Le 14 avril 1802, Chateaubriand publiait “Le Génie du Christianisme”

Amzer-lenn / Temps de lecture : 9 min
Anne-Louis Girodet, Portrait de Chateaubriand,
Saint-Malo, musée d’Histoire de la Ville et du Pays Malouin.

Le 14 avril 1802, au moment même de la proclamation du Concordat, François-René de Chateaubriand, écrivain breton publie son livre “Le Génie du Christianisme”, son oeuvre capitale où il rend hommage à toute la beauté de la religion chrétienne et prend la défense de sa sagesse, affectée par la philosophie des Lumières, puis par la tourmente révolutionnaire.

Revenant à la foi de son enfance pendant l’écriture du Génie du christianisme, rédigé à la suite de la mort de sa mère (« Je suis devenu chrétien. Je n’ai point cédé, je l’avoue, à de grandes lumières surnaturelles ; ma conviction est sortie de mon cœur : j’ai pleuré et j’ai cru »), Chateaubriand cherche dans cet ouvrage à « prouver que le christianisme vient de Dieu, parce qu’il est excellent ». Dans cet objectif, il s’intéresse en particulier aux apports artistiques de la religion chrétienne, les comparant à ceux des civilisations antiques et païennes. L’idée principale du livre est en effet que « seul le christianisme explique le progrès dans les lettres et arts ».

Chateaubriand reproche aux écrivains du XVIIIe siècle (philosophes dits “des Lumières”) d’avoir méconnu Dieu, à l’exception de Rousseau, qui aurait une « ombre de religion ». Ainsi, pour Chateaubriand, Voltaire auteur tragique est inférieur à Racine car Voltaire n’est pas chrétien. Dieu n’apparaît jamais mieux que dans le vide laissé par son absence, explique Chateaubriand. Voilà pourquoi le Génie du Christianisme, entre poésie, philosophie et romantisme, offrant à s’aventurer dans un univers de contemplation, peut encore nous parler aujourd’hui, dans la vacuité d’un monde qui court vers le néant.

chapelle bretonne à l'abandon
chapelle bretonne à l’abandon

Des ruines en général. – « Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines. Ce sentiment tient à la fragilité de notre nature, à une conformité secrète entre ces monuments détruits et la rapidité de notre existence. Il s’y joint en outre une idée qui console notre petitesse, en voyant que des peuples entiers, des hommes quelquefois si fameux, n’ont pu vivre cependant au delà du peu de jours assignés à notre obscurité. Ainsi les ruines jettent une grande moralité au milieu des scènes de la nature; quand elles sont placées dans un tableau, en vain on cherche à porter les yeux autre part : ils reviennent toujours s’attacher surelles. Et pourquoi les ouvrages des hommes ne passeraient-ils pas, quand le soleil qui les éclaire doit lui-même tomber de sa voûte? Celui qui le plaça dans les cieux est le seul souverain dont l’empire ne connaisse point de ruines.

Il y a deux sortes de ruines : l’une, ouvrage du temps; l’autre, ouvrage des hommes. Les premières n’ont rien de désagréable, parce que la nature travaille auprès des ans. Font-ils des décombres, elle y sème des fleurs; entrouvrent-ils un tombeau, elle y place le nid d’une colombe sans cesse occupée à reproduire, elle environne la mort des plus douces illusions de la vies.

Les secondes ruines sont plutôt des dévastations que des ruines : elles n’offrent que l’image du néant, sans une puissance réparatrice. Ouvrage du malheur et non des années, elles ressemblent aux cheveux blancs sur la tête de la jeunesse. Les destructions des hommes sont d’ailleurs plus violentes et plus complètes que celles des âges; les seconds minent, les premiers renversent. Quand Dieu, pour des raisons qui nous sont inconnues, veut hâter les ruines du monde, il ordonne au Temps de prêter sa faux à l’homme, et le temps nous voit avec épouvante ravager dans un clin d’oeil ce qu’il eût mis des siècles à détruire.

Nous nous promenions un jour derrière le palais du Luxembourg, et nous nous trouvâmes près de cette même Chartreuse que M. de Fontanes a chantée. Nous vîmes une église dont les toits étaient enfoncés, les plombs des fenêtres arrachés et les portes fermées avec des planches mises debout. La plupart des autres bâtiments du monastère n’existaient plus. Nous nous promenâmes longtemps au milieu des pierres sépulcrales de marbre noir semées çà et là sur la terre; les unes étaient totalement brisées, les autres offraient encore quelques restes d’épitaphes. Nous entrâmes dans le cloître intérieur : deux pruniers sauvages y croissaient parmi de hautes herbes et des décombres. Sur les murailles on voyait des peintures à demi-effacées, représentant la vie de saint Bruno; un cadran était resté sur un des pignons de l’église, et dans le sanctuaire, au lieu de cette hymne de paix qui s’élevait jadis en l’honneur des morts, on entendait crier l’instrument du manoeuvre qui sciait des tombeaux.

chapelle St Germain - Languidic
Photo Ar Gedour 2016

Les réflexions que nous fîmes dans ce lieu, tout le monde les peut faire. Nous en sortîmes le coeur flétri, et nous nous enfonçâmes dans le faubourg voisin, sans savoir où nous allions. La nuit approchait : comme nous passions entre deux murs dans une rue déserte, tout à coup le son d’un orgue vint frapper notre oreille, et les paroles du cantique Laudate Dominum, omnes gentes [ = Louez le Seigneurs, vous toutes nations!], sortirent du fond d’une église voisine; c’était alors l’octave du Saint-Sacrement. Nous ne saurions peindre l’émotion que nous causèrent ces chants religieux; nous crûmes ouïr une voix du ciel qui disait : « Chrétien sans foi, pourquoi perds-tu l’espérance? Crois-tu donc que je change mes desseins comme les hommes; que j’abandonne parce que je punis? Loin d’accuser mes décrets, imite ces serviteurs fidèles qui bénissent les coups de ma main jusque sous les débris où je les écrase. » Nous entrâmes dans l’église au moment où le prêtre donnait la bénédiction. De pauvres femmes, des vieillards, des enfants étaient prosternés. Nous nous précipitâmes sur la terre au milieu d’eux; nos larmes coulaient; nous dîmes, dans le secret de notre coeur : Pardonne, ô Seigneur, si nous avons murmuré en voyant la désolation de ton temple; pardonne à notre raison ébranlée! L’homme n’est lui-même qu’un édifice tombé, qu’un débris du péché et de la mort son amour tiède, sa foi chancelante, sa charité bornée, ses sentiments incomplets, ses pensées insuffisantes, son coeur brisé, tout chez lui n’est que ruines. » (Troisième partie, V, 3).

Ruines des monuments chrétiens. – «  Le gothique, étant tout composé de vides, se décore ensuite plus aisément d’herbes et de fleurs que les pleins des ordres grecs. Les filets redoublés des pilastres, les dômes découpés en feuillage ou creusés en forme de cueilloir, deviennent autant de corbeilles où les vents portent, avec la poussière, les semences des végétaux. La joubarbe se cramponne dans le ciment, les mousses emballent d’inégaux décombres dans leur bourre élastique, la ronce fait sortir ses cercles bruns de l’embrasure d’une fenêtre, et le lierre, se traînant le long des cloîtres septentrionaux, retombe en festons dans les arcades.

Il n’est aucune ruine d’un effet plus pittoresque que ces débris : sous un ciel nébuleux, au milieu des vents et des tempêtes, au bord de cette mer dont Ossian a chanté les orages, leur architecture gothique a quelque chose de grand et de sombre comme le Dieu de Sinaï dont elle perpétue le souvenir. Assis sur un autel brisé, dans les Orcades, le voyageur s’étonne de la tristesse de ces lieux; un océan sauvage, des syrtes embrumées, des vallées où s’élève la pierre d’un tombeau, des torrents qui coulent à travers la bruyère, quelques pins rougeâtres jetés sur la nudité d’un morne flanqué de couches de neige, c’est tout ce qui s’offre aux regards. Le vent circule dans les ruines et leurs innombrables jours deviennent autant de tuyaux d’où s’échappent des plaintes : l’orgue avait jadis moins de soupirs sous ces voûtes religieuses. De longues herbes tremblent aux ouvertures des dômes. Derrière ces ouvertures on voit fuir la nue et planer l’oiseau des terres boréales. Quelquefois égaré dans sa route, un vaisseau caché sous ses voiles arrondies, comme un esprit des eaux voilé de ses ailes, sillonne les vagues désertes; sous le souffle de l’aquilon, il semble se prosterner à chaque pas et saluer les mers qui baignent les débris du temple de Dieu.

Ils ont passé sur ces plages inconnues, ces hommes qui adoraient la Sagesse qui s’est promenée sur les flots. Tantôt, clans leurs solennités, ils s’avançaient le long des grèves en chantant avec le Psalmistes : « Comme elle est vaste, cette mer qui étend au loin ses bras spacieux! », tantôt, assis dans la grotte de Fingal, près des soupiraux de l’Océan, ils croyaient entendre cette voix qui disait à Job : « Savez-vous qui a enfermé la mer dans des digues, lorsqu’elle se débordait en sortant du sein de sa mère? » La nuit, quand les tempêtes de l’hiver étaient descendues, quand le monastère disparaissait dans des tourbillons, les tranquilles cénobites, retirés au fond de leurs cellules, s’endormaient au murmure des orages; heureux de s’être embarqués dans ce vaisseau du Seigneur, qui ne périra point!  » (V. 5.)

(Chateaubriand, extraits du Génie du Christianisme).

Les Bretons ont leurs génies littéraires qu’ils oublient bien souvent et que d’autres s’approprient et portent à leurs frontons. En ce 14 avril 2021, honorons Chateaubriand et ce Génie du Christianisme, à rédécouvrir. Un ouvrage à (re)lire comme une image certes d’un temps passé mais qui peut nous offrir une véritable vision du monde à  transmettre, assise sur la beauté simple de la Création.

 

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À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD".

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