Le Paysan breton dans la peinture réunit un ensemble de plus de cent cinquante œuvres représentatives de la vision d’artistes bretons et d’ailleurs sur le monde rural au cours des XIXe et XXe siècles.
Les Editions COOP-BREIZH, en collaboration avec le Musée du Faouët, ont publié il y a peu un excellent livre intitulé LE PAYSAN BRETON DANS LA PEINTURE, un thème éminemment source d’inspirations, de poésies … et de nostalgies. Les auteurs, Denise Delouche, Anne Leroux-Le Pimpec, Jean-Marc Michaud et Christian Bellec, dans une promenade à travers 80 tableaux : portraits, vie quotidienne, paysages nous invitent à la découverte d’un monde, d’une civilisation, d’une identité qui n’est, évidemment, plus (1).
L’essentiel de ces admirables peintures sont de la seconde moitié du 19e siècle et de la première moitié du 20 ème, époque où bien des artistes, mais aussi des écrivains, des musiciens, des historiens présageaient que ce monde rural breton, cette Bretagne si pittoresque, très différente de la France, était un monde en sursis, qu’il importait d’en fixer les paysages, les instants éphémères du quotidien profane et religieux. Cette langue bretonne si particulière, tous ces costumes chatoyants qui, jeunes ou vieux, magnifiaient les visages, faisaient de la plus humble paysanne une princesse n’avaient pas vocations à êtres éternels. Nous pouvons retrouver cette angoisse magistralement exprimée dans Derniers reflets à l’Occident d’André Chevrillon de l’Académie Française (1925). Il avait perçu que ce monde en osmose avec la nature, la foi ne pouvait que disparaitre.
Tous ces observateurs, qui déjà font un travail d’ethnologue, déplorent que « ces paysans n’aient pas la même conception qu’eux de leur environnement. Savent-ils seulement que ses vieux meubles, qu’il ne défend pas assez contre l’avidité des marchands et la passion des collectionneurs sont imprégnés d’un charme qu’on ne rencontre nulle part ailleurs au même degré ? »
Effectivement, dans ces années 1920, la société bretonne a tellement été en tous points bouleversée par la première guerre mondiale, qu’il ne reste plus de cette Bretagne vraiment bretonne par sa langue, ses traditions propres que des bribes ; la société « d’avant » est entièrement rejetée. Ce monde rural qui fascine tant les peintres (Ecoles de Pont-Aven, du Faouët, entre autres), et les poètes vit donc ces dernières années. Moins de trente ans plus tard, la seconde guerre mondiale jouant, comme la première, un rôle d’accélérateur de nivellement, de francisation, de séduction pour toutes les modes étrangères, va au tournant des années cinquante-soixante disparaître : paysages, costumes, mobiliers, langue, pratique religieuse.
Nous ouvrons donc ce livre avec le même regard que l’on peut avoir en ouvrant un livre sur les mondes antiques disparus, le Moyen-Âge ou d’autres siècles. Nous admirons ce qui n’est plus, et qui ne pouvait, sous les assauts de la modernité, que disparaître et rejoindre les musées et leurs archives. Mais nous sommes en droit aussi de nous interroger : tout était-il vraiment appelé à mourir ? Ce n’est pas si certain, à commencer par la langue, les paysages et bien des monuments, y compris les costumes qui dans une adaptation modernisée pouvaient perdurer (2). La course au progrès justifiera tous les abandons.
Nous remarquerons aussi que si le monde rural ancien a été source d’inspiration, il ne semble pas que le monde rural moderne le soit, car la poésie, tout un art de vivre, y compris dans le domaine de la foi (pardons, entre autres), ont disparu, ont été déracinés avec les chênes multi-centenaires et arasés avec les talus (remembrement).
1) Le Paysan breton dans la peinture. Editions Coop-Breizh. 30 €.
2) La mode Giz Ar Vro : créé par Herry Caouissin, pour enfants et adultes, et qui n’avait pas vocation à se substituer aux costumes traditionnels bretons, mais à proposer des versions modernes propres à être portées dans la vie quotidienne, pour conter les modes de Paris. Cette tentative connaitra, entre les années 1937-1943, un réel succès, notamment dans les écoles catholiques, pour les mariages. La Libération tuera net cette expérience d’un renouveau. On peut dire que Herry Caouissin a été l’initiateur d’une modernisation du costume breton pour l’adapter à la vie quotidienne.