Quand l’école débretonnisait les enfants (2ème partie)

Amzer-lenn / Temps de lecture : 9 min

LE COSTUME BRETON A L’ECOLE ( 2 ème Partie )

Cette inquiétante débretonnisation par l’école n’échappe pas à l’élite bretonne, que celle-ci soit culturelle, religieuse ou politique. A cette époque il y a deux courants :

– les tenants du «progrès» (c’est du moins eux-mêmes qui s’autoproclament ainsi) qui entendent sortir les Bretons de leur «repli sur soi» et de les tourner «vers l’avenir». Dans ce courant nous retrouvons toutes les tendances dites de «Progrès» : Les forces de gauche, les progressistes, la Démocratie Chrétienne (avec des amitiés de gauche qui vont plus tard orienter l’Eglise catholique vers une séduction masochiste pour les idéologies qui entendent la détruire de l’intérieur). Leurs motivations ne sont guère éloignées des forcenés de la laïcité où l’on retrouve tous les indécrottables jacobins Francs-maçons et de la «Libre Pensée», le «Cartel des Gauches», et l’inévitable «Internationale communiste» qui est dans son âge d’or et sème désormais partout son idéologie mortifère.

Le quotidien Ouest-Eclair (futur Ouest-France ) est alors le fer de lance de cette débretonnisation et de ce christianisme-humanisme apatride qui est sa «raison sociale». Il sera la matrice qui va remodeler la manière de penser et d’agir des Bretons, ce qui de nos jours n’a guère changé, les mêmes arguments rancis étant réemployés.

– dans le collimateur de ces lobbies progressistes, les tenants de la Bretagne fidèle à ses traditions, à son Histoire, à sa langue et à sa Foi intimement liée à ses racines culturelles. Le problème pour les «Progressistes» c’est que cette Bretagne est défendue par l’Eglise, la «Petite noblesse terrienne» et une élite catholique jugée à l’époque «Conservatrice» : bref ! la «réaction» soucieuse, d’après leurs adversaires de défendre leurs privilèges, et pour cela il lui importe de maintenir les Bretons dans leur passé. Une vision très caricaturale, mais qui aujourd’hui sert encore contre tout ce qui est  dit identitaire, considéré comme un repli sur soi, voir suspect d’intentions peu avouables…

 

L’étude de cette époque démontre au contraire combien l’Eglise, cette «petite noblesse», et bien des élites diverses d’alors étaient très en avance sur leur temps. Il n’est pas dans notre propos d’analyser cette époque sur ces questions, mais disons simplement qu’en tous domaines, malgré la débretonnisation, elle fut extrêmement riche.

 

En 1929, le Marquis de l’Estourbeillon, (2), Président de l’Union Régionaliste Bretonne (URB) donne au Congrès de l’Association (Hennebont, septembre 1929) une très intéressante conférence sur l’état de la situation du costume breton. Cette conférence fera l’objet d’un livret de 80 pages : en huit chapitres il lance un appel solennel pour la défense des costumes bretons. Il intitule d’ailleurs sa conférence «Un Devoir de Salut Public, la sauvegarde de nos Costumes Nationaux» (3). On remarquera qu’il ne parle pas de «Costumes Régionaux» mais de «Costumes Nationaux». Le choix des mots n’est pas innocent. Dans ce problème, il n’est pas question de défendre un héritage qui aurait comme seule finalité le folklore, de sortir de la naphtaline des costumes.devenus des pièces de musées que l’on exhibe de temps à autre pour les touristes. Le Mouvement breton de l’époque, qu’il s’agisse de culture, d’art, d’économie, de politique est entièrement tourné vers l’avenir. Il entend bien modifier l’image d’une Bretagne passéiste, négative, réduite à un folklore de carte postale, mais en restant fidèle à toutes ses authentiques racines celtes, bretonnes…et chrétiennes, car tout est lié, n’en déplaise aux révisionnistes de l’Histoire de Bretagne. Pour le costume breton, il s’agit de savoir si, oui ou non, face à la modernité, ils ont encore un avenir pratique pour telle ou telle occasion (fêtes, mariages, communions, baptêmes, Pardons etc ), et si dans le quotidien ils peuvent avoir une version modernisée tout en restant fidèles à eux-mêmes. Dans sa conférence, le Marquis de l’Estourbeillon traite de tous ces aspects. L’intérêt de ce petit livre est qu’il reste, après avoir fait la part de ce qui est propre à son époque, très d’actualité sur bien des points. Nous avons donc choisi le chapitre traitant du costume breton à l’école, et nous reproduisons ci-après l’essentiel de ce chapitre. Le lecteur pourra constater l’analogie entre ce que fut l’américanisation des petits Indiens et la francisation des petits Bretons.

 

EXTRAITS DU CHAPITRE :

« Parmi les facteurs qui depuis quelque trente ans ont le plus contribué de mille manières à l’abandon, à la disparition de nos costumes nationaux, il faut placer l ‘école et l’inconscience des maîtres et maîtresses, s’appliquant à les combattre.

Cette triste réalité peut se constater partout, il n’est guère d’écoles qui aient pu y échapper. Jadis, la tradition était chose tellement sacrée que bien mal venu eût été le maître ou la maîtresse qui aurait osé y porter atteinte. Il n’en est plus de même aujourd’hui. On inculque aux enfants une sorte de mépris de la terre, du travail familial et surtout du costume et de la tradition. Dès que l’enfant, à sa treizième année, se voit en possession de son fameux certificat d’études, il n’aspire plus qu’à devenir un «Monsieur» ou une «Demoiselle» de la ville. Des institutrices surtout, hélas ! parmi les écoles libres s’appliquent à faire quitter à nos filles les costumes et les coiffes de leurs parents et à les faire mépriser par elles.

 

Giz ar Vro 2.jpgIl y a quelques années (les deux premières décennies du 20e siècle), les fillettes de Bretagne se rendaient en classe avec le costume de leur paroisse. Les coiffes réservées aux fêtes et dimanches, de jolis bonnets blancs ou de couleur, propres et séants à leurs frais et beaux visages les remplacaient. Presque partout les institutrices les ont interdits. Peu de temps avant la guerre, dans une importante école de Bretagne, dont la directrice, au grand chagrin des parents, avait déclaré «qu’elle ne voulait plus faire la classe à des enfants revêtus d’oripeaux antédiluviens». Elle fit venir d’un bazar de Paris tout un stock d’horribles robes et chapeaux de paille pour en affubler ses élèves. Et les malheureux parents inconscients du mal qu’ils laissaient faire à leurs enfants, subissaient cette transformation criminelle, n’osant s’y opposer, ou s’imaginant par vanité que leurs pauvres petits auraient, un jour, une situation sociale supérieure à la leur. Et maintenant, à la sortie des écoles, sur les routes de nos villages, au lieu de voir nos fillettes propres et décentes, regagnant leurs toits en babillant comme des envolées d’hirondelles, l’on ne trouve que des petits groupes de deux ou trois enfants, souvent à tous crins, tristes, fagotés et causant déjà, en français, de leurs projets d’avenir…

 

Le mal fait ainsi par les écoles privées ou publics est immense, car c’est tout l’avenir moral de leurs élèves qu’elles ont compromis ou perdu. Nous pourrions citer des centaines d’exemples. Le clergé, mais heureusement pas dans son ensemble, a lui-même sa part de responsabilité. N’est-il pas criant de voir, lors des premières communions, dans des paroisses comprenant à la fois une population urbaine et une population rurale, les enfants portant les costumes bretons, systématiquement placés toujours sur les derniers bancs, derrière les fils et filles des habitants des villes, laissant croire ainsi à nos paysans que leurs enfants leur sont inférieurs, et que leurs costumes sont dignes de mépris. N’est-il pas pitoyable de voir certains curés obliger toutes les petites filles à se présenter à leur Communion en voile blanc, interdisant d’y venir vêtues de leurs magnifiques costumes blancs perlés et tablier de dentelles du pays ? Comment tous ces agissements ne seraient-ils pas des coups mortels portés à nos costumes et à nos traditions ? Comment, à moins d’un ordre formel de parents et à moins d’un invincible attachement au foyer familial et à son pays, la fillette, la jeune fille ou le jeune garçon, après tant de suggestions contraires et la déshabitude de le porter à l’école ou dans les fêtes religieuses, pourraient-ils regarder comme un devoir ou même être tentés de reprendre le costume de leur pays ? Déjà les guette le gouffre de la ville. La disparition des costumes, qui leur a été présentée comme un bienfait, facilite toutes les équipées possibles. C’est toute la moralité d’un pays que l’on tue. »

 

Certes, historiquement, ce texte appartient à une époque. Mais il nous semble que sur le fond il reste d’actualité, car les situations décrites sont, avec bien d’autres, à l’origine de la débretonnisation des Bretons, et aujourd’hui de leur attrait irraisonné pour un cosmopolitisme qui est comme le couvercle du cercueil d’une Bretagne qui fut bretonne, mais, malgré les apparences, ne l’est plus, couvercle qu’il ne reste plus, à moins d’un sursaut salutaire vital, qu’à visser.

 

Il est clair que la guerre faite aux costumes bretons visait le même but que la guerre faites aux autres traditions, profanes ou religieuses, à la langue bretonne. «Tuer l’homme breton, la femme bretonne pour faire naître le citoyen francisé», et presque un siècle plus tard le «citoyen cosmopolite d’un monde apatride». C’est en somme la transposition exacte du mot d’ordre appliqué aux enfants Indiens cité précédemment. C’est donc bien cela qu’il faut comprendre : il y a continuité entre la débretonnisation d’hier et son achèvement d’aujourd’hui…et un cosmopolitisme uniformisant, appliquant ainsi la devise Maçonnique, «Dissoudre et coaguler»… tout un programme !

 

A suivre

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NOTES : 

2 ) Marquis Régis de l’Estourbeillon de la Ganache ( 1858-1946 ) créateur de l’Union Régionaliste Bretonne. Il fût député libéral indépendant ( royaliste ).Il est membre du Comité Consultatif de Bretagne. Il est un fervent partisan du droit des Bretons à disposer d’eux-mêmes ( application du Traité de 1532 ). Grand érudit, il a laissé de nombreuses études historiques sur la Bretagne. Fervent défenseur du costume breton, il le portera en toutes occasions avec une extrême élégance

 

3 ) « Un Devoir de Salut Public, la sauvegarde de nos Costumes Nationaux » par le Marquis de l’Estourbeillon ( 1929 ), Imprimerie Réunies- Redon.

À propos du rédacteur Yvon Abgrall

Publiant régulièrement des articles dans la presse bretonne, il propose pour Ar Gedour des articles documentés sur le thème "Feiz & Breizh" (foi et Bretagne), d'un intérêt culturel mais aussi ancrés dans les préoccupations actuelles.

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