Lundi 8 mai 2017, les paroisses d’Inzinzac-Lochrist et d’Hennebont sous la conduite de Ronan, leur curé doyen, avaient affrété un car de 60 places, toutes occupées, pour une visite de la Vallée des Saints, de l’autre côté de Carhaix, sur la route de Callac.
Pour ma part, depuis juillet dernier, ce n’est que la 5° fois que je m’y déplaçais, et, à chaque fois, avec un plaisir renouvelé tant il est vrai que ce n’est jamais pareil.
D’abord la lumière et le temps ; cette fois c’était le beau soleil d’un bel après-midi de printemps, une légère brume de chaleur estompait les horizons lointains… Sous une pluie fine, c’est un tout autre spectacle, comme le matin tôt, au lever du soleil, l’humidité de la rosée donne au granit un brillant tout à fait seyant. A mon avis, le plus chic, c’est après une bonne averse quand le vent de nordet commence à sécher les ourlets des robes de bures et le bout du nez en granit des statues, du meilleur effet !….
Là, c’était grand soleil et la présence de Sofiane en qualité de guide conférencier. Marie-Annick, l’organisatrice en chef, avait bien fait les choses et la visite était prévue, guidée.
On s’est partagé en deux groupes que Sofiane et sa collègue se sont répartis : les plus ou moins valides d’un côté, les plus ou moins handicapés de l’autre. J’étais avec Sofiane, un grand type blond à lunettes, les cheveux longs en queue de cheval rassemblés derrière la nuque, j’étais curieux d’entendre ce qu’il pourrait raconter….
Je n’ai pas été déçu.
Enfin, j’ai pu savoir pourquoi l’endroit avait été dénommé « vallée des saints ». Alors que toutes les statues entourent un mamelon couronné des restes d’une motte féodale fortifiée d’où la vue s’étend à 360° jusqu’aux confins de la Bretagne, le site n’a rien des caractéristiques généralement admises d’un talweg justifiant l’appellation de « vallée ».
C’est qu’en réalité, la dénomination « vallée des saints » a été retenue avant même que le site de Quénéquillec, commune de Carnoët dans les côtes d’Armor (22160) ne soit proposé puis retenu. Merci Sofiane d’avoir comblé cette ignorance.
Ensuite, il nous a emmenés sur le chemin qui y monte, j’ai salué au passage Madame Sainte Anne, puis mon saint patron, Monsieur Saint Yves, mais nous ne nous sommes pas attardés en raison du bruit du chantier à proximité. Pensez donc : pas moins de 5 statues ont été récemment financées et sont donc en chantier et, tout férié qu’il soit, le 8 mai est jour de travail pour les artistes sculpteurs, l’échéance doit être tenue. Sofiane nous a expliqué qu’une des contraintes du cahier des charges est que la statue doit être achevée dans le court délai requis.
Alors, il nous a conduits presque tout en haut du site, devant la statue de Sainte Gwenn « tre mam » : trois fois mère : de jumeaux, Gwezennec et Jacut auxquels viendra s’ajouter bientôt le petit Gwenolé. D’où le sein surnuméraire que l’artiste Patrice Le Guen a bien représenté en conformité avec la traduction bretonne « teir bronn » : trois seins. A l’instar de son confrère et prédécesseur Michel-Ange l’auteur du fameux tombeau du Pape Jules II dans l’église Saint Pierre aux Liens à Rome avec son Moïse « cornu », mauvaise traduction de l’hébreu « qrn » qui signifie « rayonnant ».
Gwenn est de surcroît représentée enceinte de Clervie que l’on ira voir après avoir admiré les effets du traitement du granit par grattage, brulage et autres modes de bouchardage donnant, à partir du même bloc de granit jaune de Bignan, son maintien particulier à la robe, au manteau et sa couleur propre au lange qui enveloppe les deux bébés qui tètent. Bravo l’artiste !
Voilà devant sa mère, Clervie, que je n’avais pas eu l’honneur de connaitre précédemment, luttant contre les forts vents de kornog qui ne l’effarouchent pas. L’oie qui l’avait méchamment énuclée se cache dans ses jupes ; c’est elle, la coupable, qui n’a plus d’yeux tandis que la sainte pointe son regard clair vers l’horizon lointain, cherchant des yeux son frère Gwenolé qui l’a miraculeusement guérie.
Moé, le petit pécheur de poissons, nous fait un clin d’oeil, Merec, avec son renard à la queue touffue qui l’a apprivoisé, Goustan, son gros poisson dans les bras, Maudez et l’escalier de la connaissance portent tous la marque du ciseau de Kito et sa signature en forme de fermeture éclair. Fervent admirateur de Saint Ex dont il partage le prénom, son petit prince conserve un sourire énigmatique à toute épreuve. Il a expliqué à Sofiane qui nous l’a répété que, quitte à se confronter plusieurs semaines avec un même personnage englué dans son bloc de granit qu’il convient de dégager petit à petit, autant qu’il soit d’un naturel plutôt gai !
Nous n’irons pas jusqu’à Riom avec son ancre cruciforme, mais je vous garantis sa parenté avec les autres personnages de Kito.
En revanche, notre recteur a exigé, à juste titre, d’être présenté à son saint patron : Ronan, il n’a pas été déçu : l’air farouche et volontaire, le pied droit en avant avec le pen baz d’une main et, de l’autre, la cloche pour appeler à l’office les fidèles récalcitrants. Tout à fait lui ! …
Caradec, pour sa part, culmine à plus de 6 mètres de haut aussi vrai que, si le cahier des charges prévoit une hauteur minimum de 2,5 mètres, aucune limitation n’a été stipulée pour le maximum… C’est toujours la plus haute statue du site.
Kéo est barbu, à moins qu’il ne tire une longue langue, il est représenté comme un exemple d’humilité, la tête basse, regardant ses pieds ; de loin, on dirait un « 7 »…
Juste derrière lui c’est Gwenolé, un des fils de Gwenn, bénéficiaire de sa polythélie, le défenseur de sa petite soeur Clervie contre la méchante oie qui l’enserre de ses ailes. Il est vrai qu’il a dû l’éventrer pour récupérer l’oeil de sa soeur et le remettre dans son orbite. On l’entend crier lorsqu’on frappe du plat de la main les trous qui ont servis à la manutention du bloc de granit de Lanhélin.
Sans doute faute de modèle satisfaisant, Gwenolé est statufié avec un visage à la Magritte : une simple ove de granit poli, pourtant le cahier des charges stipule un visage humain…
Riwanon, comme Clervie, a été installée à la fin de l’année dernière, mais elle a préféré tourner le dos aux vents violents qui lui bouleversent la chevelure et fouettent sa robe, lui donnant cette silhouette assise que l’on prend naturellement sur la plage les jours de tempête.
C’est la maman d’Hervé, aveugle né. Ainsi, en effet, il n’a jamais pu voir « la fausse et trompeuse lumière du monde » comme le souhaitaient ses saints parents Hoarvion et Riwanon !
Puis Sofiane nous a emmenés devant Diboan, dont le visage est représenté partie claire, partie sombre. Tu pe tu, entre la paix de l’au-delà et la souffrance de cette vallée de larmes. Situation intolérable qu’il convient de trancher irrémédiablement soit par une guérison et un rétablissement prompt et définitif, soit par une bonne mort toute aussi décisive, mais, de grâce, pas cet entre-deux intolérable, cette situation ambigüe qui ne saurait durer sans dommages incalculables.
Clair se trouve à quelques pas devant Diboan, représenté le haut du crâne plat, à moitié décapité par un bourreau maladroit. Il réussira, malgré sa cécité, à récupérer son scalp qu’il remettra à sa place sur le haut de sa tête, mais le sculpteur l’a saisi avant cet épisode salvateur.
Turio est couché, son canotier sur un de ses pieds croisé, il garde les moutons en lisant la bible, c’est ainsi qu’il finira à la tête de l’archevêché de Dol.
Philippe Léost a parfaitement respecté le cahier des charges : la sculpture fait bien plus de 2,5 mètres de long. Quand bien même le sujet soit représenté, non pas debout comme la plupart de ses congénères, mais couché, ce que n’interdit aucunement ledit cahier des charges.
En revanche, telle n’est pas le cas de la statue de Riok, pourtant magnifique travail de sculpture où Philippe Léost s’est manifestement fait plaisir. On y devine néanmoins, grâce aux explications de Sofiane, le petit Riok, enfant, tenant en laisse, avec l’étole du chevalier Derrien, le dragon qu’il va jeter dans la mer.
Ni celle d’Edern et de son cerf stylisé qu’avec facétie, la sculptrice a représenté, à l’arrière, sous la forme d’un cerf-volant losangique avec sa queue tourbillonnante ! ….
Pour Laouenan, le cahier des charges sera scrupuleusement respecté : il a figure humaine, mais uniquement le visage, comme les moaï de l’Ile de Pâques, un visage heureux comme l’indique son nom, parsemé de joyeuses silhouettes humaines.
Kornely, sera la dernière statue que nous fera voir Sofiane, allez savoir pourquoi ? Nous on ne se lassait pas de l’écouter raconter sa vallée et ses saints, leurs miracles et nos légendes, mais son temps était sans doute épuisé et lui, lassé de nos questions idiotes et saugrenues, et puis, c’est vrai, il faut savoir goûter la vallée des saints dans la solitude de la découverte individuelle et du face à face personnel avec ces hommes et ces femmes dont la piété populaire a fait sans délais des saints et des saintes qui nous ressemblent et nous ont précédés là où nous irons tous un jour, d’une façon ou d’une autre.
Nous admirons l’oeuvre des artistes qui, d’un bloc de granit brut, savent si bien nous raconter leurs vies édifiantes faites de légendes et de miracles confondus.
Pourtant nous ne saurons pas sur quels critères Sofiane s’est fondé pour nous faire les honneurs de telle statue et non pas de telle autre, aussi vrai que s’il avait fallu toutes les parcourir en sa compagnie, il y en aura bientôt plus d’une centaine, nous y serions encore pour notre plus grand bonheur…
Rendez-vous nous était donné à 16 h 30 en bas, à la chapelle Saint Gildas, juste le temps d’aller faire l’acquisition indispensable du guide officiel de la vallée des saints, 5° édition. J’en possède les 3 précédentes.
La messe dite par Ronan a été la meilleure clôture qui puisse être à cette belle journée printanière dans la Vallée des Saints.
Chacun se demande maintenant quand il pourra y revenir de nouveau, sachant pertinemment ne jamais pouvoir en faire totalement le tour.
- Texte d’Yves DANIEL, de la paroisse d’Inzinzac
- Photos de Jacques FIDELAIRE, de la paroisse de Lochrist