« On ne peut tout bretonniser » : une évidence linguistique ou un symptôme politique ?

Amzer-lenn / Temps de lecture : 4 min

À l’occasion de la parution de L’Encyclopédie de Haute-Bretagne aux Presses Universitaires de Rennes, l’historien Pascal Ory a déclaré dans le quotidien Ouest-France : « Sur le plan linguistique, on ne peut tout bretonniser. » Il faisait ainsi référence au fait que, contrairement à une idée reçue, toute la Bretagne n’aurait pas été historiquement bretonnante : la Haute-Bretagne, notamment, aurait principalement parlé gallo, et non breton. Cette précision, peut-être légitime sur le plan historique même si on peut être en désaccord (quid du secteur de Guérande, par exemple ?), a pourtant suscité de vives réactions. Car derrière cette remarque d’apparence factuelle se joue une question plus profonde : pourquoi la « bretonnisation » dérange-t-elle davantage que la « francisation », pourtant bien plus massive et ancienne ?

Une tension entre breton, gallo et français

Le propos de Pascal Ory s’inscrit dans un contexte où le rapport aux langues en Bretagne demeure hautement symbolique. Les débats autour de la toponymie, de l’enseignement bilingue ou de la signalétique traduisent des sensibilités différentes. Certains spécialistes et défenseurs du gallo dénoncent une « bretonnisation à outrance » qui effacerait la spécificité linguistique de la Haute-Bretagne. D’autres y voient une simple volonté de rééquilibrer une situation héritée d’une longue domination du français. Selon certains, la Bretagne n’a jamais été linguistiquement homogène : le breton, langue celtique, aurait été parlé principalement à l’ouest, tandis que le gallo, langue d’oïl, aurait dominé à l’est. Encore que cela concerne une évolution au fil des siècles. Mais la question actuelle dépasse cette géographie linguistique : elle interroge la hiérarchie implicite entre les langues de France.

Une indignation sélective face à la « bretonnisation »

Ce qui frappe, dans les réactions suscitées par la phrase de Pascal Ory, c’est le déséquilibre entre les sensibilités. Beaucoup s’émeuvent d’une bretonnisation symbolique – un panneau bilingue, un nom d’école, une traduction en breton d’un lieu public – alors que la francisation, elle, s’est imposée depuis des siècles sans provoquer la même indignation. Les défenseurs du gallo dénoncent le risque d’effacement de leur langue au profit du breton, mais peu nombreux sont ceux qui s’interrogent sur l’effacement, bien plus ancien et profond, du gallo et du breton par le français. On reproche parfois au breton son zèle, alors qu’on ne perçoit plus la francisation comme un projet politique, tant elle s’est fondue dans la normalité. Autrement dit, la francisation ne choque plus parce qu’elle a triomphé.

Il serait simpliste d’opposer bretonnants, gallésants et francophones. Le véritable enjeu n’est pas de choisir entre les langues, mais de penser leur coexistence. Tout bretonniser relève aujourd’hui d’une chimère ; mais s’accommoder d’une francisation totale relève d’un aveuglement historique. Le breton comme le gallo sont des composantes du patrimoine linguistique de la Bretagne, et leur valorisation n’a pas à être perçue comme une menace pour le français. Ce qu’il faudrait interroger, c’est la place symbolique accordée à chaque langue dans l’espace public : pourquoi le français demeure-t-il la seule langue perçue comme universelle, et les autres comme locales, donc secondaires, au point de ne devenir qu’anecdotiques dans la société ?

Repenser le rapport de force linguistique

La phrase de Pascal Ory rappelle sans doute qu’on ne peut pas tout bretonniser, parce que la Bretagne aurait toujours été plurilingue. Mais elle révèle aussi, involontairement, combien la francisation reste invisible et acceptée. En France, la diversité linguistique n’est pas niée par principe, mais neutralisée par habitude. Plutôt que d’opposer breton et gallo, il s’agirait de reconnaître qu’ils partagent une même fragilité face à la langue dominante. Rééquilibrer ne signifie pas effacer : c’est donner à chacune de ces langues le droit d’exister sans être soupçonnée d’excès. En ce sens, la vraie question n’est pas de savoir s’il faut tout bretonniser, mais pourquoi nous avons si longtemps accepté de tout franciser jusqu’à gommer notre héritage.

À propos du rédacteur Tudwal Ar Gov

Bretonnant convaincu, Tudwal Ar Gov propose régulièrement des billets culturels (et pas seulement !), certes courts mais sans langue de buis.

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9 Commentaires

  1. Vous mettez à un même niveau les parlers gallos, tous disparus et notre langue nationale.
    C’esst insupportable.
    A quand une messe en « gallo » ?
    80 % regardent le breton comme la langue de la Bretagne et beaucoup ne savent même pas qu’il y avait il y a 80 des gens qui parlaient des parlers proches du français dans les campagnes éloignées de Haute Bretagne.

    Aujourd’hui le breton est enseigné, il a une littérature orale et écrite, un standard orthographique, une légitimité auprès des Bretons.

    Oui à la bretonnisation dans toute la Bretagne : la Bretagne à sa naissance, c’est à dire lorsque le premier saint breton fondateur a posé les pieds en Armorique.
    Ce n’était pas B5, note le bien. La Bretagne n’est pas un nom géographique : elle est dans nos coeurs et elle est chrétienne et bretonnante. C’est une idée, un idéal que le mouvement breton réalisera ou ne réalisera pas.
    La renaissance d’Israel à partir d’une langue morte montre que c’est possible.
    Mais sans diviniser la langue : elle est le vecteur d’identification, l’âme de la Bretagne à laquelle nos aspirons et ne donne pas la finalité, c’est à dire le type de société que nous voulons sur cette presqu’ile en remplacement du modèle étatique fRançais franc maçon, laiciste contre la seule religion qui vaille, jacobin, centralisateur, globaliste, woke etc… Sans un tel projet pour notre Bretagne, et a minima le respect de la Loi naturelle qui nous aurait évité l’Ivg et 500.000 vie éradiquées en Bzh depuis la loi Veil par exemple, la masse mole des Bretons resteront.. français en fait.

    • Vous avez mal lu mon propos. Relisez, constatez les temps utilisés et la syntaxe, et vous verrez que les deux ne sont pas mis au même niveau. Cet article concerne le livre de Mr Ory et son positionnement : le sujet est d’ailleurs moins la question de la hiérarchie breton / gallo (dont des kilomètres de commentaires existent sur le web et ailleurs) que le positionnement face à une francisation générale du territoire qui laisse apparemment de marbre. Comme d’hab’, on retombera dans une lecture manichéiste laissant de côté le thème principal. C’est regrettable…

  2. Il y a aussi une réécriture de l’histoire. Si le gallo a toute sa place en tant que langue historique de Bretagne aux côtés du Breton, en revanche lorsque l’on entend que le Breton n’a jamais été parlé dans l’est de la Bretagne, c’est faux. Il y a eu en réalité un lent recul du Breton, lié à la poussée des langues romanes.
    La toponymie l’atteste que ce soit dans la région de Pornic, Dol…
    Sur la N164, on voit aussi des tags hostiles au Breton sous prétexte « qu’il n’y a jamais eu de Gallo sur ce secteur ». Ironie, les panneaux en questions indiquent la Trinité Porhoët (Porhoët ne vient pas du Breton?) et Plémet qui vient de Plou (plow) Demet c’est à dire en Breton la paroisse de Saint Demet, traduite en Plezeved à rapprocher de Plozevet (29) La traduction en gallo Pllémë est donc un non-sens, déformant plus encore le terme de paroisse et le nom du saint et le Breton a bien légitimité puisqu’il est à l’origine du nom du lieu

  3. Jean-Louis Pressensé

    Je ne vais pas nécessairement plaire à tout le mal, mais la phrase « Plutôt que d’opposer breton et gallo, il s’agirait de reconnaître qu’ils partagent une même fragilité face à la langue dominante » m’apparaît insupportable, totalement déconnectée de la réalité. Il y a un parler (en fait des parlers tant ils sont dissemblables !) en voie de disparition, ce qui est sinon normal du moins logique puisque ce patois était le véhicule d’une civilisation rurale disparue après la première guerre mondiale, or cette civilisation traditionnelle ne reviendra pas, le gallo non plus. [En incidente, lors de la remise des colliers de l’Hermine à Châteaubriant – en pays gallo – en octobre, on nous a remis une documentation trilingue breton-gallo-français. Mais lorsqu’il s’est agi des interventions, organisateurs et récipiendaires se sont exprimé en breton et en français, mais personne n’a songé à bavasser en gallo par peur du ridicule ! Il s’est même trouvé le dernier collier, sir Barry Cunliffe, pour faire l’apologie des langues linoritaires… en anglais 🙂 ]
    Il reste donc le breton, qui doit plus sa survie aux cultureux qu’aux politiques, et il y a le français, de plus en plus menacé par l’anglo-américain qui gagne et qu’on ne prend plus la peine de traduire : la génération Erasmus est gagnée à l’anglais, faut pas l’oublier !
    Défendre le breton et le gallo ? Aux dépens du français ? Je fais un autre choix, tant pis pour le moribond gallo (dont les derniers défenseurs, curieusement, s’attaquent davantage au breton qu’au français…)

    •  » Je fais un autre choix, tant pis pour le moribond gallo (dont les derniers défenseurs, curieusement, s’attaquent davantage au breton qu’au français..  »
      Ben oui.. c’est exactement le sujet évoqué par Tudwal dans son article…

  4. Ceux qui voudraient mettre le gallo au même plan que le breton ne réalisent pas le ridicule de leur démarche et notamment en s’opposant à son affichage public en Haute Bretagne. Inventer en plus, une « Encyclopédie de la Haute Bretagne » est de même ordre de provocation que d’avoir affiché « Un mur des cons linguistique » où ils voudraient rabattre le caquet d’une certaine « Basse Bretagne ». Si autrefois des Bretons monolingues ne parlaient que breton à l’ouest et gallo à l’est, faire cette distinction aujourd’hui sur cette base n’a plus aucun sens d’un point de l’usage. Il est probable qu’on y pratique en milieu scolaire, universitaire ou associatif autant le breton à Rennes qu’à Brest. Quand on entend parler gallo, on le comprend à peu près sans l’avoir étudié, même syntaxe que le français, même mots bien souvent bien que parfois prononcés avec un accent différent . Il faut tendre un peu l’oreille comme on le fait pour le Québecois mais c’est du français. L’histoire du breton n’est pas l’histoire d’un dialecte du français. La langue bretonne a une histoire qui remonte à la fondation de la Bretagne avec le venue des Bretons insulaires à la fin de l’empire romain (vieux breton). Le théâtre en breton est attesté depuis le moyen âge, le premier dictionnaire de français fut aussi le premier dictionnaire de breton, le Catholicon de Jehan Le Lagadeuc achevé dès1464. Il y a les travaux des grammairiens, une littérature en breton, des fictions, des lexiques permettant de traduire n’importe quel texte littéraire ou scientifique en breton etc … Ce n’est pas faire injure au gallo que d’observer que si des Bretons ne s’étaient pas battus en travaux de haut niveau intellectuel pour la reconnaissance du breton à,travers les siècles, personne n’aurait pensé au sort du gallo que certains voudraient tout à coup rendre visible au détriment du breton alors que c’est le français qui l’a rendu invisible.

    • C’est dingue de faire un article qui pose la question de la francisation et du positionnement face à celle-ci, mais que tous les commentateurs tombent dans l’éternel manichéisme breton / gallo. Alors même que c’est certainement un sujet mais clairement pas le sujet de cet article. 🤔😐

  5. Pour ma part , personne ne s’émeut de voir la langue bretonne réduite au regard de sa pratique dans la vie publique et quotidienne en Bretagne depuis des dizaines d’années désormais , le français s’est imposé depuis 1 siècle comme langue usuelle et dominatrice , comme vecteur politique imposé qui ne supporte pas l’altérité culturelle .

    Les Breton(ne)s veulent et ont un coefficient très fort de sympathie pour cette langue le breton et son enseignement , mais il faut s’y coller , la société bretonne est atone sur le sujet des moyens les Conseils Départementaux notamment , une volonté qui serait manifeste de sauver et d’utiliser le breton en Bretagne par des actes . Certes, il y a de bonnes volontés associatives pour réaliser partout pourtant et l’espoir est là en dépit des obstacles et des paradoxes .

    Le breton n’a cessé de reculer sur son domaine depuis le 11ème siècle si l’on excepte Rennes , Vitré , Fougères , La Guerche de Bretagne, Châteaubriant , Ancenis , le Vignoble breton qui parlaient une langue romane devenue le gallo .

    Les galésants se trompent de combat , les 2 langues de la Bretagne sont importantes pour l’identité culturelle de la Bretagne pour l’avenir , crier sur le breton en Ille et Vilaine parce qu’il s’installe et répond à une demande populaire souvent locale est une faute car le breton a sa place partout en Bretagne et a une signification , une réparation et un sens : une réappropriation de sa culture pour le peuple breton toujours nié par l’Etat .

    La liberté c’est de choisir sans contrainte aucune son identité culturelle , dans la tolérance acceptée par tous , si il y a une appétence pour le breton laissons faire les personnes . A Orvault récemment , les gens se sont employés à construire une école Diwan qui offrira aux élèves un site nouveau le 06 janvier 2026 en pays nantais et c’est profitable et nous en avons besoin pour espérer de maintenir la langue bretonne en difficulté mai il est des promesses à venir pour elle , les jeunes s’y intéressent ….

    Pour l’anecdote hier à Lomener (56) Ploemeur , 2 personnes m’interrogent sur la signification de Lomener qu’elles souhaitaient connaître :

    Je leur la donne : Lok Menec’h : Oratoire ou ermitage des moines , un moine : ur manac’h ; des moines : menec’h .

    Elles ont été agréablement surprises et contentes sur le sujet et voulaient savoir davantage sur les noms de lieux

    et la langue bretonne … Où s’instruire ?

    Un jardin s’entretient , une langue se pratique . Cultivons avec foi le retour de la langue bretonne parmi nous , nous y arriverons !

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