Régulièrement, nous exhumons de nos archives des textes que les nouvelles générations ignorent. La question est de savoir à la lumière de ces documents ce que nous avons fait de ce que nous ont légué nos aîeux. Le texte que nous vous proposons ici est tiré de Bro Guened d’août-septembre 1953, sous la plume de T. Stevan.
Quelle tristesse dans le coeur des habitants de Kernascléden et des organisateurs du Bleun Brug, au matin du 12 juillet, lorsque la pluie fine mais impitoyable tombait sans discontinuer et que le ciel chargé et noir ne permettait le plus petit espoir ! Qui oserait braver un pareil temps et monter quand même à Kernascléden ? … C’était là trop douter de la ténacité bretonne.
Avant l’heure des concours, une première voiture s’arrêtait près de l’église : c’était Dorig Le Voyer et Madame, en grand costume des îles. D’autres arrivèrent presqu’aussitôt : M. Paul Ihuel, député-maire de Berné, M.et Mme Gab Le Moal, président du Bleun Brug, Monsieur Guyomard, maire de Guénin, M. l’abbé Lohier de Pontivy, les cinéastes de Brittia Film et de la cinémathèque Bonne Nouvelle… et d’autres sans arrêt. A l’heure prévue, les jurys du concours de chorales et des concours scolaires étaient en place. Félicitations à tous… Ils avaient promis, ils étaient là.
Mais il n’y avait encore aucune chorale, aucun candidat… Les jurys n’eurent pas à attendre beaucoup. Un premier groupe apparut : la chorale des garçons de Cléguer. Puis la chorale de Branderion, celle de Plouhinec, de St-Joseph-du-Château de Pontivy… Evidemment, toutes ne venaient pas dans le grand éclat de leurs costumes, mais qui leur en tiendrait rigueur ? Bientôt arrivèrent aussi les sonneurs de la Kevrenn de Rennes. Il y aurait donc du chant… il y aurait quand même de la musique :
Sur 18 chorales engagées, 16 étaient présentes. Le jury présidé par M. le Duc de Lorge fut heureux de constater les progrès réalisés depuis l’an dernier, à Baud, et eut parfois bien du mal à faire le classement.
Aux concours scolaires, il y eut plus de candidats que d’engagés. Pouvait-on espérer mieux ? … A l’éloquence, Joseph Guyomard, de Guénin, fut le premier à exposer « Perak e karehen chom de viùein ha de labourat e Breiz ». Ce fut un plaisir d’entendre chacun des orateurs dire dans un breton excellent et imagé son amour du pays.
Allons ! La journée était bien commencée.
La raison d’être de ce Bleun Brug était de célébrer le Vème centenaire de la chapelle de Kernascléden, ce joyau d’architecture du pays vannetais, et avant la messe, sur la place, le « jeu de l’Offrande des Bâtisseurs » devait rappeler ces évènements. Ce jeu ne put se faire et la grand’messe dût être chantée à l’intérieur.
Mais depuis combien de temps cette église n’avait-elle pas reçu une telle foule et entendu de tels chants ! Les voix pures de la Maîtrise de Sainte Anne entonnaient les cantiques bretons et les chants grégoriens repris par les 16 chorales présentes et par toute la foule. Plusieurs m’ont dit avoir été rarement aussi émus que pendant cette messe et un vieil homme de Kernascléden me disait :
« Biskoah n’em es guelet kément’rall amen ! Poén em es bet é parrat a ouilein! »
Parler de Kernascléden, c’est évoquer Pontcallec, Ste-Anne-des-Bois ; et Pontcallec, c’est le château au nom cher à tout Breton, c’est le parc merveilleux, sur les rives du Scorff, aux abords de la forêt. Lieu plus idéal ne pouvait être souhaité pour l’après-midi du Bleun Brug.
Sans doute le parc avait-il perdu un peu de sa splendeur sous le ciel gris ; sans doute n’accueillit-il pas la grande foule espérée ; mais tous les visiteurs de Pontcallec ont gardé de cet après-midi un profond souvenir. J’ai rarement trouvé dans un Bleun Brug cette atmosphère de joie, cet entrain et cet enthousiasme. Il y avait moins de monde, mais on se sentait en famille. Combien de jeunes des cercles celtiques ai-je entendu dire : « voilà au moins une vraie fête bretonne, entre Bretonnes, entre Bretons ! »
Tous les cercles celtiques et les Kevrenn invités avaient répondu à l’appel, malgré le temps, et les habitants de la région furent émerveillés par le spectacle de « Koroll ha Kan » que beaucoup voyaient pour la première fois.
Il est extraordinaire de constater le rapide développement et le succès des groupes de sonneurs de binious et de bombardes. J’ai compris davantage combien ce succès répond chez nous à quelque chose de profond, d’intime, en assistant au défilé des chorales et des groupes celtiques vers Pontcallec. Un bagad de sonneurs arriva, c’était Landaul, et en entendant les binious et bombardes, une vieille Pourletenn, près de moi, toute transportée, s’écria : « ah ! Setu er Vro ! » Elle avait raison ; cette musique, c’est bien le pays, c’est bien notre musique.
A Kernascléden, le Bleun Brug avait la joie d’accueillir deux jeunes cercles celtiques du pays gallo, les cercles d’Allaire et de Pluherlin. Ainsi se trouvaient réunis la Haute et la Basse-Bretagne et nous espérons que ces deux groupes seront des aînés dans cette région et que d’autres naîtront pour faire revivre et faire connaître les danses, les chants et les traditions de toute cette partie du Pays de Vannes.
Le Bleun Brug, le matin, avait célébré Notre Dame de Kernascléden ; la journée se termina par un hommage à la Patronne de la Bretagne, devant le petit sanctuaire de Sainte Anne-des-Bois où tous les groupes se rassemblèrent après une belle procession sous les ombrages des allées de Pontcallec, pour chanter avec un ensemble impressionnant : »O Rouanez karet en Arvor« […]
Cinquante ans plus tard, l’ensemble Gedour ar Mintin proposera de manière régulière une veillée de prière bretonne, précédant le grand pardon du 15 août.
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