La période de confinement qui a pu donner du temps à certains pour retourner à l’essentiel a été aussi pour nous très chargée. Nous avions commandé aussitôt un article à l’un de nos collaborateurs, mais ce n’est qu’aujourd’hui que nous publions cet article d’Yvon Abgrall (complété par Eflamm Caouissin sur l’aspect « magicien ») sur le dernier des frères Caouissin décédé le 2 avril dernier. Lui aussi, comme bien d’autres a eu des funérailles en comité restreint.
Né en 1922 à Pleyber-Christ, Pierre Caouissin – Perig pour le cinéaste breton qu’il fût – est décédé le à l’âge de 97 ans. Il était le plus jeune de la fratrie des «Frères Caouissin», bien connus des milieux culturels, politiques et religieux bretons pour leur militantisme à toutes épreuves, et toujours fidèles à leur idéal Feiz ha Breiz. Pierre Caouissin, contrairement à ses deux frères aînés, Herry et Ronan ne sera pas ce qu’on appelle un « militant breton », au sens d’un activisme débordant … d’activités politiques, culturelles ou autres. Sa part sera plus discrète, mais innovante. Comme ses frères, dans sa jeunesse, il sera un passionné de la photo, et surtout du nouvel art cinématographique, au point qu’il en fera son métier.
Pionnier du cinéma breton
Quoi qu’en disent aujourd’hui les nouvelles générations du cinéma breton (encore convient-il de savoir ce que l’on entend par « cinéma breton ») Perig Caouissin en fut un pionnier, d’abord avec ses frères puis en solo. Certes avant eux, il y eu des cinéastes de grand renom, tels Jean Renoir ou Jean Epstein pour porter à l’écran la Bretagne, mais aucun d’eux n’ont eu la prétention de « faire un cinéma breton ». Ils se servaient de la Bretagne comme décor pour des sujets mettant en scène des Bretons, des traditions bretonnes, comme « Dieu a besoin des hommes » de Jean Delannoy(1), « L’or des mers », « Le Tempestaire », « Chanson d’Armor » de Jean Epstein. D’ailleurs, Pierre Caouissin, qui depuis 1948 a adhéré au Club des cinéastes amateurs de Brest, se fait le propagandiste du film de Jean Delannoy, et c’est donc au sein de ce Club que sa passion du cinéma va trouver son épanouissement. Il va y réaliser quelques courts métrages, dont « Elorn, rivière de légendes et de poésies », sous le pseudonyme de « Pierka » (Pierre Caouissin), pseudonyme qu’il utilisera aussi en tant que magicien amateur. Devant le bon accueil de ses modestes films, encouragé par l’obtention du 1er prix régional du film documentaire, il achète en 1951 une caméra de professionnel (Bel Howels 16 mm). Comme ses frères, il souhaite passer à l’étape supérieure et réaliser un véritable film dont la Bretagne leur fournirait des choix infinis : ce sera en 1952 la création de l’association Brittia-Films.
- Lire notre article sur le film « Dieu a besoin des hommes ».
Dans ces années très dures d’après-guerre, surtout pour tout ce qui était breton, il fallait y croire pour porter à l’écran des œuvres bretonnes, d’autant que le culturel suscitait autant de méfiance que le politique. Il fallait avoir de solides convictions pour croire qu’une « Histoire religieuse et bretonne », l’histoire de la basilique de Notre-Dame du Folgoët, serait un sujet propre à enthousiasmer les foules. Aussi, c’est donc bien un acte militant qui anima constamment les Frères Caouissin, dont Pierre.
Avec Brittia-Films des Frères Caouissin, nous sommes pleinement dans du cinéma breton. Périg, en sera l’unique caméraman, et ses prises de vues témoigneront d’un grand sens de l’image. Beaucoup de scènes du film « Le Mystère du Folgoët » s’apparentent à de véritables tableaux, notamment lorsqu’il s’agit de « saisir » les expressions des visages des acteurs dans leurs rôles respectifs. Si Le Mystère du Folgoët a été considéré par les grands du cinéma de cette époque comme un chef-d’œuvre, on le doit au sens artistique de Périg Caouissin. Puis il y aura Le meilleur de ma jeunesse, inspiré par les souvenirs d’enfance de Théodore Botrel, La lune de Landerneau, Morizet, Bleun-Brug, Autour du Blavet, Viviane et Merlin, Le camp de Conlie.
- Lire notre article sur le film « Le mystère du Folgoët ».
Malheureusement, sa carrière cinématographique s’achèvera avec la fin de l’aventure Brittia-Films en 1955. Il se mariera à la script-girl rencontrée sur le tournage du Mystère du Folgoët, Thérèse Kerboul (avec qui il aura une fille) et se lancera professionnellement dans la photographie. Après plusieurs expériences professionnelles, il créera son propre studio à Lannilis. Il exercera pendant 22 ans avec son épouse jusqu’à sa retraite.
Un magicien reconnu de ses pairs
Il est une autre activité qui passionna Pierre Caouissin, la prestidigitation. Il exerça cet art, non pas en professionnel, mais en amateur, non au sens réducteur de l’appellation, mais de … professionnel éclairé et talentueux. Il aura vécu presque un siècle d’histoire de la magie et vu son évolution.
Il débutera à Pleyber-Christ avec Al Rex, magicien de Loire-Atlantique. En 1942, il intègre l’Association Syndicale des Artistes Prestidigitateurs (ASAP), ce qui le met en contact avec des artistes reconnus tels que le Dr Jules Dhotel, Robelly, Rezvany, Treborix… Autant de noms que les illusionnistes attachés à l’histoire de la magie connaissent aujourd’hui.
En 1944, il tentera de lancer le Cercle Magie Bretagne. L’époque n’étant pas propice à ce type d’initiative, ce projet sera repris plus tard par d’autres. Il lancera en 1994 la lettre Presti XXème, publication artisanale très intéressante retraçant l’histoire de la magie sur la première moitié du XXème siècle qu’il enverra à beaucoup de magiciens. En 1994, il diffusera un documentaire sur l’histoire de la Magie d’une excellente qualité, selon une publication. Il demeure à ce jour un artiste qui en aura marqué bien d’autres, en témoignent les nombreux témoignages reçus de la part de magiciens connus et moins connus. Plus jeune, Pierre a fait ses études chez les Pères Salésiens, les fils de Don Bosco, aux Ponts-de-Cé (Anjou). Don Bosco est considéré aujourd’hui comme le saint patron des magiciens. Nul doute que celui-ci aura accompagné Pierka sa vie durant.
Une autre passion le mena à se faire collectionneur de… bénitiers. Il en avait réunis plus d’une centaine, qui allait du sujet le plus rare au plus banal, et qui chez lui couvrait un mur entier. Il aimait à faire remarquer que tous ces objets avaient une autre valeur que vénale, qu’ils avaient la valeur de la Foi, du beau et du sacré, parce que tous avaient une histoire particulière liée aux joies et aux peines de ceux qui avant lui les avaient possédés. Et avec un brin de regret, il ajoutait que chacun de ces bénitiers, lorsqu’ils étaient chez des gens, à une époque où presque toutes les familles avaient un bénitier à l’entrée de leur maison, étaient des objets qui vivaient de la foi, de la prière. Chez lui, ils n’étaient plus qu’objets de collection, disait-il.
Si nous avons tenu à lui consacrer ce modeste article-hommage, c’est assurément par ce que son œuvre bretonne en tant que caméraman de Brittia-Films aura été une étape importante de sa vie. C’est d’ailleurs sur les plateaux de tournages qu’il fit la connaissance de celle qui allait devenir sa femme, celle qui dans le Mystère du Folgoët tient le rôle d’Anne de Bretagne et nous l’avons dit, de script. C’est sur ces plateaux qu’il s’inscrira ainsi dans les pionniers du film breton. Quant à tous ceux qui apprécièrent ses talents de prestidigitateur, qui lui doivent pour certains d’être devenus eux-mêmes magiciens, ils sauront apprécier ce modeste hommage…
Plus effacé que ses frères, il partira pour le Paradis breton dans cette discrétion, rejoignant son épouse décédée en 2018. Kenavo deoc’h, Perig.
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Photos archives Ar Gedour (DR)