Description
Yann-Fañch Kemener, qui avait réalisé l’excellent spectacle Ar en deulin sur le poète Yann-Ber Calloc’h, nous gratifie d’un album qui ponctue quarante-cinq ans de sa vie d’artiste et d’homme traçant son chemin. Une carrière riche et intense de recherches, de rencontres et de créations diverses. Il y a quelques années, il avait publié le livre “War heñchoù ar c’hontadennoù”. Aujourd’hui, c’est un album sobrement intitulé “Rodennoù / Traces” qu’il offre comme continuité musicale, accompagné de ses deux musiciens Erwann Tobie (accordéon) et Heikki Bourgault (guitare), mais aussi d’Anne Auffret (harpe et voix), d’Achille Grimaud dans la narration, d’Aldo Ripoche au violoncelle et enfin d’Eric Menneteau à la voix.
Je vais sans doute me répéter car à chaque nouvel album, l’artiste nous donne à découvrir des trésors du patrimoine breton avec une interprétation que je ne peux que souligner avec enthousiasme. Yann-Fañch Kemener souhaite ici rendre un hommage à la poésie bretonne. Et pour cela, il a réalisé un double CD qui se pose à la fois comme mémoire du passé de ces personnes croisées au fil d’une destinée, et témoignage légué aux générations nouvelles d’un message poétique glané durant des décennies.
De sa douce voix empreinte d’une sincérité qui fait vivre les mots, capable de retranscrire pour nous l’âme des textes qu’il nous chante, Yann-Fañch nous embarque vers l’île de Groix, sur les vagues ou sur le roc, le visage fouetté par les lames acérées du vent du large. Nous voici portés au coeur des textes du Bleimor. Mais pas seulement du loup de mer, car le chant est aussi ponctué de poèmes -en breton ou en français- de Xavier Grall (Marins), d’Anjela Duval, de Maodez Glanndour (Milc’hwid ar serr-noz), de Yann Sohier (E-tal ar Groaz), de Gilles Baudry (L’étranger), de Jean Lavoué (bénédiction de la marche) ou de Jakez Riou (Ar feunteun zu)… et d’autres encore.
Mélancoliques, sombres ou plein d’espérance, parfois surprenants mais toujours parlants, jamais anodins, ces mots qui bousculent et interrogent sont fruits de l’amour de Yann-Fañch pour la littérature et pour cette Bretagne qu’il a, chevillée au corps. Une Armorique qu’il souhaite transmettre à celui qui prend le temps de l’écouter.
Dans un parfait équilibre de gwerzioù, de danses, de poèmes, et d’instrumentaux, l’artiste qui dans son disque Enez Eusa (1998) avait déjà chanté “Me zo ganet e kreiz ar mor” ou “Ar voraerion”, reprend ici ces titres issu du spectacle Ar en deulin, mais aussi bien d’autres, avec des arrangements musicaux qui les subliment. Prenons par exemple le poème d’Anjela Duval “Eil bugaleaj” sur lequel le sobre violoncelle d’Aldo Ripoche reprend avec brio le thème d’un cantique de l’album “Ar Baradoz“ dans un parfait mariage, comme introduction à une danse du Pays Pourlet qui vaut le détour.
Quand on passe chez Yann-Fañch, il aime à nous raconter telle rencontre et tel instant de sa vie, et on sait que chaque titre qu’il interprète est comme un hommage aux visages qu’il a croisé et “aux lèvres de paysans, d’ouvriers, de pèlerins ou de mendiants qui ont tant chanté et murmuré cette poésie populaire usée et patinée par le temps”, pour reprendre un peu ses mots. Quand il chante, il doit certainement les voir, ces visages et ces moments, ces traces de vie qui forment la sienne. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il indique en fin du petit livret :
“Depuis un an, il m’est donné de vivre l’épreuve de la maladie. Epreuve bien pénible s’il en est. Cet enregistrement m’aura aidé à donner un sens à ma vie. Il est aussi l’occasion pour moi de témoigner mon affection à toutes les personnes qui, de près ou de loin, m’accompagnent dans cette histoire”.
Dans cette épreuve, l’artiste breton a surpassé la souffrance pour nous laisser via cette superbe oeuvre de mémoire une invitation à nous évader et à nous laisser saisir, tandis que le monde s’affronte dans le désarroi. Quand on se demande à quoi tout cela rime, ce sont les rimes qui répondent à qui sait les entendre. Ici, ce sont le vent de noroît ou le soleil de Groix, le feuillage bruissant du verger des âmes ou la nef de la nuit plafonnée de velours, qui nous incitent à nous arrêter et à savourer ces traces que le chanteur nous laisse dans les chemins creux d’Armorique… pour mieux le suivre à la découverte poétique des bardes d’hier et d’aujourd’hui.
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