Les rossignols plongent dans la Dark Noz

Photo Mélanie Becognee / Ouest-France
Amzer-lenn / Temps de lecture : 3 min

Critiquer un cercle celtique, qui plus est un aussi talentueux que celui-ci, me peine. Cependant, le sujet qui suit mérite d’être traité et débattu. Et vous, qu’en pensez-vous ?

Il fut un temps pas si lointain où le costume breton était l’expression vestimentaire d’une profonde foi chrétienne. Dans la dure vie quotidienne d’autrefois, des hommes étincelants et des femmes resplendissantes émanait une grâce que les cercles celtiques ont pu garder et faire perdurer. Mais ces dilhad sul qu’on a sauvegardé et sauvé de l’oubli sont devenus des dilhad folklor qu’on ressort l’espace d’une animation, d’une parade ou d’un concours. Ces vêtements et ces danses ne sont plus que l’expression d’une culture qui n’est plus vécue que dans sa dimension festive. Ce qui ne se vit plus se voit donc contraint à la métamorphose pour survivre.

Ainsi, certains cercles, qui ont depuis longtemps déserté le parvis des églises, se consumant dans le consumérisme ambiant et l’esprit du temps, laissent leur incroyable talent comme ici au profit d’un spectacle certes fascinant mais plongeant le spectateur et les artistes dans les ténèbres d’un dark noz. Certes, ce n’est que du spectacle mais c’est avec désarroi que nous voyons que le vol léger des rossignols du Stangala a laissé place à une sombre et lourde déambulation des êtres de la nuit. Déjà la Saint-Loup de Guingamp avait pu voir ce nouveau concept d’Eostiged ar Stangala, qui ose sortir des sentiers battus, évoque des questions d’intérêt, mais semble ne pas prendre conscience qu’il y a un abîme entre les origines et aujourd’hui.

Reprenons la présentation du groupe lui-même :

A la tombée du jour, le public est prévenu de l’arrivée imminente du peuple de la nuit: Hommes-animaux, géants, guerriers, femmes-sorcières… Venus de la forêt, issus de l’ancienne culture celte, ils nous emmènent en musique, déambulant dans nos rues et investissant l’espace urbain. Ils intriguent plus qu’ils n’effraient et, à travers leurs danses et leurs musiques, nous apprendrons à les découvrir.

DARK NOZ propose un univers flamboyant et inédit, interrogeant le spectateur sur ses idées reçues ou le rapport à l’autre et l’emportant dans l’énergie de la danse.

Sous prétexte d’ouverture au monde illustrée par l’accueil d’êtres différents, animaux de la nuit et semi-dieux, mariage improbable entre Cernunnos et Anubis, il y a comme une complaisance pour la mise en avant d’un néo-paganisme aux apparats de spectacle aux antipodes de ce que peut transmettre de qualité un cercle aussi talentueux qu’Eostiged ar Stangala.

Lorsqu’un peuple perd son âme, il se traîne lentement dans les méandres du temps et ce qui était tradition devient folklore pour peu à peu mourir en se persuadant qu’a été retrouvé le sens des origines, retournant à la terre d’une ancienne culture celtique fantasmée, offrant un champ libre à une culture qui s’efface et ne transmet plus rien si ce n’est la performance de l’instant, dans un hédonisme surprenant qui s’enveloppe des oripeaux de l’art. Il serait d’ailleurs intéressant de connaître l’état d’esprit des danseurs à l’issue de leur performance : de la joie ou de la sombre nostalgie ?

Ce cercle si créatif, cet excellent ensemble lui aussi, ne résiste pas à cet esprit du temps. Et en lisant au-delà des lignes, il est intéressant de constater en cette nuit de Sahmain / Halloween que la ville de Ploërmel, qui défraie la chronique pour cette croix que certains ne sauraient voir, a vu déambuler la troupe quimpéroise dans le même laps de temps. Un hasard improbable dessinant les atours d’une Bretagne dans laquelle d’un côté on abat les signes d’espérance et de l’autre avance en silence le linceul qui enveloppera l’Armorique si l’on n’y prend garde.

L’an passé, cette déambulation avait eu lieu à Quimper dans la période de Noël, lumineuse date pour entrer dans la Dark Noz.

À propos du rédacteur Tudwal Ar Gov

Bretonnant convaincu, Tudwal Ar Gov propose régulièrement des billets culturels (et pas seulement !), certes courts mais sans langue de buis.

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2 Commentaires

  1. Complètement d’accord…. quelle tristesse !

  2. MERIADEC DE GOUYON MATIGNON

    Je comprends votre critique et, d’un côté, je suis d’accord avec vous. En même temps, je suis admiratif de la créativité artistique qui s’est développé en Bretagne à partir des traditions populaires. C’est, à ma connaissance le seul endroit ou cette culture a explosé, déjà à partir de l’introduction du biniou bras par un chauffeur d’autobus parisien. Cette évolution a eu des répercutions dans d’autres pays où le folklore était plus brillant, mais figé. L’art moderne, principalement parisien, est élitiste et complètement coupé du peuple. Ce qui se fait en Bretagne reste populaire. Dans l’Église, en cherchant à se rapprocher du peuple, n’a-t-on pas fait pareil et beaucoup plus mal. En voulant tout rendre simple et facile, en ne demandant plus aucun effort, on a remplacé la crainte de l’enfer par le ricanement. Certes la religion “religere” connait des difficultés, mais, en Bretagne du moins, le “religare” reste très fort. Vous êtes, à mon avis, de ceux, rares, qui peuvent trouver une solution. Dieu vous bénisse.

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