« En voiture, Monseigneur ! » d’Erwan de Kermenguy

Amzer-lenn / Temps de lecture : 7 min

Débuté alors que je me rendais à Pologne sur les traces de Jean-Paul II, je termine la lecture de cet ouvrage alors que nous célébrons aujourd’hui Saint Jude, apôtre. Ceux qui liront le livre verront le clin d’oeil.

Il est des romans dont on rit doucement avant de s’apercevoir qu’ils nous parlent du sérieux même de la vie. En voiture, Monseigneur ! d’Erwan de Kermenguy, publié aux éditions Salvator, appartient à cette catégorie rare des fables qui vous attrapent par le sourire pour mieux vous déposer, quelques pages plus loin, sur le seuil d’une méditation intérieure sur la vie ecclésiale. Derrière la cocasserie de son intrigue – un évêque cloué sur son fauteuil, immobilisé par un accident et bientôt par la disparition mystérieuse des roues de sa voiture – se cache une réflexion d’une justesse désarmante sur la foi, le pouvoir et la fragilité des institutions humaines.

Tout commence dans un diocèse de province, à peine esquissé, mais que l’on devine campé entre bocage et clocher, quelque part dans cette France qui prie encore un peu et ironise beaucoup. Une paroisse dont chacune peut s’identifier. Monseigneur Benoît Randier, prélat modeste et sans éclat, plein d’idées et d’allant comme un lion trônant de manière insigne sur des voitures, se voit contraint à l’immobilité, physique d’abord, symbolique ensuite. Quand sa voiture se retrouve sans roues, ce sont moins les voleurs qui importent que la métaphore : comment gouverner quand on ne peut plus avancer ? comment garder le cap lorsque l’Église elle-même semble stationner sur le bas-côté du monde ?

Erwan de Kermenguy, prêtre breton de terrain, écrit avec le ton exact de ceux qui connaissent leurs ouailles, l’appareil ecclésial et leurs travers : sans amertume, sans illusion, mais avec une tendresse obstinée et un léger trait caricatural. Il dépeint une galerie de personnages hauts en couleur – curés frondeurs, militants obstinés, paroissiens fantasques – qui donnent à ce récit une saveur d’humanité pure. Derrière la farce romanesque se tisse un chant d’espérance discret mais tenace, celui d’une Église qui doute, trébuche, mais continue à aimer. On pense à ces récits où le merveilleux côtoie le quotidien : ici, le miracle n’est pas dans le ciel, mais dans le regard que l’on apprend à poser sur les autres.

Ceux qui travaillent au sein de l’Église reconnaîtront sans peine la justesse de certains traits. Car sous la caricature se cache souvent la vérité nue. Oui, bien des aspects évoqués ici, tout en étant esquissés avec humour, sont d’une véracité saisissante. Dans les paroisses comme dans les diocèses, on s’y retrouve. Et l’on sourit, non par moquerie, mais par une certaine complicité. Qui d’entre nous, jeunes ou moins jeunes, ne s’est pas un jour dit qu’il fallait « bouger les lignes », qu’il fallait oser jeter toutes ces vieilles chaises entassées au fond de l’église depuis des décennies, vestiges d’un passé que personne n’a pris l’initiative d’alléger, allégorie d’une certaine apathie ? Un jour, un curé d’une des paroisses où j’ai vécu m’avait confié, alors que j’étais bien plus jeune : « Tu sais, une paroisse, c’est comme un camion : il faut prendre les virages doucement, sinon tu te plantes. » Toute la sagesse du roman tient peut-être dans cette image.

L’écriture d’Erwan de Kermenguy, limpide et pleine de relief, oscille entre réalisme pastoral et allégorie spirituelle. Son style, dynamique et imagé, possède une énergie propre ; mais on ne peut s’empêcher de penser qu’En voiture, Monseigneur ! pourrait aisément faire suite au best-seller Monsieur le Curé fait sa crise. Il y a là une parenté de ton, une même humanité souriante, une même volonté de réconcilier l’Église et le rire. D’ailleurs, l’auteur ne s’en cache pas : il confie volontiers avoir dévoré à plusieurs reprises cet ouvrage, qui semble avoir nourri chez lui le goût d’un récit pastoral empreint d’humour et de vérité, faisant place aux larmes et au désarroi.

Par moments, l’humour affleure comme une marée douce ; ailleurs, la gravité perce, dans le silence d’une prière ou la gêne d’un prêtre qui ne sait plus comment s’adresser à son évêque. Il y a du breton dans cette manière de mêler le sel du quotidien à la sève de la foi, de sourire sans moquer, de dire sans prêcher. On y sent le souffle d’une Bretagne intérieure : la mer n’est pas nommée, mais elle respire dans la pudeur des phrases et dans cette mélancolie qui sait encore rire d’elle-même.

Ce qui charme, dans ce roman, c’est la justesse du ton. Erwan de Kermenguy ne se prend pas pour un moraliste ni pour un pamphlétaire. Il regarde, tout simplement, avec le regard d’un homme d’Église – d’un chrétien, tout simplement – et d’un conteur. Son évêque, privé de roues, devient la figure du croyant de notre temps : désorienté, freiné, mais toujours en quête d’élan. Et c’est là, peut-être, que réside la réussite du livre : dans cette manière d’évoquer la perte du mouvement et l’obligation de s’arrêter quelques instants hors du tourbillon de la vie quotidienne, comme condition du renouveau.

Et puisqu’Erwan de Kermenguy est curé de Landerneau, comment ne pas songer à la fameuse « lune de Landerneau » ? Cette lune, qui orna jadis le blason de la ville lorsque le soleil d’or de Louis XIV « céda la place » à l’astre d’argent du duc de Rohan, dit quelque chose de notre temps : il n’est pas question de briller par les éclats d’une mission ou d’un poste, mais d’éclairer autrement. La lune, après tout, ne crée pas sa lumière ; elle la reçoit, la réfléchit, la module selon les marées et les saisons. Elle ne règne pas sur le jour : elle veille sur les nuits, patiente et fidèle. Ainsi en va de l’évêque du roman : privé de ses roues, prisonnier d’un appareil ecclésial à bout de souffle, il apprend avec son entourage à accueillir la lumière autrement, à laisser passer à travers lui ce qu’il ne maîtrise plus. Et de même, le livre tout entier ressemble à cette mythique lune qui veille sur la ria de Landerneau : modeste, silencieuse, mais capable d’illuminer les détours et les arrêts de la vie ecclésiale comme de la vie intérieure. En voiture, Monseigneur ! se lit alors comme une parabole contemporaine : un récit d’humilité et de foi, qui choisit la tendresse plutôt que la thèse, le sourire plutôt que le sermon. Et quand, à la dernière page, l’évêque regarde sa voiture enfin prête à repartir, on comprend que la véritable roue retrouvée n’est pas celle de métal, mais celle de l’espérance : cette lumière réfléchie, douce et obstinée, comme la lune sur les eaux tranquilles de Landerneau.

Ainsi va ce roman, plein de sel et de douceur, où le rire et l’impertinence laissent un message : celle d’un conteur qui parle de l’Église sans la juger, de l’homme sans le flatter, et du Ciel sans en faire un décor.  Noël approche : offrez donc ce livre à votre entourage, à votre curé ou à votre évêque…. Il en restera toujours quelque chose !

En voiture, Monseigneur ! de Erwan de Kermenguy – Editions Salvator – 266 pages – 18€

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À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD". En 2024, il a également publié avec René Le Honzec la BD "L'histoire du Pèlerinage Militaire International".

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