Beilhadeg er Releg, gant ar vreudeur Herrou

Amzer-lenn / Temps de lecture : 7 min
harpe celtique joel herrou
Photo Ar Gedour 2016

Nous connaissons les harpistes bretons comme Alan Stivell, Myrdhin, les frères Quéfféléant, Clotilde Trouillaud, Gwenael Kerléo ou Nolwenn Arzel, pour ne citer qu’eux. Leur musique s’écoule entre les doigts, dont les notes s’échappent comme l’eau qui se répand sur le monde. Le son très fin de ces harpes celtiques et electro-harpes sont un régal pour les oreilles.

Mais il est de ces harpistes qui proposent un son si particulier qu’il vous envoûte et vous apaise. Un son qui se dégage du bronze et du bois à chaque note égrenée en vous menant vers un univers nostalgique et légendaire. Ce sont les notes de cristal qui évoquent bien autre chose qu’une simple musique, portant au scintillement des étoiles sous la voûte céleste, à travers les menezioù de Bretagne et de Celtie.

C’est le cas des harpes créées par la famille Herrou, installée au coeur des Monts d’Arrée. Joël Herrou, avec sa femme et ses deux enfants, reproduit la harpe ancienne de Bretagne, que l’on retrouve dans tous les pays celtiques. Cette harpe est construite selon les canons de la géométrie sacrée, témoins de ses origines et de ce même élan vers l’absolu. La harpe ancienne de Bretagne, ou « Harpe des Celtes », est visible sur l’iconographie de l’ensemble des territoires celtiques. Elle fut jouée jusqu’au 18ème siècle par les Gaëls d’Irlande et d’Ecosse, loin des courants destructeurs. Pour la sauvegarde de ce patrimoine universel retrouvé, Joël, co-signataire de la Charte de Qualité de l’association Hent Telenn Breizh, réalise des répliques de ces harpes historiques, en respectant la technique de fabrication médiévale. Violaine enseigne les techniques de jeu retrouvées.

 

Le bois utilisé

La harpe ancienne de Bretagne se caractérise par sa caisse de résonance creusée dans un seul bloc de saule (rouge) fermée à l’arrière par un plateau, ouïes à l’avant, assemblage sans collage.

Le saule, utilisé à cette fin en Irlande depuis la plus haute antiquité, produit une sonorité unique, et encaisse la très forte tension des cordes de bronze. Comme dans la tradition, le bois est immergé plusieurs mois dans la tourbe avant assemblage, pour se charger de silice. Cela a pour effet d’ajouter du cristallin et de la profondeur au son rond et pur qui caractérise le saule. L’accord en est facilité, la harpe plus stable, la résistance du bois dans le temps est augmentée. Le saule de la caisse se bombe tout d’abord sous la tension des cordes,  tandis que les tensions se répartissent harmonieusement. Puis le bois, devenant dur et nerveux en finissant de sécher, donne une réponse vibrante profonde et claire, douce mais pénétrante, aux vibrations des cordes de bronze et d’or. La sonorité de la harpe évolue et se révèle en « mûrissant »… sur deux ans, voire davantage.

 

Beilhadeg er Releg, le premier disque des frères Herrou

Après plusieurs albums enregistrés par Joël Herrou et Violaine Mayor, dont :

  • « Chant celtique sacré », opus aujourd’hui épuisé, consacré au chant des moines celtiques (VIIè-XIIIè siècles) d’après le manuscrit inédit d’Inchcolm, contenant des chants à St Columba de Iona, associés ici à une pièce de ceol mor (piobaireachd) avec chant, harpe celtique ancienne à cordes de bronze et flûte médiévale et dans lequel les profondes résonances et les riches harmoniques révèlent ici l’art et les connaissances dont étaient héritiers ces moines druides, poètes et musiciens, pour harmoniser les personnes comme les lieux ;
  • Après des albums comme GENS CAMBRINA « gens du même pays » (Kenvroiz en breton),  dans lequel Violaine Mayor nous livre un répertoire méconnu, de toute beauté, tiré de l’ancienne tradition de harpe de Bretagne. Ces pièces dansantes ou profondes, foisonnantes d’ornementations, sont interprétées avec les techniques de jeu historiques utilisant les ongles, sur des répliques fidèles de harpes d’époque à cordes de bronze et d’or. Cet album clé apporte un nouvel éclairage sur nos origines et notre culture. Trio de harpes, voix d’enfants (Jean et Mikaël Herrou), flûte, violon, bodhran et plain chant (Joël Herrou) parachèvent ce voyage dans la musique des sphères.

… voici que les deux frères,  Jean et Mikael, invitent dans leur propre album à vivre une veillée chez eux, au Releg. Un voyage en musique et herrouen chant autour de l’ancienne abbaye du Relec, site celtique puis cistercien posée dans les Montagnes d’Arrée, au carrefour des évêchés de Cornouaille, Léon et Trégor.

Pour nos amateurs d’histoire : l’abbaye aurait été fondée par des moines venus de l’abbaye de Bégard à l’emplacement d’une abbaye antérieure probablement bénédictine, qui aurait porté le nom de Gerber, fondée par saint Pol Aurélien au vie siècle, dont le premier abbé aurait été saint Tanguy, décédé en 572, et située à proximité de l’endroit supposé, nommé Brank-Alek (branche de saule), de la bataille ayant opposé en 555 les armées de Conomor, comte de Poher et Tudal, prince de Domnonée (appuyé par le roi des Francs, Childebert Ier). Cela expliquerait le nom de l’abbaye qui proviendrait des reliques des combattants tués lors de cette bataille (l’abbaye est dénommée en latin Abbatia de reliquiis dans des Chartes anciennes). Jusqu’au xixe siècle, on voyait encore au village du Mengleuz une pierre plate schisteuse appelée Men Be Conomore : la pierre tombale de Conomor. Aujourd’hui cette dernière serait enfouie à proximité de l’abbaye (source Wikipedia).

Pour en revenir à notre musique : Jean et Mikael, ont été primés dans plusieurs concours comme le Kan ar Bobl ou le concours de harpe d’Amzer Nevez, voire dernièrement en remportant le premier prix au concours international de harpe celtique, au Festival Interceltique de Lorient 2016, permettant de jouer ensuite en première partie de Nolwenn Arzel au cours de la Grande soirée de la Harpe celtique, concert qui a attiré cette année de nombreux spectateurs.

Jean et Mikaël jouent depuis l’âge de six ans de la harpe celtique traditionnelle, à cordes de bronze. Ils ont appris la harpe auprès de leur mère harpiste, et la lutherie auprès de leur père luthier et musicien. Passionnés par cet héritage hors du commun, les deux frères sont allés à la rencontre des anciens. Ils ont reçu l’enseignement de chanteurs de tradition comme Marcel Guilloux et Louis Lallour. Avec virtuosité et énergie, par leur fraîcheur juvénile, à la harpe et au chant, ils apportent une nouvelle couleur au répertoire traditionnel qu’ils enrichissent de leurs propres textes.

Au fil du répertoire, Jean et Mikael nous font danser par les airs traditionnels, ou nous invitent à découvrir en musique et chant l’histoire des lieux par les gwerzoù, patrimoine local inestimable qu’ils nous retranscrivent ici avec brio. Notons leur adaptation du traditionnel Silvestrig, ou encore Ar Rannoù (les séries), chanson énigmatique et très ancienne de Bretagne. La famille au complet joue sur une suite gavotte de Calanhel envolée et dont le texte, composé par Mikael et Jean, interpelle, maniant à la fois l’ironie et touchant des points particuliers de la relation des gens d’aujourd’hui à la religion.

La piste 12 donne « Lament for the Viscount of Dundee », pièce de pibroc’h composée à la mémoire du jeune vicomte de Dundee, qui a mené ses compagnons à la victoire lors d’une révolte des Highlanders contre le joug des Anglais en 1689 mais qui avait trouvé la mort ce jour-là sur le champ de bataille. Le son très cristallin de cette pièce, que nous pouvions aussi découvrir dans l’un des albums précédents des parents de Mikael et Jean, n’est pas non plus sans rappeler celui de la harpe d’Alan Stivell dans « Renaissance de la Harpe Celtique », jouant sur l’instrument créé par son père.

Un intéressant livret trilingue breton, anglais et français avec paroles, traduction et explications / origines de la chanson accompagne le disque.

Cet album, disponible sur le site de l’Association Hent Telenn Breizh, est à découvrir, et nul doute que vous l’écouterez aux soirs d’hiver, tandis que vacilleront dans l’âtre les flammes chaleureuses qui vous inviteront à veiller par-delà les contrées sauvages du Kreiz Breizh.

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD". En 2024, il a également publié avec René Le Honzec la BD "L'histoire du Pèlerinage Militaire International".

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2 Commentaires

  1. L’authentique harpe celtique médiévale à cordes de bronze a un son si absolu et cristallin qu’il nous offre une vision du monde d’en-haut presque insoutenable d’excès de pureté pour celui qui n’y est pas préparé.Il faut avoir une certaine ouverture spirituelle pour accéder à cette plénitude. Pour cette raison, le sanguinaire dictateur puritain Cromwell, lors de sa conquête de l’Irlande en 1649 fit rechercher et brûler toutes les harpes irlandaises et pourchasser et massacrer tous les harpistes. Il ne reste aujourd’hui qu’une harpe historique en Irlande et deux en Ecosse.

    Pour avoir assisté à un concert de la famille Herrou avec les Gedourion en 2009 au pardon de Locjean en Riantec, j’ai pu constater cette gêne du public non-averti gavé de musiques bas de gamme devant tant d’absolu.
    Sa moderne descendante aux cordes de nylon ou de boyau est en cela plus accessible au grand public.
    Dans la civilisation celtique, l’ancienne harpe était l’instrument raffiné des rois, des princes et des grands seigneurs qui se devaient d’entretenir un barde ou au pire des cas d’accueillir les bardes itinérants (ceux-ci étaient souvent aveugles). Il existe aussi quelques indices qui supposent l’usage de la harpe chez les moines dans la liturgie.

    J’ai eu la chance de voir Joël Herrou choisir et couper un saule pour en faire une harpe, rien que cela, c’est de l’art et déjà de la liturgie ! Nous avions aussi interviewé Yolaine Mayor pour Radio sainte Anne dans les caves du château de Pontivy lors du Kan ar Bobl. Je vais tâcher de retrouver ces enregistrements qui sont magnifiques.

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