L’espérance aussi. L’Eglise et les chrétiens doivent donner l’exemple, d’abord entre eux pour être crédibles dans leur témoignage.

À propos du rédacteur Père Michel Viot

Prêtre catholique du Diocèse de Blois, ancien pasteur et évêque luthérien, ancien franc-maçon, il a été aumônier de prison, vicaire épiscopal du Diocèse de Blois puis aumônier militaire chargé des anciens combattants. Il est aujourd'hui au service du Diocèse de Paris. Rédacteur occasionnel pour le blog breton Ar Gedour, certains des articles de son blog sont aussi parfois repris avec son aimable autorisation.

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