Alors qu’arrive la fête de la Toussaint, je remets ici à l’honneur le superbe album de Yann-Fañch Kemener « Ar Baradoz » (le paradis) dont je reprends l’extrait de ma chronique au moment de sa sortie. J’ai eu l’honneur d’en faire la préface, et je peux vous assurer que cet opus mérite qu’on s’y attarde, particulièrement au moment où nous fêtons nos saints et où nous commémorons nos défunts.
Yann-Fañch Kemener a l’habitude de nous proposer de petits joyaux musicaux qui sont autant de pierres posées pour construire l’édifice breton, avec ce souci de transmettre aux nouvelles générations les trésors de notre répertoire musical profane et religieux. Non seulement comme un héritage mais plus encore pour un socle d’avenir.
Après les albums Nedeleg e Breizh / Noël en Bretagne et Kan ar Basion / Les chants de la Passion, et après une échappée du côté de Yann Ber Calloc’h avec ce beau spectacle (qui mériterait un album) et son album Dañs, le chanteur de Tremeven offrait ici un nouvel opus au doux nom de Ar Baradoz (Le Paradis) alliant cantiques d’Armorique et poèmes de Gilles Baudry.
Yann-Fañch Kemener dans ces « chants sacrés de Basse-Bretagne », nous fait (re)découvrir des fleurons (Ar baradoz, Petra zo henoazh a-nevez …) mais aussi des chants qu’on n’entend plus (M’hoc’h ador…, Mari hor mamm garantezuz, Aeled euz ar baradoz…), des textes qui portent inlassablement vers l’au-delà, avec ces notes tournant notre regard vers le ciel et teintées d’une mélancolie qui prend au tréfonds du cœur. Ces notes qui lorsqu’elles se taisent font du silence qui les suit une musique divine entretenant le lien de l’Homme à l’indicible.
Car tout comme le grégorien, nos chants sacrés de Bretagne sont tissés de silence et c’est ce silence qui permet à l’inexprimable de se muer en chant. Chant qui prend racine dans cette terre profonde de Bretagne que des générations ont labouré et semé, pour nous la léguer et témoigner de leur foi. Bien sûr, ils parlent de Dieu mais aussi de l’Homme et de sa relation au Créateur, de son ancrage à la terre, de ses heures de dur labeur, de ses soirs de désespoirs, de ses jours instants d’amour… et de son espérance. Comme le dit si bien Yann-Fañch,
« ces «chants sont comme les miroirs de l’âme d’un peuple qui chante sa foi ».
Et l’artiste breton sait saisir cette âme. Il sait la comprendre et la transmettre, comme en se plaçant en-dehors du temps. Et c’est ainsi qu’il nous ouvre légèrement les portes du paradis et nous invite à la contemplation, comme agenouillés au pied de l’autel céleste. L’harmonisation de ces cantiques et la voix de l’artiste constituent alors un véritable retable, écrin musical pour la liturgie dévoilant une part de divin. En témoigne l’intensité d’un «Gwerz ar Purgator» : Yann-Fañch fait partie des rares artistes capable de lui donner cette gravité et de faire transparaître cette couleur si profonde que seul un Requiem porte en lui.