Les fontaines guérisseuses : quand les saints se taisent

Amzer-lenn / Temps de lecture : 3 min

fontaine guérisseusePendant des siècles, les fontaines guérisseuses ont été des lieux de foi intense, de recueillement et d’espérance. Disséminées dans les campagnes bretonnes, souvent à proximité des chapelles, ces sources étaient réputées pour leurs vertus thérapeutiques. On venait y chercher la guérison, non pas tant dans l’eau elle-même, mais dans l’intercession du saint ou de la sainte à qui la fontaine d’origine parfois pré-chrétienne avait été consacrée : saint Hervé, sainte Anne, saint Roch, saint mélar ou encore Saint Méen. Chaque fontaine avait sa spécialité : l’une pour les maladies de peau, une autre contre la surdité, une autre pour les maux d’yeux, une autre encore pour les troubles mentaux…

Aujourd’hui, ces fontaines ne sont plus guère fréquentées. Elles subsistent dans les paysages comme des traces d’un autre temps, réveillées à peine une fois l’an, à l’occasion d’un pardon local où l’on procède à une bénédiction symbolique de l’eau dont sont aspergés les pardonneurs. Mais plus d’actes de foi individuelle, plus d’invocations directes pour une guérison. Pourquoi ce désintérêt ? Les anciens auraient-ils été dupes d’une croyance naïve ? Ou bien a-t-on, avec le progrès, perdu quelque chose de précieux ?

Une foi incarnée dans le territoire

Les anciens n’étaient pas bêtes. Loin des dogmes imposés d’en haut, leur foi s’inscrivait dans un lien profond avec la nature, le paysage, et la mémoire collective. Aller à la fontaine, c’était faire un acte de foi concret, un déplacement physique, un geste de confiance. Les rituels (se laver avec l’eau, accrocher un vêtement à un arbre proche, dire une prière au saint) reliaient le corps et l’âme. Loin d’être une superstition vide, ces gestes traduisaient une spiritualité incarnée.

L’abandon progressif de ces fontaines peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Le recul de la pratique religieuse, bien sûr, mais aussi une certaine rationalisation de la foi. L’Église elle-même, souvent méfiante face à des pratiques jugées trop populaires, a contribué à les marginaliser. La médecine moderne, plus efficace dans bien des cas, a aussi relégué ces lieux au rang de curiosités folkloriques. Enfin, notre rapport au sacré s’est transformé : l’homme contemporain, plus individualiste, prie moins les saints et attend davantage de solutions immédiates que de guérisons mystiques.

Une mémoire à ranimer ?

Pourtant, il serait réducteur de considérer ces fontaines comme des vestiges inutiles. Elles témoignent d’un rapport au monde où le spirituel et le corporel étaient liés, où l’homme et la nature ne faisaient qu’un, où la guérison passait aussi par une forme d’humilité : se tourner vers plus grand que soi, demander sans exiger. Elles rappellent que la foi pouvait s’exprimer de manière simple, ancrée dans le geste, dans l’eau, dans le lieu.

On pourrait rêver d’un retour à cette foi populaire, non pas en opposition à la médecine ou à la science, mais en complément : comme une reconnaissance que la guérison est aussi une quête de sens. Redonner une place à l’invocation du saint, ce n’est pas régresser, mais renouer avec une tradition millénaire qui faisait de la nature un espace de dialogue avec le divin, sur les pas du dit saint.

Les fontaines guérisseuses ne vivent aujourd’hui que par l’écho lointain des pardons, comme si elles avaient été réduites au silence. Mais leur eau coule encore. Peut-être attend-elle simplement que l’on se souvienne qu’un jour, par l’intercession des saints, elle a guéri, non pas seulement des corps, mais des âmes. Rappelons-nous en lors des pardons que nous fréquenterons durant l’été.

À propos du rédacteur Stella Gigliani

L'une des touches féminines d'Ar Gedour. Elle anime en particulier la chronique "La belle histoire de la semaine".

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