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Quand les journalistes et commentateurs font du « Cardinal Sarah ‘s bashing »

Amzer-lenn / Temps de lecture : 6 min
cardinal sarah
Le cardinal guinéen Robert Sarah, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements. / M.MIGLIORATO/CPP/CIRIC/

Quand les journalistes et commentateurs chrétiens français (et peut-être ailleurs) se font le Cardinal Sarah, préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements.

Voici comment j’aurais pu titrer cet article.

D’un côté, vous avez des journalistes – chrétiens ou non, cathos ou non – qui, depuis l’élection du Pape François font preuve d’un ultra-montanisme exacerbé.

Alors qu’à l’époque de Benoît XVI ou de Jean-Paul II, les mêmes ne manquaient pas de montrer du doigt et de traiter de tradis ceux qui se référaient aux textes du successeur de Saint Pierre, et se moquaient royalement de la mise en application des normes ecclésiales, les voici aujourd’hui à vouloir montrer une déférence totale aux propos du Pape François, au point de mettre sur un même registre de simples propos livrés à l’emporte-pièce et le magistère.

Déférence totale, c’est vite dit puisque, pour ne prendre que ce simple exemple, un document signé de François qui invite à ne plus chanter les chants de paix au moment de la fraction du pain mais à chanter un « Agneau de Dieu / Agnus Dei » est restée lettre morte, du moins en de nombreux coins de France.

Quand on lit les commentaires et articles, nous nous apercevons que l’on est souvent bien plus dans de la papophilie – ou je dirai même francescophilie–  alliée à une méconnaissance ecclésiale que dans une vision raisonnée et documentée. Et cela se voit dès que l’on ose lever une petite objection sur tel propos du Pape, qui vous rend tout de suite coupable d’intégrisme aux yeux de quelques vestales d’une « Eglise ouverte sur le monde ».

De l’autre côté, vous avez des catholiques qui, ne comprenant pas toujours le Pape François (et c’est vrai qu’il est parfois difficile à suivre) qui crient haro sur lui dès que l’occasion se présente. Là, on arrive parfois dans de la francescophobie qui laisse tout autant songeur que dans le cas cité plus haut. Dès qu’on prend sa défense, on est suspecté de progressisme aux yeux de certains gardiens de l’Eglise « de toujours ».

Disons simplement que les ultramontains d’hier sont les gallicans d’aujourd’hui et inversement.

Pour en revenir à la question qui taraude actuellement le landerneau ecclésial, voici qu’il semble que le Pape désavoue le Cardinal Robert Sarah. Du moins si on en lit les médias cathos mainstream.

L’affaire ?

Cela concerne les traductions liturgiques qui sont désormais le lot des conférences épiscopales et non plus de Rome. Bon… c’est un peu plus compliqué que ça et le paroissien peut paraître bien largué sur la question. Pasqu’en fait, c’est pas « désormais », car c’était déjà « un peu » mais « pas trop », « pas complètement » mais quand même…

En bref, l’idée par le dernier Motu Proprio  du Pape François, est de rappeler que le Saint-Siège ratifie (confirme) les traductions préalablement approuvées par les conférences épiscopales. Il peut aussi les revoir, pour en garantir la fidélité. Le Motu Proprio « Magnum Principium » du pape François sur les traductions liturgiques opère une légère modification des formulations du Code de droit canon (C.I.C.) de l’Eglise catholique latine (canon 838 §§2 et 3). Il entrera en vigueur le 1er octobre 2017. Disons toutefois que cette légère modification peut être lourde de conséquences si cela ne se fait pas dans la fidélité requise.

Toujours est-il que les journalistes (et les commentateurs), arguant qu’il s’agit d’une nouveauté, encensent le Pape François qui ne fait que remettre en exergue ce passage de Sacrosanctum Concilium (donc Vatican II dont se réclament tant et tant sans en avoir lu les actes) disant dans SC 36 §3.  :

 

Pour faire court, disons qu’à la suite de nombreux abus, Jean-Paul II avait dû reprendre la main avec Liturgiam authenticam, le Saint Siège ayant le dernier mot sur les questions de traduction liturgique. Le Pape François redonne ici simplement aux conférences épiscopales cette possibilité de traduction, restant sauves les normes édictées par ledit Saint Siège. Certes, cela peut faire peur à certains au vu de la formation et des abus que l’on peut encore trouver dans de nombreux diocèses, mais prenons l’exemple du Missel Romain en breton. Il est bien évident que le principe de subsidiarité se pose dans ce cas comme bien d’autres.

Mais le propos de cet article n’est pas là. Il est dans la façon dont, d’une manière peu chrétienne, sont traitées les informations et le cardinal Sarah injustement jeté en pâture. Il nous paraît en effet sidérant de lire sur de nombreuses publications (comme La Croix  puis l’AFP et dans son sillage des journaux comme Le Figaro, pour ne citer qu’eux) que le « Pape François désavoue le cardinal Robert Sarah ». D’un côté, sur les médias plus « conservateurs », on a donc  « le cardinal Sarah désavoue le Pape François » et de l’autre plus « progressiste » on entend que  » le Pape François désavoue le cardinal Robert Sarah ». On peut aller loin…

Le cardinal Robert Sarah est considéré comme traditionaliste par de nombreux tradis eux-mêmes, tout comme par les progros, si je puis me permettre ces deux termes familiers. Les deux partis le cataloguent -volontairement ou non- dans un carcan qui n’est pas le sien, puisqu’il est juste « d’Eglise ». Pour celui qui le lit, sa vie est enracinée dans le Christ et dans son Eglise, et tous ses propos sont à lire dans ce sens. Nous-mêmes, sommes-nous capables de nous dire que notre vie chrétienne est si profonde que nous sommes capables de nous départir de toute idéologie dans l’expression de notre foi ? 

Le Cardinal Sarah n’a pas été à l’encontre du Pape quand il a dit que la ratification (confirmatio) « présuppose et implique un examen détaillé de la part du Saint-Siège, et la possibilité pour ce dernier de conditionner sine qua non la confirmatio à la modification de certains points particuliers qui pourraient être exigés par le fait qu’ils ne répondent pas au critère de “fidélité”». Il met en avant ce critère de fidélité, que nous avons évoqué plus haut, nécessaire à juguler certains abus qui ont fait florès depuis les 70’s. Le propos du cardinal ne fait que préciser les propos du Pape. Et ce dernier, si on lit bien sa lettre et ses propos sur la question, n’a pas recadré le cardinal Sarah, mais a précisé la précision… Tout cela sur une question qui n’a finalement rien de vraiment nouveau !

Il n’y a donc pas de recadrage, il faut le dire ! Ce sont les journalistes et commentateurs que l’on trouve sur tout le spectre médiatique et des réseaux sociaux, de ceux qui veulent se faire François à ceux qui veulent se faire Robert, qui mettent l’huile sur le feu, font de la mousse avec un rien et contribuent à ces clivages et à ces incompréhensions via ce qu’on peut clairement affirmer comme de la désinformation. Car si on lit correctement les textes, il n’y a clairement pas baleine sous gravillon.

 

 

À propos du rédacteur Tudwal Ar Gov

Bretonnant convaincu, Tudwal Ar Gov propose régulièrement des billets culturels (et pas seulement !), certes courts mais sans langue de buis.

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7 Commentaires

  1. à propos de la nouvelle version du « notre Père » : « et ne nous soumet pas à la tentation » va devenir, à compter du 3 décembre (1° dimanche de l’avent ») et de l’heure d’hiver (GMT + 2), « et ne nous laisse pas entrer en tentation »

    Ah ! la grâce et les œuvres !

    Le meilleur moyen pour faire disparaître la tentation n’est il pas d’y succomber ??

    Mathieu (6,13) et Luc (11,4) disent la même chose : « et ne nos inducas in tentationem » en latin qui traduit le grec : « kai mè eisenegkès hèmas eis peirasmos ». Je ne vois pas très bien ce que cette nouvelle traduction – du grec ou du latin ? – apporte. On demande à Dieu de ne pas nous « conduire dans » (inducere en latin) ou nous « porter vers » (eispherein en grec) – la préposition est répétée dans le verbe – la « temptation » qui est bien une mise à l’épreuve (du verbe latin « temptare »). C’est aussi le sens du grec peirasmos. du verbe grec peirazô.

    S’il fallait à tout prix changer ce qui se récite depuis des siècles, il eut fallu dire : « ne nous met pas à l’épreuve »

    • Ben oui… mais regardez : rien que le « panem nostrum quotidianum / notre pain quotidien (de ce jour) » est toujours aussi mal traduit puisque ne correspondant pas à la réalité donnée par le terme « epiousios »

      • la vulgate traduit « epiousios », adjectif substantivé qui semble qualifier « arton » – au sens de nourriture en général à base de galette de céréales – par « supersubstantialis » mais seulement chez Mathieu… Pour Luc epiousios n’est pas traduit .
        la prière liturgique, même en latin, n’a en effet, pas repris cette distinction mathéenne, spirituelle ou intellectuelle de la nourriture….
        En revanche, le terme « quotidien », de ce jour, me parait traduire convenablement le grec « sèmeron » (chez Mathieu) ou « kath’hèmeron » (chez Luc)
        En latin, Luc se répète : « panem nostrum quotidianum da nobis quotidie » mais le « quotidianum / quotidie » ne saurait traduire le grec « épiousios » qui a disparu chez lui lors de la traduction du grec en latin
        Le breton avec toi comment il dit ??

  2. Si l’on a peur de se tromper en utilisant la traduction française, il est toujours possible d’utiliser la traduction e brezhoneg (« Ha n’hon lezit ket da gouezhañ en temptadur, ») ou la forme plus liturgique en latin (« et ne nos inducas in tentationem; ») pour lesquelles il n’y a pas de débat linguistiques et qui se récitent également depuis des siècles. 😉

    Il est bon de rappeler de temps en temps le §36.1 de Sacrosanctum Concilium : « L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins. »
    Voilà la norme, la règle principale. Le reste, c’est accessoire.

  3. Pour ceux qui voudraient creuser, voici un lien qui dépasse le discours simpliste des médias, en allant plus profondément au coeur du sujet, avec une analyse intéressante : http://benoit-et-moi.fr/2017/actualite/le-pape-corrige-le-cardinal-sarah.php

  4. La prudence du Cardinal serait de dire davantage sa proximité avec le Saint Père, ce qu’il ne fait pas. Après, ce qui se dit dans les média n’a que peu d’importance pour nous, comme cet article qui en rajoute.

    • Didier, je ne crois pas que Tudwal ait voulu en rajouter par cet article. Ce qui se dit dans les médias n’a que peu d’importance pour vous, mais moi-même je croise des gens régulièrement qui accordent de l’importance dans ce que disent ces médias. Et justement ces fameuses oppositions erxacerbées par ces médias ressortent dans nos paroisses, alors même que si nous lisions plus ce que dit à la fois le Pape et ce que dit le Cardinal Sarah, nous nous rendrions compte des inventions médiatiques générant des tensions. L’article de Tudwal à mon sens permet de relativiser les choses, même s’il a son style un peu cash.

      Quant à ce que vous dites : « La prudence du Cardinal serait de dire davantage sa proximité avec le Saint Père, ce qu’il ne fait pas. » Permettez-moi de vous dire en exclusvité qu’à plusieurs reprises, le cardinal en a fait cas 😉

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