Saints bretons à découvrir

Pourquoi parler de langue régionale ou minoritaire peut être problématique

Amzer-lenn / Temps de lecture : 5 min

En 2016, j’écrivais que dans un pays qui se targue d’être ouvert, où tout le monde appelle à la tolérance, on voit que l’ouverture n’est souvent qu’en sens unique et que cette tolérance n’est pas applicable aux langues dites régionales. Ladite tolérance, cache-sexe d’un suprémacisme linguistique problématique, rejetant ces langues aujourd’hui minoritaire sous un prétexte fallacieux d’identitarisme ne laissant aucune chance à ceux qui voudraient une véritable action en faveur des langues historiques, pour eux et les générations à venir.  La tolérance, ce beau mot qui efface celui de respect mutuel mais qui implique de facto une supériorité de l’un (celui qui tolère l’autre dans son espace) par rapport à l’autre (celui qui est toléré). Cette tolérance qui invite à user de notre langue en privé par respect des unilingues et à une auto-ghettoïsation de plus en plus flagrante. Ghettoïsation qui sera ensuite considérée comme communautarisme par ceux-là même qui auront poussé à cet état de fait. Cela étant constaté tant dans la dimension sociale, que professionnelle ou encore religieuse.

Langue régionale : un terme adéquat ?

Mais ne prêtons-nous pas le flan à notre propre mise à l’écart en acceptant d’être les victimes de ce suprémacisme linguistique, en commençant par le langage que nous utilisons ? Lorsque nous parlons de langue régionale, par exemple, comme nous l’a récemment montré l’actualité.

Rien que cette expression implique de facto une supériorité d’une langue dite nationale sur une langue dite régionale, langue qui finalement n’aurait pas autant d’importance que la langue officielle. L’inutilité de nos langues dites régionales est d’ailleurs souvent soulignée. Qui n’a jamais entendu : « à quoi ca te sert dans la vie, le breton ? Il vaut mieux apprendre l’anglais ! » Finalement, en déployant le même principe d’une utilité subjective, on pourrait aller jusqu’aux propos disant que ceux qui ne sont plus utiles à la société méritent de disparaître. Est-ce humain que de penser cela ? Est-ce prétentieux de nous croire égaux ? Est-ce trop demander que de vouloir vivre ? Pourtant, c’est ce qui est vécu par ceux qui ont encore une attache linguistique à une Bretagne qui lentement se meurt. Chaque démarche pour obtenir un minimum de visibilité de la langue bretonne est un parcours du combattant, une lutte contre des moulins à vents.  Nous nous demandons donc pourquoi les défenseurs de la langue bretonne continuent à parler eux-mêmes de “langue régionale”, participant ainsi malgré eux à ce complexe de supériorité, conscient ou non.

Langue minoritaire : un titre en attendant l’heure dernière

Il en est de même pour ce qui est du terme « langue minoritaire ». Dans les faits, le breton est bien devenu langue minoritaire sur son propre sol, et c’est ainsi que l’UNESCO classe le breton parmi les langues en danger sérieux d’extinction. Cette reconnaissance comme langue minoritaire permettrait notamment une attention particulière portée par le politique pour la sauvegarde de ce patrimoine de l’humanité. Dans les faits, rien n’est fait, ou si peu… et les langues minoritaires, pour le commun des mortels, deviennent langues mineures (ou minorées) dans une francophonie portée sur l’autel mondial de l’expression du progrès.

Reconnaître les peuples et accepter qu’ils soient eux-mêmes, c’est reconnaître l’humain en ce qu’il est.

Le breton, comme le basque, le corse, l’alsacien, le tahitien, l’occitan ou le créole… ne sont pas de simples langues régionales. Elles sont les langues de peuples conquis au fil de l’histoire, mais elle n’en demeurent pas moins les langues de ces peuples (cf Peuple, Nation, Etat : quand trois concepts se confondent dans les esprits). Oui, des peuples, n’en déplaise à certains qui affirment qu’il n’existe pas de peuple breton ou de peuple corse. On peut peindre en bleu, en blanc ou en rouge le feuillage éphémère d’un arbre : les racines, elles, restent ce qu’elles sont. Et si une langue officielle, le français, a permis d’unifier linguistiquement l’ensemble de ces peuples qui font aujourd’hui la nation France, les langues dites régionales existent toujours (malgré ce qui a été fait pour les éradiquer) et contribuent à cette symphonie des peuples. Nos histoires sont devenues soeurs, et une vie commune bon gré mal gré s’est dessinée à travers les siècles. Mais il ne faudrait pas confondre unité et uniformité. Or toute velléité visant à réprimer les aspirations à vivre dans la langue du coeur ne peut que contribuer à l’exacerbation d’un sentiment qui à la base ne relève que d’un souhait de reconnaissance en tant que tel et une volonté de ne pas voir mourir une part de soi-même par des agressions extérieures mettant en péril la culture et la sève de son peuple. Une mort intérieure qui vient lorsque êtes privé de votre propre culture, c’est-à-dire quand vous êtes privé d’avoir une vie intérieure authentique. Reconnaître les peuples et accepter qu’ils soient eux-mêmes, c’est reconnaître l’humain en ce qu’il est.

 

La Découverte ou l’Ignorance

Le breton est-il ma langue maternelle?
Non, je suis né à Nantes où l’on ne le parle pas
Suis-je même Breton?
Vraiment, je le crois
Mais de pure race
Qu’en sais-je et qu’importe?
Séparatiste? Autonomiste? Régionaliste?
Oui et non, différent
Mais alors, vous n’comprenez plus
Qu’appelons-nous être Bretons
Et d’abord, pourquoi l’être?
Français d’état civil, je suis nommé Français
J’assume à chaque instant ma situation de Français
Mon appartenance à la Bretagne
N’est en revanche qu’une qualité facultative
Que je puis parfaitement renier ou méconnaître
Je l’ai d’ailleurs fait
J’ai longtemps ignoré que j’étais breton
Français sans problème
Il me faut donc vivre la Bretagne en surplus
Ou pour mieux dire en conscience
Si je perds cette conscience
La Bretagne cesse d’être en moi
Si tous les Bretons la perdent
Elle cesse absolument d’être
La Bretagne n’a pas de papiers
Elle n’existe que si à chaque génération
Des hommes se reconnaissent Bretons
À cette heure, des enfants naissent en Bretagne
Seront-ils Bretons? Nul ne le sait
À chacun, l’âge venu, la découverte ou l’ignorance.

 

Morvan Lebesque (extrait popularisé par Tri Yann)

À propos du rédacteur Tudwal Ar Gov

Bretonnant convaincu, Tudwal Ar Gov propose régulièrement des billets culturels (et pas seulement !), certes courts mais sans langue de buis.

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3 Commentaires

  1. Sauf erreur, Tri Yann n’a strictement rien à voir dans la citation.

    Il me semble reconnaitre intégralement les mots du très fameux livre de Morvan Lebesque : « Comment peut-on être breton? » , sous-titré « essai sur la démocratie française ». Ouvrage qui fit sensation, d’autant que l’auteur était un journaliste très en vue au « Canard Enchaîné ». Ouvrage publié en 1969, disponible en édition de poche.

    Signalons à ce propos que l’ACB (Agence Culturelle Bretonne) Morvan Lebesque, de Nantes ne s’intitule plus depuis assez longtemps déjà que ACB tout simplement. Pourquoi?

    Reste que découvrir sur place – sur la tour du musée Dobrée – la fameuse citation mise en exergue par Morvan Lebesque: « An dianav a rog ac’hanoun » (l’inconnu me dévore) est un moment émouvant, pour quiconque visite Nantes, capitale ducale de la Bretagne. Et a fortiori y habite.

    Un tamm brezhoneg istorel e Naoned, biskoazh kemend-all!

    • Il n’y a pas si longtemps encore, les langues de France étaient majoritaires partout.
      C’est à force de brimades et de persécutions d’une rare violence qu’elles sont devenus minoritaires,
      même là où on les utilisait pourtant depuis des siècles. Pour rappel, jamais la langue bretonne n’eut autant de locuteurs que dans l’immédiate après-guerre : environ 1 million et demi de bretonnants !
      C’est à peine croyable, mais c’est pourtant la vérité : La Bretagne bretonnante ressemble donc bien plus à une ex-majorité déchue qu’à une minorité digne de ce nom.
      Ce terme ne convient donc pas à la langue bretonne.

  2. Le Breton est une langue minorisée car réduite volontairement à plus grand chose. C’est aussi une langue nationale car elle est la langue du peuple Breton qui a été une nation à part entière. Le peuple Breton et la nation Bretonne ont réellement existé n’en déplaisent à la plupart de nos politiciens.

    La langue Bretonne a été presque éradiquée par cette France républicaine dont les fondements sont basés sur les génocides vendéens et Bretons (cf période de la terreur). Le travail de sape continue encore aujourd’hui, et en est à sa phase finale. Mais ce travail de sape, fait contre la langue et la culture Bretonne (et basque, occitane, corse…) commence à se faire aussi à l’encontre de la langue et la culture Française…Effet boomerang. Et cela ne nous réjouit pas non plus, bien au contraire…C’est par un respect mutuel et réel que chaque langue et culture peut vivre pleinement.

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