Entre les années 1900 et 1950, les ouvrages sur l’Histoire de Bretagne, de l’Armorique, sans oublier l’œuvre monumentale de Arthur Le Moyne de la Borderie étaient rares. Bien documentés, ils étaient d’une facture austère, le plus souvent destinés à des spécialistes qui restaient « entre eux » ; il était alors peu question de vulgarisation. Le Breton, du fait d’une politique jacobine, était un grand ignorant de son histoire, d’où son excuse.
Certes, de nombreuses revues l’inviteront à se cultiver dans ce sens, mais même celle-ci peineront, souvent faute de moyens, à atteindre un large public. Ces revues et ouvrages auront toutefois le grand mérite du pionnier, à savoir préparer le terrain à ceux qui à partir des années-soixante vont se lancer dans l’édition bretonne. La majorité des auteurs actuels ne font que bénéficier des travaux de leurs aînés, sans toujours leur rendre les hommages auxquels ils auraient droits…
De nos jours, le Breton n’a que l’embarras du choix. Il n’a plus d’excuses et ne peut plus prétendre qu’il ne sait pas comment s’instruire sur l’Histoire de son pays, tant il y a inflation de livres sur le sujet, jusqu’aux très bonnes vidéos ISTOERIOU BREIZH de Nicolas Graignic. Un autre avantage sur les livres et revues de jadis : leurs riches iconographies très attrayantes. Cependant, l’abondance de l’image cache trop souvent une indigence des textes, ou le copier-coller de d’autres productions, n’apportant rien de nouveau ; on vend souvent de l’image, peu de savoir…
Dans l’abondance de ce choix d’Histoire de Bretagne, nous avons arrêté notre attention sur Histoire de l’Armorique et de la Bretagne, de Mickaël Gendry et Vincent Béchec (1). Est-ce là donc un énième livre sur ce sujet ? L’introduction pose la question, tant les auteurs ont conscience que le sujet a été largement exploré par des confrères compétents : « Peut-on encore écrire une histoire de la Bretagne aujourd’hui ? ». La réponse est « Oui, à condition de proposer des approches nouvelles, et de tenir compte de la recherche et des découvertes archéologiques récentes et de vulgariser des documents jusqu’à lors réservés aux spécialistes ».
Le présent ouvrage, tenant compte de ces deux impératifs, nous invite d’abord en terre d’Armorique, c’est-à-dire sur une terre qui n’est pas encore la Bretagne, mais où elle est comme en gestation ; ce sera la découverte de cette « Antiquité bretonne » dont les célèbres mégalithes sont les principaux « témoins de pierres ». Un patrimoine, une culture que certains se piquant de culture bretonne souvent fantasmée, surtout sur le plan religieux vont dans leur ignorance sectaire opposer à la Bretagne chrétienne, prétendant que cette première Bretagne armoricaine, celte, druidique a été détruite par la Bretagne chrétienne des saints fondateurs, des moines et des abbayes.. L’Armorique druidique a été la préface de cette Bretagne chrétienne, pour laquelle les deux héritages sont complémentaires, faisant de la culture profane et religieuse bretonne une synthèse originale que l’on ne rencontre nulle part ailleurs. Les auteurs se gardent de tomber dans ce travers.
Ils vont ainsi nous proposer de multiples voyages dans le temps à la rencontre de tous ces hommes, ces femmes, religieux, souverains, hommes d’armes souvent rebelles, architectes, savants, humbles paysans qui vont, siècle après siècle construire cette Bretagne que nous connaissons encore aujourd’hui par ses monuments, ses paysages, riche héritage dont d’ailleurs les Bretons n’ont pas toujours eu conscience. Justement, Mickaël Gendry et Vincent Béchec nous invitent également à cette prise de conscience. Certes, sur bien des personnages qui firent cette Histoire, nous n’apprendrons rien qui ne soit déjà largement dit ailleurs, mais là n’est pas la prétention des auteurs : c’est davantage une invitation à aller plus avant dans notre curiosité.
Les auteurs nous mènent aussi dans la Bretagne de notre temps, c’est-à-dire de celle du XXe siècle, une époque riche, passionnante, controversée qui n’a rien à envier aux époques précédentes, et dont les Bretons sont aujourd’hui héritiers.
Le mérite des auteurs est leur objectivité, non sur les siècles passés, ce qui n’est après tout pas un exploit, mais sur le XXe siècle breton et tout particulièrement la guerre, les années effervescentes du mouvement breton d’alors, tant sur la plan politique que culturel, artistique, économiques. Des années qui vont, malgré les épreuves de la guerre et de l’après-guerre déterminer la renaissance même de « l’idée bretonne ». Bien sûr, l’approche est très succincte, et ils vont à l’essentiel. Toutefois, entre les lignes, comme dans toutes les histoires de Bretagne abordant cette époque, ce militantisme breton est vu comme négatif, comme une parenthèse regrettable ayant hypothéqué les années d’après-guerre. Les acteurs de cette époque n’ayant droit à aucune sincérité, à l’honneur dans leurs engagements pourtant désintéressés pour les causes bretonnes auxquelles ils étaient confrontés. Le reconnaître n’est pas pour autant approuver tel ou tel engagement. On attend encore l’Histoire de Bretagne qui osera bousculer la doxa d’après-guerre. La Bretagne moderne n’a pas commencé en 1945, encore moins en 1968, mais il y a continuité d’héritage avec toutes les autres époques et par tous les autres acteurs. L’exemple le plus emblématique est peut-être celui de l’historique du drapeau moderne breton, le Gwenn ha Du…
Ceci étant dit, cette nouvelle Histoire de Bretagne se distingue des précédentes : elle ne fait pas doublon et apporte un nouveau regard, celui de notre temps pour une génération qui peine à lire. Cette fois-ci, elle aura encore moins d’excuses pour nous asséner son ignorance, car il ne suffit pas d’aller aux festou-noz, d’arborer un Gwenn ha Du ou un autocollant « Je suis fier d’être Breton !» sur la carrosserie de sa voiture pour être Breton. Ignorer cette histoire c’est se priver d’une richesse sans pareil, mais c’est aussi s’interdire de s’ouvrir aux questions bretonnes, car on parle et on œuvre bien que de ce que l’on connaît bien.
Alors bonne lecture !..
1) Histoire de l’Armorique et de la Bretagne, de Mickaël Gendry et Vincent Béchec. Edition La Geste. 2018.