Saints bretons à découvrir

« Je suis mort un jour de Noël » (par Eric Le Parc)

Amzer-lenn / Temps de lecture : 7 min

Durant tout le mois de décembre, Ar Gedour publie chroniques et contes de Noël, avec la complicité des collaborateurs habituels d’Ar Gedour mais aussi d’auteurs connus ou moins connus, contributeurs d’un jour pour plonger dans l’univers de Noël. Nous sommes heureux de vous partager leurs contributions. Cette fois, c’est Eric Le Parc, auteur Pontivien ayant publié de nombreux romans dont dernièrement ENFER, le premier tome d’une trilogie qui comptera aussi les titres PURGATOIRE et PARADIS. La nouvelle ci-dessous, un peu dérangeante, est un préquel à ce que sera Purgatoire, offrant dans son style propre une vision sans concession d’une rédemption.

J e suis mort un jour de Noël. J’ai vu mon corps dans cet uniforme bleu mille fois rapiécé. Soldat de la Révolution gisant au milieu de mon sang. J’ai vu cette petite fille qui gisait également. Sous ce dolmen où je l’avais tuée. Mon âme flottait. Mon âme pleurait. Oui, cette mort que je venais de connaître était bien celle que j’avais méritée ! Une substance entravait tous mes mouvements, mais mon âme flottait. L’univers me paraissait différent. Ma vision en était différente et… toujours prisonnier de cette gangue je fus pris par un long tunnel de lumière qui m’attirait sans que je ne puisse résister.

L’astre était là devant moi. Une sorte d’étoile immense qui tournait sur elle-même, à une vitesse défiant tout entendement. Son équateur légèrement aplati, irradiait d’une puissante lumière bleue, trois anneaux denses de gaz et de planétoïdes.

Mon ange me l’a dit… C’était la Cour Céleste, ou la porte qui y menait.

Oui… Malgré mes crimes, malgré cette mort violente et indigne j’ai vu Seigneur…

Je lui ai demandé pardon.

De tout mon cœur, je lui ai demandé pardon.

J’ai revu cette petite fille sous ce dolmen. Elle était apeurée, un jouet entre les mains, dans ses haillons de pauvre paysanne.

Il fallait marquer les esprits. Pour le peuple. Pour la révolution. J’ai revu toute la scène à travers ses yeux d’enfant. Il fallait montrer l’exemple pour mater toute résistance en terre bretonne. Son village avait été massacré, hommes femmes et enfants… Il fallait montrer l’exemple. De nombreux villages avaient subi le même sort et ce jour-là c’était le sien.

La pauvre gamine s’était enfuie et j’avais dû la rattraper et la tuer.

J’ai pleuré. J’ai pleuré comme je n’avais encore jamais pleuré.

Mon ange me tenait par la main.

Trois hideuses créatures, atrocement difformes me tenaient également par la rouille infâme de l’horreur qui était mienne. Elles ricanaient. Elles se congratulaient entre elles. Elles allaient pouvoir m’emmener dans un monde où disaient-elles, j’allais pouvoir jouir pour toujours de la libération acquise sur Terre. Je pourrai y satisfaire tous mes désirs sans aucune conséquence, libéré à jamais de cet horrible créateur.

Elles me tiraient par le bras, par la jambe, mais moi je ne voulais pas. Elles allaient me conduire tout droit en enfer, mais non, je ne voulais pas.

Le Seigneur m’a regardé. Il a eu pitié de mon atroce misère. Mais la rouille attachée à mon âme m’empêchait d’accueillir pleinement son pardon.

Cette rouille, ce composé métallique composé de milliers d’infimes cristaux pas plus grands que des grains de sable puissamment magnétiques, pour s’attirer entre eux et se lier à mon être… il m’était impossible de m’en débarrasser.

Mais… me libérer de cette gangue était pour moi une nécessité et un besoin, faute de quoi, cette étoile, cette Cour Céleste me serait à jamais inaccessible.

Mon ange m’a pris par la main. Il m’a conduit sur un astéroïde, sur le bord extérieur du troisième anneau. Sur ce planétoïde, des milliers d’âmes gisent, prisonnière de leur rouille. L’astéroïde tournait sur lui-même dans cette soupe de gaz presque compacte, tellement électrifiée par le rayonnement, que ses molécules s’attirent entre elles grâce à une sorte de magnétisme.

Il y avait des myriades d’astéroïdes plus ou moins grands en fonction de leur proximité des bords intérieurs et moi, j’étais sur celui-ci.

Les âmes étaient joyeuses. Elles goûtaient un peu de repos pendant qu’elles se trouvaient sur le côté non éclairé.

Mon Ange me tenait la main.

Toutes les âmes me souriaient avec amour sans pouvoir me parler.

La petite fille était également avec moi. Blanche, pure, lumineuse. Elle aurait l’éternité entière pour serrer les siens entre ses bras, mais là elle était là pour moi. Ce que je lui avais fait subir je l’ai revécu mille fois à travers ses yeux d’enfants. Elle eut un petit rire. Puis elle sollicita pour moi une grâce à l’un des milliers d’anges qui circulaient en ces lieux.

L’ange me regarda et il m’aima.

Deux masses gazeuses s’entrechoquèrent alors et un terrible éclair me frappa.

La douleur… la douleur…la douleur… impossible d’endurer pareille souffrance sur Terre sans être terrassé sur le coup ! La petite fille s’était construit un dolmen sur lequel elle s’amusait gentiment. La souffrance avait été abominable, mais une partie de ma rouille avait été volatilisée.

Mon ange me prit la main.

La petite fille priait pour moi.

La lumière !

La terrible lumière.

Le rayonnement bleu et brûlant !

La chaleur infinie, le feu, l’électricité qui s’empare de la rouille incrustée en votre âme !

La rouille s’échauffe, elle brûle, elle fond, elle s’électrise.

Les âmes entonnent d’une seule voix un chant qui leur donne du courage dans cette abominable souffrance.

Parfois certaines obtiennent des grâces et c’est alors un éclair qui les frappent et font envoler une partie de la gangue qui les oppresse.

Je ne sais combien de temps j’ai souffert en ce lieu.

Le temps ici n’est pas le même, mais ma rouille a fini par diminuer et des anges m’ont transporté vers un autre planétoïde situé dans les bords intérieurs de l’anneau.

Le rayonnement y était bien plus fort et la souffrance bien plus terrible, mais j’étais prêt à la supporter !

Mon ange était toujours avec moi ainsi que cette enfant qui aurait pu être ma fille.

Ma rouille disparaissait de plus en plus vite et ce fut pour moi le deuxième anneau et sa vitesse terrifiante.

Le rayonnement brûlant, le magnétisme, le gaz dense et électrifié.

Plus d’astéroïde pour me protéger momentanément de son ombre pour m’offrir un peu de repos !

Je volais avec ces vents puissants. Je chantais pour supporter cette nouvelle et effroyable épreuve, je louais et je chantais.

Bientôt je serai prêt, bientôt cette souffrance toucherait à sa fin. Cette souffrance était nécessaire, elle allait faire de moi un être digne d’entrer dans le Royaume, elle brûlait cette rouille qui m’éloignait si cruellement de mon Créateur.

Mon ange ne me quittait jamais, il m’emplissait de courage et d’amour.

 

Je ne souffrais maintenant presque plus. Mon ange eut un rire malicieux qu’il partagea avec ma jeune amie…

Et le vent m’éjecta d’un coup vers l’anneau central ou je ne passerai que peu de temps.

Mes dernières imperfections y furent brûlées.

La puissante lumière bleue émise par les bords de l’astre central ne me faisait plus souffrir.

Mon ange poussa alors un grand cri de joie.

J’étais prêt.

Elle était là la Mère très sainte.

Elle me regardait avec un amour infini.

Elle me tendait les bras.

Une colombe se posa sur ma tête et le Seigneur me serra contre lui en pleurant de joie.

Une nouvelle fois le Seigneur était né.

En moi ce jour fut un nouveau Noël.

À propos du rédacteur Redaction

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Un commentaire

  1. … Plus fort que le sublime Dante lui-même !

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