« Quand j’entends autour de moi diverses langues, je sens croître les générations, chacune apporte un trésor de leur terre, choses anciennes et choses nouvelles»(1).
Ce trésor se tarit dans l’indifférence, et dans des écoles où pourtant la langue bretonne devrait être mise en avant bien plus qu’ailleurs, comme par exemple dans le Kreiz Breizh. Nous venons ainsi d’apprendre la fermeture probable de la filière bilingue dans une école privée du Centre Bretagne, suite aux décisions conjointes de la DDEC et de l’Inspection Académique. Une autre école d’une commune voisine devrait connaître le même sort. La carte scolaire bretonne vient de tomber, et l’ensemble n’est pas réjouissant. Même si elles ne sont pas encore actées, plusieurs fermetures sont envisagées à travers la Bretagne, notamment sur des écoles dont la filière est assez fragile. Et les ouvertures -rares- ne peuvent compenser la chute.
La raison : effectif en baisse et prévisions insuffisantes pour la rentrée prochaine. « Quand une école commence à porter du fruit, parce qu’il manque quelques élèves, au lieu de faire de la promotion par un service communication dédié et efficace, on revoit l’organisation générale, quitte à casser ce qui vient d’être fait” nous rapporte un parent d’élève engagé. Un père de famille fustige quant à lui une “vision consumériste de l’enseignement ”. Pour la maman d’une autre élève, c’est la douche froide.
Le breton, une option parmi d’autres ?
Le pire, c’est que dans cette école du Kreiz Breizh, pour ne citer qu’elle puisque c’est valable dans bien d’autres, la direction était favorable à la question bretonne, et l’instituteur y a fait progresser le niveau des élèves de manière importante. Cette décision ne relève donc pas de l’école. Précisons cependant que des parents qui ne voyaient pas leurs enfants motivés par la question ont préféré les retirer de la filière, la privant de facto de plusieurs enfants en un an. A cela se sont ajoutés des déménagements, mais aussi le manque d’implication des parents quant à la promotion de cette filière.
Les parents d’élèves ont tendance à consommer et à ne pas avoir une vision à long terme des structures qui portent leurs enfants.
Car comme en beaucoup d’endroits, les parents d’élèves ont tendance à consommer et à ne pas avoir une vision à long terme des structures qui portent leurs enfants. Certainement pleins de bonne volonté, il ne leur vient pas à l’esprit qu’il est nécessaire pour la survie d’une filière de parrainer d’autres parents et enfants. Et face à des enfants qui ne veulent souvent pas travailler, les instituteurs se retrouvent démunis, voire démotivés, alors même que d’autres enfants comprendraient l’intérêt d’apprendre le breton. Pas uniquement la langue, mais la structure de pensée qui l’accompagne, avec son héritage et son avenir.
Idées : remise de 25% sur la scolarité d’un enfant qui amènerait une autre inscription en filière bilingue. Gratuité de la scolarité pour 4 nouvelles inscriptions apportées. Le parrainage n’est pas limité à la seule entreprise. Les écoles pourraient s’y mettre et dynamisant ainsi les filières
Inscrire en filière bilingue revient alors à un « pourquoi pas » sans réel idéal, ce qui fait que la langue bretonne est comme un produit de consommation, une option que l’on peut virer du jour au lendemain, un kleenex que l’on jette à l’usage, au grand dam des familles engagées et des élèves qui se retrouvent alors sans possibilité de transmettre la langue, sauf à la faire vivre dans le cercle familial.
De la promotion de la filière bilingue dans les établissements
Par ailleurs, si dans cette école la direction proposait d’office la possibilité d’inscrire leurs enfants dans la filière bilingue, il n’en est pas de même partout : ainsi récemment un établissement lors de ses portes ouvertes n’a pas du tout fait la promotion de la filière bilingue alors même qu’elle en a l’agrément. La direction nous a informé qu’il n’y avait pas d’enseignement en breton car il n’y avait pas assez de demandes. Tu m’étonnes : pas de promo, pas de demandes. Et le constat est le même dans plusieurs établissements où nous nous sommes rendus.
Ne nous leurrons pas : sans enseignement obligatoire de la langue bretonne, celle-ci mourra, un jour ou l’autre, car au gré des envies des structures d’Etat et sous-contrat, au gré des envies des parents d’élèves, les filières se retrouvent à bricoler un programme suivant les postes qu’on daigne leur donner. Mais quid d’une véritable approche éducative efficace, particulièrement sur ce territoire où la langue bretonne revêt une importance particulière ? Une année on ouvrira une filière et l’année suivante on la fermera ou “réorganisera” parce que “pas assez d’élèves”, sans chercher à savoir quelle est l’attente des parents, des élèves… et des instituteurs ?
On arguera que d’autres écoles ouvrent des filières et qu’il faut donc déshabiller Pierre pour habiller Paul. Une politique qui a ses limites et qu’il faudrait clairement revoir.
Un religieux bretonnant, rompu aux missions paroissiales, disait en 1965 : “Je n’ai trouvé autour de moi, même chez ceux qui ont responsabilité et charges d’âme, qu’inconscience, indifférence parfois volontaire et délibérée, mépris, voire hostilité à l’égard de tout ce qui porte l’étiquette bretonne, quelle qu’en soit par ailleurs l’étiquette religieuse, politique ou idéologique. Je ne comprends pas ce manque d’humanisme réel, ce refus du fait breton constatable en chaque personne humaine de chez nous, cette rage d’ignare à vouloir tout démolir, ce rejet de nuances, ce manque de respect… […] Je sais par expérience toutes les difficultés […] d’une situation linguistique aussi confuse que la nôtre, mais quand même ! Le médecin doit-il tuer le malade sous prétexte qu’il a une maladie compliquée ?”
Ce propos n’a rien perdu de son actualité.
Le breton condamné à mort ?
Le site NHU intitulait récemment un article : « Une langue dont l’enseignement n’est pas obligatoire à l’école est condamnée à mort ». Le rédacteur expliquait :
Depuis que les langues existent, il existe des constances, et des vérités absolues. Dont celle-ci : si une langue n’est pas enseignée de manière obligatoire dans les écoles, elle meurt. Dans toutes les écoles, de la maternelle aux universités.
Vous pourrez user et abuser de toutes les autres solutions envisageables de promotion, rien n’y fera. Vous pourrez éventuellement en retarder la mort, la disparition de la surface de la Terre. Mais vous ne la sauverez pas.
C’est très précisément comme la biodiversité en ce moment. Prenons le cas des tigres du Bengale ou même celui des éléphants d’Afrique. Nous employons certains moyens pour en sauvegarder le plus possible. Mais force est de constater que leur nombre est toujours en diminution. Un espèce animale comme une langue, passe à un moment donné, en-dessous d’un certain niveau de vitalité. Nous sommes alors en stade de soins palliatifs. La disparition n’est plus bien loin.
La seule solution, conclut-il est que « le breton devra bientôt être obligatoire dans toutes les écoles de Bretagne pour avoir un avenir ». Sans aucun doute, et si cela est plus difficile dans les écoles publiques, il est étonnant que les écoles privées n’aient pas fait de l’enseignement de la langue bretonne un atout. Le prétexte des postes manquants et des manques d’élèves ne peut être seule excuse de la fermeture des filières. C’est la promotion elle-même et la mise en avant automatique des bienfaits du bilinguisme et de la langue bretonne qui est parent pauvre, au détriment de nos enfants et de la Bretagne.
Mais en attendant une hypothétique obligation qui ne viendra peut-être jamais, alors même que les bagadoù et cercles celtiques font le plein, alors même que les festoù-noz et les festivals attirent, les mêmes qui consomment breton pourraient certainement contribuer à pérenniser les filières en inscrivant d’office leurs enfants dans des filières bilingues, passant alors d’une simple vision folklorique et festive de la Bretagne à un projet à long terme, laissant la cigale pour la fourmi, la voix du maître pour sa propre conscience.
(1) Poème de JP II “Quand je pense : patrie”
Pendant ce temps là, tous les jeunes corses (et moins jeunes ) parlent et défendent leur langue !!!! Et il ne viendrait même pas à l’ esprit de l’ inspection académique de supprimer les classes de corse !!! Voila la différence entre un peuple vivant et un peuple qui se meurt ……..