La Pentecôte et la quête de l’inclusion linguistique : réflexions sur la langue bretonne dans l’Église

Amzer-lenn / Temps de lecture : 4 min

Au cœur de la foi chrétienne, la Pentecôte demeure un moment d’une importance particulière. Célébrant la descente de l’Esprit Saint sur les apôtres, elle marque l’avènement de l’Église et l’universalité de son message. Cependant, alors que cet événement biblique symbolise une réponse divine dans la diversité des langues et des peuples (comme un anti-Babel, en quelque sorte), il soulève également des questions sur l’inclusion linguistique, en particulier dans le contexte de l’Église catholique contemporaine.

Dans le récit des Actes des Apôtres, la Pentecôte est décrite comme un moment de transcendance où les disciples sont remplis de l’Esprit Saint et commencent à témoigner du message du Christ en permettant ainsi à une multitude de personnes de les comprendre dans leur propre dialecte. Cette adresse vers une diversité linguistique témoigne de l’universalité de la foi chrétienne et de son accessibilité à tous les peuples.

Cependant, malgré cette vision d’inclusion linguistique, il est difficile de ne pas remarquer la place minime occupée par la langue bretonne dans l’Église, en particulier dans sa liturgie. Alors que la langue bretonne est une partie intégrante de l’identité culturelle de la Bretagne et de ses habitants, elle est souvent reléguée au second plan, reléguée à des contextes plus informels voire totalement absente des programmes de messes. Ce malgré les message des évêques demandant à chaque paroisse de tenir compte de cette réalité.

Une mise au ban linguistique

Une réalité qui soulève une question importante : pourquoi la langue bretonne, tout comme d’autres langues, n’est-elle pas pleinement intégrée dans la pratique liturgique de l’Église ? Pourquoi ne pouvons-nous pas entendre le message du Christ dans notre propre dialecte, notre langue maternelle, que représente le breton pour de nombreux fidèles bretons ? Combien de paroisses bretonnes liront ainsi lors de la messe de la Pentecôte la première lecture issue du livre des Actes des Apôtres (Ac 2, 1-11) et proclameront sans se poser de questions :

Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient :
« Ces gens qui parlent
ne sont-ils pas tous galiléens ?
Comment se fait-il que chacun de nous les entende
dans son propre dialecte, sa langue maternelle ?

Et ceux pour qui la langue bretonne, celle de notre terre et de nos aïeux, importe dans la vie quotidienne – et donc la vie de foi – repartiront sur la pointe des pieds à la fin de la messe en disant que décidément, on s’adresse à tous… sauf à eux. A nous…

Des réponses possibles

Une réponse possible réside dans les défis pratiques et logistiques que représente l’intégration de plusieurs langues dans les rituels religieux. Que ce soit la langue bretonne en Bretagne, le basque au Pays Basque, le corse en Corse ou le tahitien à Tahiti. On peut se dire que c’est compliqué parce qu’on ne comprend pas et qu’on ne sait ni parler ni chanter dans ces langues. Cependant, ces obstacles ne doivent pas servir de justification pour exclure les langues régionales de la vie ecclésiale. Au contraire, ils soulignent la nécessité d’une réflexion plus profonde sur l’importance de la diversité linguistique et de l’inclusion dans la pratique religieuse.

Dans un monde de plus en plus globalisé, où les langues minoritaires risquent de disparaître, l’Église a un rôle crucial à jouer dans la préservation et la promotion de ces langues. Intégrer le breton, ainsi que d’autres langues dites régionales, dans la liturgie et les pratiques ecclésiales serait un moyen puissant de reconnaître et de promouvoir la richesse de la diversité linguistique au service de l’annonce de l’Evangile.

Des initiatives telles que la traduction des textes liturgiques en breton, la formation de ministres de culte bilingues et la promotion de la langue bretonne dans les communautés paroissiales peuvent contribuer à rendre l’Église plus accessible et inclusive pour les locuteurs bretons. Un minimum d’un cantique breton chaque dimanche dans chaque paroisse devrait être la norme habituelle, comme il l’a été demandé dans plusieurs lettres pastorales. De même, encourager les célébrations liturgiques en breton, voire trilingue français-latin-breton, renforcerait le lien entre la foi et la culture locale. Et nul doute que plus d’un se sentirait enfin touché, franchissant alors la porte de l’église en se disant qu’on lui porte attention.

En fin de compte, la Pentecôte nous rappelle que l’Esprit Saint transcende sans les nier les frontières linguistiques et culturelles. En embrassant la diversité linguistique et en cherchant à inclure toutes les voix, y compris celles des locuteurs bretons, l’Église peut véritablement incarner les valeurs de la Pentecôte et refléter la vision d’une communauté universelle unie dans la foi, loin d’une hégémonie linguistique uniforme.

Pour avoir des propositions de chants bretons en fonction des moments de l’année liturgique et des étapes de la vie chrétienne, rendez-vous sur le site www.kan-iliz.com

Parce qu’Ar Gedour travaille sans relâche à la promotion de la langue bretonne dans l’Eglise, nous vous remercions de nous soutenir par un don (en cliquant ici). Si nous y arrivons, nous avons un autre projet qui devrait aider de manière efficace. Trugarez vraz deoc’h !

À propos du rédacteur Stella Gigliani

L'une des touches féminines d'Ar Gedour. Elle anime en particulier la chronique "La belle histoire de la semaine".

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2 Commentaires

  1. A propos de la traduction en breton du texte (Ac 2,1-11) de ce jour (Pentecôte)

    .1 Traductions :

    Oberoù, Lizheroù, Diskleriadur, Al Liamm, 1971 (trad Maodez Glanndour, directement sur le grec), peurunvañ
    Leor Overenn, Minihi Levenez, 1997 (trad Job an Irien), skolveuriek
    An testamant nevez, Kelou mad Jezuz or Zalver, Minihi Levenez 2022 (trad. Guichoù, directement sur le grec), skolveuriek

    …ils se mirent à parler en d’autres langues… /
    … en em lakaat a rejont da gomz e yezhoù all … (Oberoù an Ebestel 2,4)
    … e stagjont da gomz e yezou all…
    … e stagjont da gomz e yezou all…

    …chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient.
    …dre ma kleve pep hini anezho an ebestel o komz en e yezh e-unan. (Oberoù an Ebestel 2,6)
    …pép hini a gleve anezo o komz en e yéz dezañ.
    …pep hini o c’hlev o komz en e yez e-unan !

    …chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ?
    …pep hini ac’hanomp a glev anezho er yezh ez omp bet ganet enni ? (Oberoù an Ebestel 2,8)
    …pep hini ahanom e yéz e vamm ?
    …pep hini ahanom d’o c’hleved e yez or bro-hinidig ?

    …nous les entendons parler dans nos langues…
    …klevout a reomp anezho o tiskleriañ en hor yezhoù.. (Oberoù an Ebestel 2,11)
    …ni o c’hlev o tiskleriañ en or yéz….
    …o c’hlevom o tisplega, en or yezou…

    .2 Remarque technique et culturelle (français/breton)

    La traduction liturgique en français utilise deux mots : langue(s), dialecte(s). Parfois avec redondance (Ac, 2, 8).

    Les traductions bretonnes proposées ici, effectuées directement sur le grec pour deux d’entre elles, utilisent deux graphies très proches: peurunvañ (enseignement, édition) et skolveuriek (subsiste dans l’édition religieuse).

    Sur le fond, un seul mot est utilisé : yezh ou yez (pluriel yezhoù ou yezou). Ce mot traduit le français langue (au sens système linguistique).

    Remarque sémantique : quand il s’agit de l’organe physiologique, le breton possède un terme distinct : teod, pluriel teodoù. « ….teodoù evel teodoù-tan…» (Oberoù 2,3) / « …des langues qu’on aurait dites de feu… » (Ac 2,3)

    La traduction liturgique française semble mal à l’aise quand il s’agit d’évoquer le concept de « langue ». Dans les phrases citées, elle ajoute et/ou mélange avec la notion de « dialecte ». Le traducteur français révèle ici, à l’évidence, le schéma culturel, voire politique, sur lequel il s’appuie.

    En clair, le traducteur français induit suspicion et mépris chez le lecteur de culture française en utilisant deux termes (« langue », et « dialecte »), ce qui, selon le trégorrois Maodez Glanndour, ne figure pas dans le grec d’origine, puisqu’il utilise un seul terme (« yezh », pluriel « yezhoù »). Maodez Glanndour est un traducteur précis et rigoureux dans ses traductions scripturaires (Nouveau Testament). Les deux autres traducteurs (Job an Irien et Guichou, deux bretonnants natifs) font de même, en utilisant volontairement le seul terme « yez » (pluriel : « yezou »). Il existe bien sûr un terme en breton pour traduire la notion de dialecte.

  2. Les lectures du Leor Overenn ne sont pas de Job an Irien mais de Kenvreuriez ar Brezoneg (c a d essentiellement PY Nedelec, Fave, Guichou, Job Seite…)

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