Nous avons eu l’occasion d’évoquer à maintes reprises la place de la langue, de la culture, des traditions bretonnes dans l’expression de la foi, leur place dans la liturgie. Nous avons trop souvent été contraints de constater que toutes les trois n’avaient qu’une place de plus en plus réduite en regard de celle donnée à d’autres formes d’expressions. La place accordée au breton devait davantage à une attitude condescendante qu’à une adhésion sincère de la part de ceux qui avaient en charge la liturgie. Ce constat nous menait tout naturellement vers un autre : les Pardons d’aujourd’hui ont-ils de ce fait encore une « âme bretonne » ? Sont-ils encore des pardons bretons, ou ne sont-ils plus en majorité que des Pardons déracinés, récupérés par des croyants zélés, mais totalement étrangers à aux racines qui en étaient l’âme ? La question mérite d’être posée …
Nous avons conscience que notre analyse ne nous épargnera pas le qualificatif de nostalgiques d’expressions de la foi d’une époque disparue. Qu’importe, puisque cet argument qui dans le fond n’en est pas un mais une façon d’occulter le débat, est l’aveu de l’ignorance d’un problème réel. Autre argument qui fausse le débat, disant que l’essentiel demeure dans le Pardon et dans la Foi. Qu’importe alors les « détails » d’ordre culturel, linguistique ou identitaire. Cela va même jusqu’à traiter les pardons de repères de Breiz Atao, justifiant ainsi via point Godwin l’éradication de tout particularisme breton, comme cela nous a été rapporté sur un secteur du Finistère.
QUAND L’EGLISE COMPRENAIT l’ÂME DES PEUPLES
La doctrine de l’Eglise en matière de respect des cultures propres à chaque peuple a été pour elle un souci constant. Tous les papes, tous les évêques l’ont affirmé et réaffirmé. C’est ce qu’on appelle l’inculturation, c’est-à-dire évangéliser en utilisant la culture du pays et en l’imprégnant. Son contraire est l’acculturation, qui consiste à apporter, dans le même but, sa propre culture au détriment de la culture et des traditions du pays. C’est bien cette acculturation qu’ont subi les Bretons depuis près de deux siècles, surtout dans la société, puis à partir des années 1950, d’une manière rapide et brutale dans l’Eglise, au point de devenir une Eglise coupée de l’homme breton.
Voici une recommandation de l’Eglise, de 1659, aux missionnaires, pour les inciter à respecter les cultures, les traditions des peuples, et qui reste d’actualité, y compris pour les Bretons :
« Ne mettez aucun zèle, n’avancez aucun argument pour convaincre ces peuples de changer leurs coutumes et leurs rites à moins qu’ils ne soient évidemment contraires à la religion et à la morale. Quoi de plus absurde que de transporter chez les Chinois la France, l’Espagne ou l’Italie ou quelques autres pays d’Europe. N’introduisez pas chez eux nos pays, mais, la foi, cette foi qui ne repousse ni ne blesse les rites et les usages d’aucun peuple, pourvu qu’ils ne soient pas détestables, mais qui, au contraire, veut qu’on les garde et les protège.
Il est pour ainsi dire inscrit dans la nature de tous les hommes d’estimer, d’aimer, de mettre au-dessus de tout au monde les traditions de leur propre pays et ce pays lui-même. Aussi n’y a-t-il pas de plus grande cause d’éloignement et de haine que d’apporter des changements aux coutumes propres à une nation, principalement à celles qui y ont été pratiquées aussi loin que remontent les souvenirs des anciens. Qu’adviendrait-il si, les ayant abrogées, vous cherchez à mettre à la place les mœurs de votre pays, introduites du dehors ? Ne mettez donc jamais en parallèle les usages de ces peuples avec ceux de l’Europe, bien au contraire, empressez-vous de vous y habituer.
Admirez et louez ce qui mérite louange. Pour ce qui ne la mérite pas, vous aurez la prudence de ne pas porter de jugement ou, en tout cas de n’en rien condamner étourdiment ou avec excès. »
Si ces sages conseils visaient les peuples d’Afrique, d’Asie, des Amériques, et autres pays lointains, elle concernait aussi les peuples d’Europe. On imagine très mal l’Eglise protégeant les cultures, les traditions des peuples de ces pays, et dans le même temps prônant la déculturation des peuples d’Europe. Ce texte n’a ainsi rien perdu de son actualité, mais malheureusement, il n’est plus appliqué. L’universalité (le message du Christ) de l’Eglise dans la diversité (les cultures et traditions des peuples) est trop souvent confondue avec un universalisme apatride qui fait fi des particularismes, et cela est très dommageable. Saint Jean-Paul II, pape très attaché à sa Pologne, demandait, après bien d’autres papes, évêques ou prêtres « d’être attaché à nos traditions comme à la prunelle de nos yeux ».
En 1846, Monseigneur Graveran évêque de Quimper, dans une lettre apostolique écrivait :
« Bretons, tenez à vos traditions, à vos magnifiques bannières, à vos magnifiques costumes, à votre langue qui exprime et chante si parfaitement la gloire du Christ, de sa Mère et de tous nos vieux saints. Nous ne parlons pas ici de littérateur préoccupé de questions philologiques, en artiste épris de formes pittoresques, mais en évêque convaincu par l’expérience et la raison de l’étroite liaison qui existe entre la langue d’un peuple et ses croyances, entre ses usages et ses traditions, entre ses habitudes et ses vertus ».
Alors, pourquoi un certain clergé et certains laïcs (heureusement pas tous) n’ont-ils de cesse de mépriser, de détruire la culture, la langue et les traditions bretonnes, les jugeant incompatibles avec une vision moderne de l’expression de la foi ? Nous avons ici un mépris finalement à l’égal de celui du jacobinisme français puisant ses racines dans la Révolution française, qui proclamait que «la superstition parle bas-breton », ou d’un Combes qui en 1902 interdira le breton à l’Eglise. Interdiction qui ne sera que trop bien appliquée par un clergé rêvant de tout franciser.
Les Pardons bretons étaient, et sont toujours, un élément essentiel de l’expression de la foi en Bretagne : histoire, culture, traditions et langue y sont intimement liés. Les Pardons, avec le culte des saints, de leurs chapelles ou églises, sans oublier ceux dédiés au Christ, à la Vierge Marie ne peuvent être dissociés de tous ces éléments qui en sont l’âme. Histoire, culture, langue et traditions ayant été éliminés de bien des Pardons, que reste-t-il d’authentique qui soit encore breton ? Il en reste des reliquats. Mais si nous voulons, non sans raison d’ailleurs, faire preuve de sévérité devant ce grand bradage de la culture bretonne à l’église, nous dirons alors que la majorité des Pardons ne sont plus que de très mauvaises copies des Pardons d’autrefois, et qui n’ont plus guère de rapport avec l’âme bretonne. Une des raisons qui d’ailleurs contribue à la chute actuelle de certains pardons.
Soyons clairs ! Il n’est nullement question ici de contester les bonnes volontés qui depuis des décennies se sont dépensées sans compter à la résurrection de bien des Pardons qui avaient disparus au tournant des années cinquante, et surtout des années 60-70. Ils avaient justement disparus à cause de ce mépris extrêmement violent et très loin de toute charité pour toutes les expressions d’une foi populaire enracinée, n’y voyant que superstitions et relents de paganisme.
Ces bonnes volontés sont aussi celles qui eurent à cœur de restaurer les chapelles sans lesquelles il n’y avait plus de Pardons : le destin des chapelles étaient liés aux Pardons et réciproquement. Malheureusement, bien de ces gens dévoués avaient un sérieux handicap : ils étaient en grande majorité ignorants, non seulement de la langue bretonne, mais de toute culture bretonne et des traditions, et la majorité ne s’y intéressait pas, ou alors de manière plutôt « folklorique ». Heureusement, dans les années 60, il restait encore des personnes qui dans leur jeunesse avaient connu ces Pardons dans leur splendeur et leur âme bretonne. Il était donc possible de solliciter leurs souvenirs pour restaurer ce qui pouvait encore l’être et de « réenraciner » le Pardon. Il y eu d’incontestables résultats heureux, mais ils furent d’exception. Le renouveau des Pardons affrontait d’autres problèmes : disparition des paroisses, disparition d’un clergé de culture bretonne, d’une génération bretonnante, éloignement des familles, mais parallèlement arrivées de nouvelles populations totalement étrangères à toutes formes de cultures bretonnes, profane ou religieuse. A la disparition d’un clergé breton correspondait la mise en place d’un clergé, lui aussi, totalement étranger à notre culture, donc à de rares exceptions, indifférent à une expression de la foi enracinée, reproduisant en Bretagne le style paroissial de n’importe quelle paroisse de France.
UN PARDON N’EST PAS UNE RECONSTITUTION HISTORIQUE
Un Pardon est-il encore breton parce que l’on y chante un ou deux cantiques en breton, parce que l’on ressort les bannières et les statues de saints, parce que le temps de la procession certains fidèles ont revêtu un costume breton ? La réalité est que si ces éléments participent à donner au Pardon son incontestable caractère breton, ils ne sont pas suffisants. Un Pardon n’est pas une sorte de reconstitution historique religieuse bretonne comme on reconstitue des noces, des battages d’autrefois ou des scènes médiévales au pied du château local. Si dans ces reconstitutions les participants revêtent les costumes des époques et ressortent les vieilles charrues, les chars à bancs, les vieux outils, ce qui est normal, en ce qui concerne le Pardon, on ne saurait assimiler les bannières, les statues, les costumes à ces accessoires festifs, car dans ce cas, seule la messe de rit traditionnel devrait alors être célébrée. Le Pardon se doit d’être naturel, ancré dans la vie paroissiale, et non être la pâle reconstitution d’une expression de la foi qui ne serait plus. Or, c’est justement là que la bât blesse. Soit le Pardon n’a plus du tout d’âme bretonne, et ce ne sont pas un cantique ou deux, et quelques bannières qui la lui redonneront, soit le Pardon se réapproprie cette âme en redonnant une véritable vie spirituelle et culturelle enracinée, d’où l’importance de leur place dans son déroulement, et principalement la liturgie, mais, et cela est essentiel, en en comprenant toutes les significations. Les rites eux-mêmes sont parfois méconnus : pourquoi faire une procession après la messe plutôt qu’avant la messe ? Pourquoi tel sens ambulatoire de la procession et pas l’autre ? Pourquoi telle date pour le pardon et pas une autre ?
En ce qui concerne la langue, l’argument si souvent avancé pour justifier l’absence du breton à l’église (cantiques) est que les gens ne le comprennent plus, ou pas. Le breton est devenu une langue étrangère. Cet argument ne tient pas. D’une part il y a les feuillets de chants qui donnent (ou devraient donner) en parallèle la traduction, comme pour le chant grégorien, d’autre part c’est enlever aux fidèles toutes par d’intelligence, de compréhension. C’est aussi faire bon marché de la musique qui y aide grandement. L’argument tient d’autant moins qu’il n’est jamais avancé quand il s’agit d’introduire dans nos Pardons des chants et musiques venus d’ailleurs.
En ce qui concerne les bannières, et les rites qui les accompagnent, on peut aussi constater que beaucoup de porteurs, pour dévoués qu’ils soient, ne les ont jamais connus. Trop de bannières, il en est de même des drapeaux dans les fêtes, sont portées comme une pancarte dans un défilé. La plupart ne savent même pas à quoi servent les deux cordons qui pendent de chaque côté.
La question des costumes est aussi à soulever. Assurément, leur retour en quelques pardons est une chose heureuse. Il y a encore quelques années, personne n’aurait osé porter un costume, le complexe de Bécassine étant encore très fort. Ce retour dû à des personnes décomplexées a fait école, et ceux qui le portent, jeunes et anciens, en sont fiers. Alors, où est le problème ? Il est en ce que ce port du costume est trop souvent assimilé à un déguisement : on se « costume », le temps de la messe et de la procession. Certes, il y a des personnes qui en comprenant tout le sens, et parce qu’il a appartenu à un grand-parent le revêtent avec une réelle dévotion. Mais il y a ceux qui, heureux aussi de le revêtir, voient cependant là une occasion de se costumer, si ce n’est se déguiser, en breton, en bretonne comme lors d’une reconstitution historique : on se costume en paysan, en chevalier, en princesse. Le port d’un costume breton devrait dans l’esprit et le port être accompagné d’une véritable « sacralité » comme le prêtre qui revêt ses habits sacerdotaux pour célébrer la messe. C’est d’autant plus vrai que le costume breton bien porté oblige la personne à une certaine tenue physique qui la transcende, et cela est particulièrement vrai chez les fillettes, les jeunes filles, comme métamorphosées en princesses. Cela est également vrai chez les hommes, mais beaucoup trop portent un costume breton amputé non seulement de sa veste, souvent l’élément le plus remarquable, laissant parfois apparaître le débraillé d’une chemise. Quant au chapeau ! Il est tenu pour inutile. Contrairement à la femme, l’homme semble se croire dispensé d’une certaine élégance à laquelle le costume le soumet. Est-ce donc trop demander que ce port soit accompagné d’une compréhension de sa signification, qu’il soit l’ouverture pour d’autres ouvertures vers la culture bretonne, religieuse et profane ?
L’âme d’un Pardon breton tient à beaucoup d’éléments qui, additionnés, la lui restitue. Il n’y a pas de « détails ». Un dernier point : trop souvent l’âme bretonne d’un Pardon ne tient qu’à une ou quelques personnes ; que celles-ci décrochent et le peu qui, avec grand peine, avait été restauré, disparaît à nouveau. Il y a, hélas, bien des exemples.
Alors, pourquoi donc est-ce en Bretagne si difficile de respecter la culture et la langue bretonne ? Pourquoi est-ce si difficile de leur redonner à l’église la place qui de droit leur revient ? La réponse tient dans une attitude et une mentalité où se côtoient : ignorance, indifférence, mépris sur fond d’une évangélisation déconnectée, et qui est celle de trop d’équipes liturgiques décrétant que le breton à l’église n’a plus sa place, ou alors uniquement de manière symbolique. Peut-on vraiment prétendre évangéliser si déjà la vertu de charité qui est sur la question des Pardons n’est pas appliquée : respecter l’âme spirituelle et culturelle d’un peuple ?…
- Kan Iliz, catalogue de cantiques bretons
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Ur bed nevez a zo o tont. Dalc’homp, eus ar bed kozh, ar pezh a zo mat. Miret e vo ar pardonioù kaerañ. Ar brezhoneg a vo saveteet, goude ma tiskennje betek 50 000 ar vrezhonegerien. 9 lec’hienn nevez evit ar brezhoneg en deskadurezh katolik…
Un monde nouveau vient.Gardons ce qui est bien du vieux monde. Nous garderons les plus beaux pardons. La langue bretonne sera sauvée, même si les locuteurs descendent à 50 000. 9 nouveaux sites d’enseignement breton dans l’enseignement catholique…
On peut aussi se dire que ces choses qui subsistent sont inaliénables, qu’elles subiront le temps et vivront éternellement. Il n’y a pas, il n’y aura jamais de rupture pour la simple raison que Celui qui veille ne laissera pas une terre sacrée devenir une friche spirituelle. Soyons visionnaires et patients. Soyons confiants.