Artiste musicien, on ne présente plus Roland Becker, ce virtuose des instruments à vent qui n’hésite pas, tout en restant enraciné dans une tradition ancienne, à expérimenter les sons pour offrir des oeuvres contemporaines qui démontrent une dynamique dans la tradition.
Il y a plusieurs mois, Roland me contacte pour me poser quelques questions. « Je prépare un livre sur les soeurs Goadec » me dit-il. Vu l’importance de son précédent ouvrage sur Joseph Mahé, j’avais hâte de lire le résultat et c’est (presque) sans surprise que j’ai découvert l’opus qu’il a consacré aux trois chanteuses bretonnes : comme à son habitude, il dévoile une somme très complète de 350 pages, très documentée, à la fois riche en informations, en anecdotes ou en photos qui invite à connaître un peu mieux celles qui ont bercé un grand nombre d’artistes lors du revival des 70’s et après. Roland explique ainsi comment ces femmes, qui chantaient occasionnellement pour les événements familiaux, ont dû remplacer au pied levé un artiste malade lors d’un fest-noz à Treffin, non loin de Carhaix ; c’est cette soirée de 1956 qui sera le point de départ d’une épopée qui les mènera jusqu’à Paris…
Les soeurs Goadec deviennent peu à peu une légende, au carrefour d’une quantité d’artistes ou d’artistes en devenir, ceux qui, à l’instar de Roland Becker, les croiseront au Festival de Cornouaille et en bien d’autres lieux. Ar C’hoarezed Goadeg, ce sera une voix particulière d’un trio que beaucoup apprécieront. Gamin, c’est Gousperoù ar Raned (les vêpres des grenouilles) qui m’aura marqué de leur répertoire. Mais j’avais beaucoup de mal avec ce style particulier. Ce seront les samples d’Alan Stivell (qui était proche d’elles) dans son album 1Douar et des artistes tels que Yann-Fañch Kemener ou Denez Prigent qui m’auront réconcilié avec ces voix. J’ai depuis appris à les savourer.
Roland Becker, qui avait déjà fait des clins d’oeil aux soeurs du Kreiz Breizh (Er Roue Stevan) continue cette oeuvre pour que les générations à venir puisse mieux cerner celles qui, avec d’autres tels que les Frères Morvan, ont ouvert des chemins de terre pour offrir un sentier musical dans lequel chacun peut cueillir les fruits qu’il recherche. Que ce soit dans la musique dite traditionnelle ou pour aller plus loin dans la composition, la recherche, l’interprétation, l’expérimentation. De la DJ Miss Blue (Bleunienn Louarn) aux Ramoneurs de Menhirs, de Red Cardell à Pat O’May en passant par le Celtic Social Club ou les précédents évoqués (pour ne citer qu’eux), nombreux sont ceux qui puisent leur inspiration auprès d’un trio devenu monument national.
Roland Becker se pose ici comme ethnomusicologue, mais surtout comme passeur de mémoire et transmetteur d’un patrimoine immatériel. Et son opus, édité chez Ouest-France, nous livre ainsi ce qui peut être un de nos si nombreux contes de féérie : passer d’un monde paysan à vedettes de music-hall, de chanteuses de fest-noz à ambassadrices de Bretagne, de l’ombre de Treffrin aux lumières des multiples scènes qu’elles écumeront.
Les soeurs Goadec, de Roland Becker, ce n’est pas une simple étude sur un phénomène. C’est une histoire accessible à tous, à partager auprès de tous ceux pour qui la matière de Bretagne importe. Noël est bientôt, voilà une idée de cadeau à offrir ou à s’offrir !
Je commande l’ouvrage en cliquant ici
Petit lapsus : le disque de Roland Becker n’est pas consacré au « Roue Morvan », qui se révolta contre l’empereur Louis Le Pieux en 818, mais au « Roue Stevan », prophète mendiant du pays vannetais au XVIIème siècle.
Effectivement… Correction effectuée.
Voilà ce que c’est d’écrire un article au lieu d’aller dormir. Merci pour votre vigilance
Entre copains: Roué Srévan, XVIIIème siécle . Ca fait du bien de se retrouver entre intellos bretons! Genoh aveid er Vro!
Et j’en oubliais de souligner l’apport polymorphe de Roland Becker à la culture bretonne…