e dimanche, nous nous sommes rendus sur l’événement « Pibroc’h en bord de mer » proposé à Cancale chaque troisième dimanche de septembre depuis 12 ans. Le samedi, c’était masterclass, animé par Hervé Le Floc’h, penn-soner du bagad Cap Caval, cours auquel participaient une vingtaine de sonneurs de piobaireachd, cette musique classique pour grande cornemuse. Le lendemain, les pipers se retrouvaient pour jouer sur la grande falaise où se trouve le monument aux morts, face à l’océan et au Mont Saint Michel, présentés par Loïc Denis, facteur d’anches de Lanester (56). Environ 175 personnes étaient présentes au matin, découvrant ce type de musique ou aficionados. Elles ont pu notamment entendre Jimmy McIntosh, spécialement venu des USA mais originaire des environs de Dundee ; il est considéré comme un maître en matière de piobaireachd. Et à 91 ans, il assure, le bougre !
La suite se déroulait dans la crique de Port Picain, à la superbe vue là encore, les pipers se succédant dans une ambiance bon enfant, présentés cette fois par Jakez Pinset, enseignant, spécialiste de la cornemuse écossaise, et de la musique classique écossaise en particulier. C’est l’un des pionniers de cette musique en Bretagne, qu’il pratique depuis les années 1950.
Tandis que grillent les galettes-saucisses et que la bière se laisse servir, s’assoient à notre table Patrick Molard et Eric Freyssinet, qui nous expliquent avec passion ce qui les fait vibrer dans cette musique si particulière. Car pour certains, cette musique n’attire que les connaisseurs et plus spécialement les connaisseurs âgés. Mais « Pibroc’h en bord de mer« , c’est non seulement une rencontre intergénérationnelle de passionnés, mais un événement permettant de vulgariser cette musique méconnue et pourtant si prenante, événement dans lequel se côtoient ces solistes de grande cornemuse écossaise, un public averti et des gens qui à l’occasion la découvrent.
Nous avons ainsi eu la surprise d’entendre aussi, parmi les 34 musiciens intervenant sur cette journée, des jeunes de moins de 25 ans issus de bagadoù (Penhars, Auray, Cap Caval) ou élèves de maîtres du genre. Ici, les morceaux ne sont pas juste interprétés. Ils sont vécus.
C’est pourquoi l’apprentissage nécessite de maîtriser le canntaireachd (jeu de chant), système de mémorisation des piobaireachd utilisé avant que n’apparaissent les partitions. Ce système est de moins en moins utilisé à l’image et en parallèle de la langue Gaélique… C’est une sorte de langage articulé, reproduisant les sons de la cornemuse et basé sur un système particulier d’utilisation de voyelles et de consonnes comme guide d’utilisation pour chaque notes ou groupe de notes. Les voyelles représentant les notes de la mélodie, et les consonnes les ornementations des plus simples aux plus complexes. Ce sont des mots sans signification qui tendent à être «onomato-poétique». De là à parler de « chants en langues ».
Comme nous le confiera pourtant l’un des participants au masterclass, cette partie de mémorisation est essentielle car elle permet de se laisser saisir par « l’âme » de cette pièce, que ce soit un lament (cumha), un salute (failte) ou un gathering…
Tha am port-à coileanadh pìobaireachd nach eil cuimhne Gregorian fuinn, aig a bheil an comas a thoirt dhuinn sealladh fhaighinn air oisean pàrras, a thoirt dhuinn air ais gu a chruthachadh, ach cuideachd tionndadh ar coimhead gu Nèamh. Tha cumhachd a ‘phìob an uair sin ag iomadachadh an comas seo gus an cèill a’ cheangal eadar nèamh agus talamh, mar leabhar le Pàdraig Molard ann an ceòl as ùire album aige agus a ‘sealltainn Cheòl Mòr.
L’interprétation vocale d’un piobaireachd n’est pas sans rappeler les airs grégoriens, qui ont cette capacité à nous laisser entrevoir un coin de paradis, à nous ramener à la Création mais aussi à porter notre regard vers le Ciel. La puissance de la cornemuse décuple alors cette capacité à transmettre ce lien entre ciel et terre, comme nous le livre en musique Patrick Molard dans son dernier album et spectacle Céol Mor.
A l’image de la Gwerz bretonne, le piobaireachd raconte une histoire. Mais celui-ci, exempt de paroles, se nourrit de drame et de bravoure guerrière, de mythes et de héros. Cette grande musique des hautes terres d’Écosse porte en elle la mémoire d’un monde. Comme nous le disions dans un précédent article sur Ar Gedour :
« Le pibroc’h, c’est l’âme musicale de l’Ecosse qui se révèle au gré des notes égrenées par les pipers ».
More than a musical genre, it’s an art, a form of poetry, with notes instead of words, which depicts the world of ancient clans. But even more, each musical piece is a painting, a story whose notes unfold in our ears like the colors emerge and metamorphose under the brushes, in a scheme rooted in the land of the Highlands and rising to the sky with a return to the land, for which changes highlight various feelings and emotions based on the mentioned topic. We have no Highlands but the beauty of Brittany serving as backdrop to piobaireachd benefits can only help to plunge into their world.
Plus qu’un genre musical, c’est un art, une forme de poésie, avec des notes plutôt que des mots, qui dépeint l’univers des anciens clans. Mais plus encore, chaque pièce musicale est un tableau, une histoire dont les notes se déploient à nos oreilles comme les couleurs surgissent et se métamorphosent sous les pinceaux, dans un schéma s’enracinant dans la terre des Highlands et s’élevant vers le ciel, avec un retour à la terre, dont les variations font ressortir divers sentiments et émotions en fonction du thème évoqué. Nous n’avons pas de Highlands mais la beauté des côtes bretonnes servant d’écrin aux prestations de piobaireachd ne peuvent qu’aider à plonger dans leurs univers.
Musicalement, un piobaireachd est construit sur un schéma qui obéit à des règles précises, dont la structure n’est pas sans rappeler celle de la sonate. Une ligne mélodique (urlar en gaélique/ground en anglais) et plusieurs variations de celle-ci, devenant de plus en plus complexes, mais tout en gardant la mélodie initiale en filigrane. Cette répétition incessante du même thème de base, quasi hypnotique, est agrémentée de variations et d’ornements de plus en plus chargés pour revenir finalement, sur le thème initial, pur, tel un entrelacs celtique qui ne s’achève jamais et vous fait entrer dans cette spirale qui semble sans fin. L’ensemble demande une grande précision d’interprétation et une grande dextérité. Une pièce de piobaireachd varie de 6 à 15 minutes voire 20 minutes. Les bourdons de la cornemuse parfaitement accordés, au son continu, accentuent cet effet incantatoire pouvant plonger l’auditeur dans une quasi méditation, amenant l’auditeur à une émotion forte sur laquelle je reviendrai à l’occasion sur Ar Gedour.
Si vous avez l’opportunité de vous rendre à ce type d’événement, à Cancale (Pibroc’h en bord de mer), Etel (Pibroc’h en Ria d’Etel), au festival Interceltique de Lorient (Trophée Mc Crimmon) ou ailleurs, n’hésitez plus. Allez-y !
Et peut-être un jour verrons-nous « Pibroc’h en Monts d’Arrée » durant lequel les pipers sonneront dans les herbes sèches et sur le granit des montagnes de Bretagne en faisant murmurer les bourdons sur le Yeun Elez, terre de légendes et de mystères ?
Pour en savoir plus sur le pibroc’h, cliquez ici. Photos Ar Gedour 2016 – Tous droits réservés.