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[TEMOIGNAGE] Père Christian de Penfentenyo, missionnaire au Pérou

Amzer-lenn / Temps de lecture : 8 min

1508101_282884131886772_6715214586870873165_n.jpgLe père Christian de Penfentenyo est un prêtre français du diocèse de Tolède (Espagne) et missionnaire Fidei Donum dans la cordillère des Andes péruviennes. AR GEDOUR a voulu avoir son point de vue notamment sur la question de l’inculturation. Il nous le livre en brossant un tableau de la situation locale. 

 

Père Christian de Penfentenyo, vous êtes prêtre français, issu d’une famille très ancienne de la noblesse bretonne du Léon, et vous êtes missionnaire au Pérou. Pouvez vous nous en dire un peu plus sur vous et votre mission ?

 

Je suis prêtre du diocèse de Tolède (Espagne) et missionnaire Fidei Donum dans la Cordillère des Andes péruviennes depuis 2012, vicaire dans une paroisse implantée dans une région pauvre du Pérou, à 200 km de la capitale impériale, Cuzco, proche du célèbre Machu Picchu. Cette paroisse compte une quarantaine de petites communautés de villages paysans, situées entre 3 200 et 4 500 mètres d’altitude.

Nous sommes les héritiers en ligne directe de la mission des Jésuites. Quelques chapelles situées dans les hautes altitudes abritent encore les registres des baptêmes, avec la signature de ces missionnaires espagnols qui avaient fondé la paroisse dans les années 1780.

 

Comment êtes-vous accueilli là-bas  et comment se place l’Eglise dans la vie des gens ?

 

Depuis cette époque, la mission de l’Eglise a pu se maintenir. Donc l’accueil qui nous est réservé est bon, parce que l’Eglise fait vraiment partie du paysage, et ce, grâce aux premiers missionnaires. Évidemment, le manque cruel de vocation sacerdotale ne permet pas actuellement à ces populations de recevoir les sacrements de manière courante. A titre d’exemple, nous passons deux ou trois fois par an dans chacune des communautés de village. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes que deux prêtres, et que certains villages ne sont accessibles qu’au terme de deux ou trois heures de marche. Et enfin, parce que nous privilégions le plus grand village de la paroisse, qui compte quelques 2 500 jeunes et enfants, sur une population totale de 8 000 habitants.

En revanche, nos passages dans les communautés de villages sont conséquents. Nous restons quelques jours sur place, nous faisons les préparations au baptême et au mariage, nous célébrons la messe, récitons le chapelet, visitons les malades et tâchons de confesser la majorité. C’est une remise à niveau sacramentelle en somme !

 

Quel est l’état de la société actuelle et celui de la foi chrétienne dans cette région ?

 

Le contexte social, ici, est en pleine mutation, que certains appellent volontiers « contexte de progrès ». Je crains que, sous prétexte d’ « adaptation à la modernité », on soit en train de passer une couche de vernis sur un bois qui n’a été ni traité ni poncé : ça craquelle de partout ! Par exemple, les cas de schizophrénies, jusque-là inconnus, deviennent curieusement fréquents.

Et puis notre voisinage avec la mine de cuivre et d’or n’est pas sans conséquence non plus. Nous sommes en train de vivre une confrontation belliqueuse sans précédent. Dix mille habitants de nos villages se sont soulevés la semaine dernière contre la Mine. L’affrontement a coûté la vie á six personnes, officiellement, puisque on parle de cinq autres morts parmi les paysans. Pourquoi cette insurrection soudaine après cinq ans de présence minière ici ? Eh bien du jour au lendemain, la Mine a installé un régime de vie matérielle et sociale jusque-là méconnu, qui a profondément bousculé la vie de nos gens. Les gens de la zone minière ont bénéficié d’une compensation faramineuse (c’est le cas de le dire), sous les yeux des populations qui se trouvent juste à la périphérie de cette zone, qui, évidemment n’ont rien perçu comme compensation. Pour donner un ordre de grandeur, il y a eu des indemnités à hauteur de 400.000 dollars pour les quatre cent familles qui ont dû être déménagées ! Le jour-même du déménagement, nous avons assisté avec peine à la destruction au bulldozer de chaque petite maison de pierre et de toit de chaume. Une longue page d’histoire humaine, familiale, culturelle et religieuse… broyée au tractopelle ! Je pense que nous avons là un exemple parfait de ce qu’est le néo-colonialisme.

Au plan des mœurs chrétiennes, on se rend bien compte que les gens sont en train de faire l’expérience d’une nouvelle vie qui comble un certain nombre d’aspirations humaines, certainement légitimes d’ailleurs. Comme la plupart « ressentent » moins le désir de l’Eglise et des valeurs de l’Evangile, la fréquentation et la pratique des sacrements dessinent une courbe descendante… Jadis, la paroisse était la seule institution qui offrait des espaces de jeu, des activités culturelles et sanitaires pour enfants et moins jeunes, mais l’effet toboggan faisait qu’il n’y avait qu’un pas à faire entre les salles de jeux et les sacrements. Maintenant, on n’a plus besoin de la paroisse, ni des sacrements, ni des activités religieuses. La mission à cheval, la mission florissante, les processions assez folkloriques (reconnaissons-le) : à présent, tout cela fait partie des souvenirs que les missionnaires ont emportés avec eux en maison de retraite.

Je ne pense pas que cette petite synthèse personnelle soit trop simpliste. Soulignons que ce qui reste enthousiasmant, c’est de vouloir rester soi-même dans un tel contexte, de vouloir demeurer une « humanité surprenante et chrétienne, qui provoque une interrogation, une rencontre et une conversion » (Dom Luigi Giussani).

 

Nous sommes particulièrement attachés à une certaine inculturation de la foi et à la prise en compte des cultures locales pour mieux évangéliser. Quelle est votre analyse suivant ce que vous vivez dans votre mission ?

 

Il est indéniable que la culture et l’histoire inca font partie de la fierté régionale de notre contrée. Maintenant, faisons la part des choses : vous trouverez des rites incas entretenus de manière complètement artificielle dans la région touristique de Cuzco et du Machu Picchu. Nous sommes nous-même loin de ces routes, beaucoup plus proches de la réalité et de la vie des descendants actuels des Incas, et nous n’y voyons pas ce qu’on laisse entrevoir aux touristes. Moyennant quoi, la révérence envers la terre et le soleil reste très ancrée dans la culture. Il ne s’agit plus d’une révérence incarnée dans une liturgie, mais plus dans les réflexes rituels. On ne boit pas la première gorgée de son verre de vin, de bière ou de chicha sans laisser tomber au sol quelques gouttes… en reconnaissance envers la « Pacha Mama », la Terre-Mère.

Notre travail missionnaire consiste aussi à évangéliser ces réflexes que je trouve personnellement beaux, parce qu’ils maintiennent le sens du sacrifice, c’est-à-dire de laisser une portion de ce qui nous revient à celui dont il provient ! Sans dramatisation, nous faisons les mêmes gestes que nos gens, mais nous l’offrons explicitement au Créateur de qui provient tout don… même la bière !

 

Qu’entendez-vous par « évangéliser les réflexes » ?

 

Eh bien, lorsque l’an passé nous participions à un rite paysan que l’on appelle le « pago a la tierra » (impôt à la terre), qui consiste à manifester sa reconnaissance à la nature pour les fruits qu’elle a su tirer des labours, non seulement on y assiste, mais je me permets à la fin de prendre la parole pour valoriser cette attitude paysanne et faire remarquer qu’il a manqué quelque chose d’essentiel à cet acte de reconnaissance : l’invocation à l’endroit du Créateur du soleil, de l’eau et de la terre. Alors j’invite à prier le Notre-Père et je poursuis avec la prière des rogations, prière de l’Eglise prévue justement pour ces circonstances où l’on demande à Dieu de bénir la terre et les semailles.

Vous imaginez bien que, l’année prochaine, ils reprendront leur chicha, leur feuille de coca et leurs invocations… mais je ne doute pas que, par osmose et à force d’être présent, tout peut basculer, un jour ou l’autre, du côté de la prière de l’Eglise. Pour notre part, c’est une question de patience, de méthode d’éducation aussi, et d’abandon à la grâce que Dieu voudra bien donner pour que quelque chose se passe.

Quant à la place que prend ce rapport à l’ancienne religion, en réalité, nos gens sont beaucoup plus assaillis par les sectes évangéliques que par le goût de « l’ancienne religion inca ». Mais pour nous, cela ne change pas grand-chose ! Nous sommes là pour vivre en première personne l’imitation du Christ, les valeurs de l’Evangile, et ensuite les prêcher.

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD".

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