Ca y est, c’est la fin. Après 10 jours de marathon, le Festival Interceltique de Lorient 2017 a fermé ses portes. Plus d’une semaine déjà que dès le dimanche soir, l’Espace Marine, le stade du Moustoir ou encore le Palais des Congrès se vidaient de tout le matériel, rendant aux lorientais leur ville transformée pour l’événement.
Tristes de se dire que la suite, ce n’est que dans un an… Mais la fatigue se faisait sentir et il était temps que cela s’arrête. Certains disent que le festival devrait durer un an. J’imagine mal l’entraînement qu’il faut avoir pour assurer 364 jours de riboul, à enchaîner bon an mal an. Parce que siroter une Kilkenny ou une Blanche Hermine de temps à autres, c’est bien (avec modération) mais de là à en faire notre quotidien…
Mais quand même, c’est un peu triste de voir les pages se refermer. Car le Festival Interceltique de Lorient, c’est quand même ce moment où l’on croise des gens de diverses origines et qui se retrouvent sur un point qui les fait vibrer, qui les porte, une culture commune qui se partage et que d’autres découvrent. Il y a les inévitables têtes d’affiche capables de drainer des foules, à l’instar des Tri Yann qui, tout en restant dans l’univers et le répertoire qui ont fait leur succès savent se renouveler, notamment grâce à l’apport des musiciens qui les accompagnent, comme ici avec la patte de Konan Mevel reconnaissable entre mille. Il y a aussi les spectacles qui sont devenus des monuments du festival : la grande parade, les nuits interceltiques, etc…
En cette année mettant l’Ecosse à l’honneur, nous avons décidé sur Ar Gedour de nous focaliser sur cette nation celte et proposerons nos retours dans les jours à venir. En participant à certains spectacles, mais aussi en creusant et en arpentant les rues de Lorient ou le Pavillon de l’Ecosse, nous avons cherché à vous partager notre festival. Vous avez pu suivre nos directs et avez pu ainsi avoir un aperçu si vous n’étiez pas sur place mais rien ne vaut quelques lignes pour vous livrer nos impressions. Car si les poids lourds de la culture bretonne et des pays celtes sont bien présents un peu partout, on a aussi le plaisir de découvrir des ensembles moins connus ici mais célèbres outre-Manche. Run Rig, Amy McDonald, des noms connus. Au Festival, on peut y découvrir des jeunes pousses, des sons nouveaux, des groupes qui montre une tradition en perpétuel renouvellement. On ne présente plus Capercaillie et la superbe voix de Karen Matheson, mais prenez Talisk, le groupe écossais qui avant eux en deux chansons ont été capables de mettre le feu à l’Espace Marine pour la Nuit de l’Ecosse. Prenez aussi Tide Lines, Breabach ou Elephant Sessions pour ne citer qu’eux. Rien que pour les découvrir, cela valait le déplacement.
Sur un autre plan, dommage qu’il n’y ait eu aucune évocation, projection ou autres sur la série télévisée phare Outlander, qui plonge le téléspectateur dans l’Ecosse des années 1700. Par contre, il était vendu des flacons d’eau du Loch Ness, véritable souvenir qui semble être parti comme des petits pains.
Côté Pays de Galles (qui sera l’invité d’honneur de l’édition 2018), l’excellent trio de cordes VRï a remporté de nombreux suffrages :
Côté Bretagne, on aura pu voir ou revoir des groupes de qualité : Arvest, mais aussi Kemener Trio, Castor & Pollux, Silabenn Trio, Tanaw, et bien d’autres. Un regret, c’est que le Quai de la Bretagne par sa programmation très riche qui attire fait que le fest-noz de la Salle Carnot est de plus en plus désertée, malgré la qualité des sonneurs et chanteurs. Il faut dire aussi que le panel des danses n’y est pas très élargi, au dire des participants que nous avons interrogé. Il y aurait peut-être quelque chose à revoir de ce côté- là.
>> Pour revivre quelques uns des concerts de la programmation 2017 cliquez ici.
On voit que le Festival Interceltique fait appel à des artistes phares, mais est aussi une pépinière de nouveaux talents, une sorte de chaudron “magique” de Gundestrup sur lequel s’animent les motifs mythologiques des divers pays celtes, mais à l’intérieur duquel s’entremêlent les sonorités multiples faisant résonner les âges à travers le temps et l’espace. Nous reviendrons donc sur certains de ces artistes qui nous ont tapé dans l’oeil.
Avant d’aller plus loin avec nos articles plus ciblés, quelques impressions rapides :
Un agencement beaucoup plus agréable
En centre-ville, l’aménagement a été beaucoup mieux pensé que les autres années : les stands des commerçants, institutions et collectivités ont été décalés du Quai de la Bretagne vers le Palais des Congrès. Ce qui fait qu’une grande place de restauration a pu se libérer, permettant aux festivaliers de mieux flâner et de passer d’agréables temps de pause avec vue sur le port, sous les parasols installés pour l’occasion. De même, de petits espaces, véritables oasis dans la foule, ont été aménagés du côté de la rue du port ou du square Jules Ferry, offrant de la restauration ou de quoi se désaltérer, tout en permettant de lâcher les enfants quand on en a. Avec le Jardin des Luthiers, le Breizh Stade et l’Espace Solidaire (incluant les jeux en bois pour les jeunes et moins jeunes), ce sont là d’excellentes initiatives qui poussent à venir à l’Interceltique en famille. Les chapiteaux commerçants ont aussi été redisposés en éclatant un peu la grande rue des artisans, offrant au promeneur la possibilité de déambuler sans être happé par le flot humain.
Enfin, on ne le souligne pas assez, mais c’est quand même très agréable d’avoir des toilettes qui sont entretenus tout au long du Festival. Lorsque vous recherchez des WC et que vous ne trouvez que des piscines urinaires, cela vous gâche aisément votre journée. Qui plus est lorsque vous avez des enfants. Nous voudrions donc ici tirer notre chapeau à ceux qui, dans l’ombre, travaillent à rendre plus agréable le festival. Soit dit en passant, si les festivaliers pouvaient tous prendre soin des toilettes sèches proposées au Breizh Stade, au Jardin des Luthiers ou à l’Espace solidaire, ce serait sympa.
La Grande Parade des Nations Celtes
Toujours aussi belle, cette grande parade est grandiose et attire toujours autant de monde. Permettant de (re)découvrir la richesse des costumes, la vitalité musicale bretonne mais aussi des autres nations celtes, nous découvrons aussi les créations des cercles celtiques. Toutefois, une question nous taraude toujours : au vu de l’ensemble des bagadoù et des cercles, comment se fait-il que les écoles bilingues peinent à recruter des élèves ? Que tous ceux qui se donnent dans l’année dans les diverses associations mettent leurs enfants en enseignement bilingue ou immersif, et la Bretagne se verra différemment. Il y en a qui le font, évidemment, mais ce n’est certainement pas la majorité. Vivre la Bretagne, c’est aussi prendre cette décision de se donner à elle et de faire que la génération de demain se structure au-delà d’une dimension culturelle cloisonnée qui parfois dépend d’une activité parmi d’autres. Si cette grande parade est la sortie muséo de l’été, ça n’a pas de sens. Si par contre c’est le déploiement à ciel ouvert d’une véritable vitalité bretonne qui se vit tout au long de l’année et s’ouvre à cette dimension interceltique, cela est bien mieux.
LA PLACE DE LA LANGUE BRETONNE
Nous avons pu remarquer que la langue bretonne a été beaucoup plus présente que les années passées. Le bilinguisme des panneaux et stands a été développé et même si certaines traductions semblent parfois bancales, nous ne pouvons que souligner cet effort. De même que les spots radios étaient régulièrement e brezhoneg.
Par ailleurs, il y avait cette possibilité d’avoir des cours gratuits de breton, accessible même aux enfants (certes d’un âge avancé). Ce genre de détail montre qu’un réel effort a été fait.
Un regret toutefois, c’est que la Nuit Interceltique soit accompagnée d’un commentaire en français. Eu égard à la spécificité bretonne de l’événement, il conviendrait que ce spectacle soit en breton, avec la possibilité via location d’un audioguide de l’avoir chacun dans la langue de son choix.
LA NUIT INTERCELTIQUE
Il n’y a pas si longtemps encore, nous voyions dans ce spectacle le truc à touristes, durant lequel sont interprétés dans une superbe mise en scène les Amazing Grace et autres tubes qui se font siffler lors du concours de Kitchen Music (ça fait partie des règles de ce match d’impro fréquenté par de très bons pipers des différentes nations celtes). Mais avec le recul, nous voyons les choses différemment. Car c’est un beau spectacle ! Un très beau spectacle !
Il y a cette volonté de transmettre ces cultures ancestrales à travers la découverte d’une musique qui traverse les âges. Il y a ce désir de faire communier un public tout entier, parfois loin de ces cultures, à un même esprit, à une même âme. Et pour cela, rien n’est laissé au hasard : en utilisant les techniques actuelles, une véritable architecture lumineuse est proposée, alliant l’éclairage robotisé, les projections et les feu d’artifices, avec des explications qui somme toutes montre bien les racines chrétiennes des peuples celtes, avec de nombreuses références aux saints missionnaires, aux saints fondateurs, aux églises et croix celtiques érigées par ce christianisme celtique. Il n’est point fait l’impasse sur cette question, et en cela, on pourrait même dire, sur Ar Gedour, que le Festival Interceltique fait oeuvre d’évangélisation.
Lorsque l’on entend le silence d’un stade tout entier, tendant l’oreille à la seule harpe celtique ou au bagpipe, il y a ce quelque chose d’indescriptible qui se passe. Et rien que pour cela, il faut voir ce spectacle au moins une fois.
Une mention toute particulière pour les artistes qui cette année ont continué le show sous une pluie battante, et notamment les galiciens dont plusieurs danseuses ont glissé durant une danse le mercredi soir, gardant le sourire. Le public les a soutenues par une salve nourrie d’applaudissements bien mérités.
LES CREATIONS
Le FIL, c’est ce lieu où il y a ces têtes d’affiches. Mais où l’on peut découvrir aussi ces créations qui parfois sont méconnues ou n’ont pas le succès qu’elles méritent. Cette année, par exemple, le bagad de Cap Caval-champion de Bretagne 2017 – a proposé ‘Tan de’i ». Ce concert met à l’honneur des répertoires de “ fins de terre ” : Bretagne, Irlande, Écosse, Galice. Traduisant cette volonté d’échanges culturels tant dans le répertoire présenté que dans l’esthétique musicale et acoustique de chacun des artistes présents sur scène. Une composition résolument moderne et contemporaine, repoussant les frontières et innovant tant dans l’approche que dans le genre, « Tan De’i » est en plus une véritable invitation au voyage. Malheureusement, le grand théâtre n’a pas fait le plein. Peut-être parce que le bagad avait déjà fait une représentation au Festival de Cornouailles ? Ou que le nom du spectacle parlait moins qu’un titre tel que « carte blanche à Cap Caval » ?
L’autre spectacle qui a attiré du monde mais n’a pas fait le plein alors qu’il l’aurait amplement mérité, c’est le spectacle AR EN DEULIN de Yann-Fañch Kemener. Nous en avions déjà largement parlé sur Ar Gedour, mais il faut le voir, ce spectacle qui dans un cadre intimiste nous livre l’âme du poète groisillon, par le talent de Yann-Fañch et de ses deux excellents musiciens. Plus qu’un hommage en ce centenaire de la mort du Bleimor, il s’agit d’une ode à celui qui inspirera tant de personnes derrière lui, une invitation à la découverte de son oeuvre, authentiquement bretonne… et chrétienne. La salle, remplie au 3/4, aurait mérité d’être plus encore fréquentée en ce jeudi soir.
Nous ne pouvons oublier les spectacles comme Kement Tu ou encore Honneur au fest-noz et bien d’autres mais nous y reviendrons par la suite.
LES CONFERENCES
Loin de la cohue ont lieu durant le festival des conférences proposées à la chambre de Commerce. Cette année, des interventions très intéressantes ont eu lieu, comme les conférences sur l’Ecosse qui balayant les sujets culturels et historiques ont cependant laissé plusieurs participants sur leur faim. Mais ces conférences ayant vocation à s’adresser à tous, il est compréhensible de ne pas entrer en profondeur, laissant libre celui qui veux d’aller creuser plus avant. Soulignons aussi la conférence très suivie de Roland Becker sur Joseph Mahé et l’ouvrage qu’il a consacré au collectage du chanoine breton que tout musicien attaché au patrimoine musical breton devrait connaître.
LE OFF
D’excellents groupes se produisent à travers la ville durant ces 10 jours. Evidemment, les incontournables du off sont la Tavarn ar Roue Morvan et La Truie et sa portée qui par leur programmation de grande qualité font honneur au Festival Interceltique. Et cela équilibre avec ceux qui se pensent musiciens et compensent la qualité par les décibels, couvrant parfois d’autres groupes sensiblement meilleurs ou provoquant occasionnellement une certaine cacophonie. Sans compter les groupes qui n’ont rien à voir musicalement parlant avec le thème interceltique. Il existe assez de variété musicale dans les groupes à inspiration celtique pour contenter tout le monde, sans avoir besoin d’aller piocher dans des styles totalement en décalage.
Il y a aussi cette veillée mariale proposée par la paroisse Notre-Dame des Victoires, la mission étudiante Morbihan (MEMO) et les Gedourion à l’église Saint-Louis qui, après les concerts officiels de chants et musiques sacrées des pays celtes, invitait les festivaliers à un moment d’intériorité et de prière devant le Saint-Sacrement, avec de la musique et des chants en français, latin, et breton, prélude à la grand’messe en breton qui cette année encore a attiré beaucoup de monde. Nous y reviendrons.
Le Festival en chiffres