Saints bretons à découvrir

1938, VERS UN RENOUVEAU DU COSTUME BRETON …

Amzer-lenn / Temps de lecture : 13 min

…DANS  LA  VIE  QUOTIDIENNE.

( 4ème et dernière partie de l’article « Quand par l’interdiction du costume breton, l’école débretonnisait les enfants )

 Dans les trois premières parties de cette étude historique, nous avons vu comment les écoles de la République, mais aussi catholiques ont tout fait pour bannir les costumes bretons des enfants, mais aussi le rejet des Bretons, des Bretonnes, pour cette richesse de leur culture. Nous avons vu également, comment des Bretons, prenant conscience de cette guerre faite à ce qui, avec la langue, était l’une des marques fortes de leur identité, réagirent en créant l’Association « Giz ar Vro » ( La Mode du Pays ), pour lancer des versions modernes des costumes pour enfants, mais pour un usage quotidien. Nous avons effleuré également les projets concernant les costumes pour adultes. Nous allons voir que, comme pour les enfants, ces projets se concrétisèrent immédiatement. Comme le disait Herry Caouissin, le temps des lamentations était terminé. Les cris d’alarmes du Marquis De l’Estrourbeillon, réunis dans un très pertinent petit livre, l’engagera, avec son frère et beaucoup d’amis sensibles à cette question, à agir en urgence.

En Avant-Propos de son livre, le Marquis de l’Estourbeillon écrit :

« Petites choses ( les costumes ), dira-t-on – Oui ! Mais grands effets. En reniant ainsi leurs traditions, en rougissant de leurs ancêtres, en rejetant leurs costumes après avoir délaissé leur langue, nos Bretons et nos Bretonnes, avec une parfaite inconscience, se constituent eux-mêmes les meilleurs agents de cette assimilation à outrance, que les Français s’efforcent de leur imposer. Ils ne voient pas, ils ne veulent plus comprendre que dès qu’ils cessent d’être eux-mêmes, ils deviennent de pauvres êtres quelconques, noyés dans le « grand tout » d’une fausse civilisation. Il n’est pas de coup plus cruel porté à la Patrie ».

Passons sur « l’idée de Patrie », bien tombée en désuétude, devenu une sorte de « gros mot » suspecté (par la police de la pensée et du politiquement-correct) de dissimuler des sentiments peu avouables. Reconnaissons, comme nous l’écrivions dans la troisième partie de cette étude, que ces propos du Marquis de l’Estourbeillon restent d’actualité, car ils soulignent déjà l’uniformisation d’aujourd’hui à laquelle, toujours avec cette parfaite inconscience, les Bretons se soumettent et collaborent de toutes les manières. Le paradoxe d’aujourd’hui est que cette uniformisation se fait au nom de la…diversité culturelle, rejetant l’identité bretonne à une simple option culturelle sur sa propre terre. Voilà, où nous en sommes…

Citons encore le Marquis de l’Estourbeillon :

« Il fut un temps peu éloigné de nous ( début 20e siècle ), où la beauté, l’élégance, les multiples variétés de nos costumes bretons et surtout de nos coiffures, dont un grand nombre étaient si charmantes et si gracieuses, faisaient de notre Bretagne la terre privilégiée et justement admirée de l’élégance et du bon goût. Or, depuis trois ou quatre ans ( années 1900-1905 ), je ne sais quel souffle malfaisant a passé sur nos campagnes. Un véritable vent de folie, une recherche générale de la laideur, une rage de destruction de tout ce qui dans nos vêtements et dans nos coiffes était gracieux et pittoresque, sévissent en presque tous les coins de la Bretagne. Véritable « maladie du goût » qu’elle a atrophié et qu’elle est en train de détruire, la guerre déclarée à leurs si jolis costumes par nos compatriotes est une chose incompréhensible et un crime de lèse-bon sens, car elles ne semblent ne pas comprendre qu’en s’enlaidissant à plaisir, elles portent en même temps un coup mortel à leur pays ».

Vingt ans plus tard, c’est-à-dire au lendemain de la Guerre de 1914/18, la débretonnisation par l’abandon systématique des costumes sera une évidence impossible, à moins de s’en désintéresser ou de le nier. Un parallèle : c’est aussi l’époque où se dessine le rejet du mobilier traditionnel breton au bénéfice du « Tout-formica », car on veut-être moderne. Il y aura sur ce problème une réaction équivalente à celle du costume : les « Seiz-Breur », avec l’artiste Jeanne Malivel ( 1895-1926 ), vont proposer et réaliser un « style de meubles bretons » dans la fidélité à la tradition, mais qui n’entend pas pour autant se substituer aux incomparables meubles anciens.

DE LA MODERNITE DU COSTUME BRETON

Giz ar VroComme pour les costumes pour enfants, les costumes pour adultes n’avaient aucunement la prétention de concurrencer les magnifiques costumes bretons. Ceux-ci avaient leurs places d’honneurs évidentes dans toutes les grandes fêtes profanes et religieuses. L’objectif de « Giz AR Vro » était de proposer des costumes pour la vie quotidienne, des fêtes bien sûr, notamment pour ceux qui ne disposaient pas d’un costume breton « classique ». En résumé, il s’agissait d’offrir une version « celtisée » du vêtement, masculin ou féminin. Dans cette intention, il se devait d’être léger, pratique, peu coûteux…et élégant.

Les costumes bretons pour enfants, grâce aux fêtes du Bleun-Brug, connurent un vrai succès, et certaines écoles, des parents commencèrent à avoir un nouveau regard favorable sur un habillement typiquement breton. Les costumes pour adultes ne pouvaient donc que suivre cette voie. Dans les statuts ( 1938 ) de l’ »Association Giz ar Vro », les articles 3 , 4 et 5 précisent bien les objectifs :

« De remplacer les ornementations banales et poncifs de certains costumes par des motifs purement celtiques.

De remplacer la mode européenne en Bretagne par une mode celto-bretonne ( ex : gilet cornouaillais avec veston ; boléros celtiques, corsages, ensembles celtiques etc…)

Que dans les grandes circonstances, les costumes, toilettes européennes de cérémonies soient remplacées par des costumes purement bretons mais d’une coupe et d’une élégance parfaites, en écartant rigoureusement tout vêtement d’allure carnavalesque. »

« Si l’on désire effectivement remettre en vogue nos plus beaux costumes nationaux, il ne suffit point, comme on l’a fait uniquement jusqu’à présent, de le porter lors d’une manifestation bretonne, d’un congrès, d’une kermesse, d’une séance artistique. Pour rendre au costume breton l’honneur qui lui est dû, « Giz ar Vro » ira plus loin : le porter lors des Pardons, des cérémonies, des mariages, soirées, grandes fêtes, etc… »

GAV6.jpgGAV11.jpgGAV7.jpg

Illustrations : © gildas-salaun -mediacolor 2013

Parallèlement, il s’ensuit le projet de lancement d’une revue de mode, « Gwiskamantou Breiz » ( La Mode Bretonne ). Malheureusement, l’année 1938 est déjà annonciatrice d’une guerre regardée comme inéluctable, un seul numéro de la revue sortira, introuvable aujourd’hui. A noter que le quotidien nationaliste « La Bretagne » publiera régulièrement une page de mode bretonne, reprenant ainsi les idées lancées par « Giz ar Vro », mais, contrairement à « Giz ar Vro, aucune réalisation ne suivra. Car, les frères Caouissin, fidèles à eux-mêmes, passeront aussitôt de l’idée à la réalisation…et donneront l’exemple.

GAV 2.jpgEn janvier 1939, Herry Caouissin se marie avec Jeanne-Louise Leclerc, directrice du dispensaire antituberculeux de Quintin. Originaire de Corlay, elle est une militante nationaliste active, ce qui lui donne des occasions de rencontrer le jeune secrétaire de l’Abbé Yann-Vari Perrot. Leur Mariage est célébré dans la toute nouvelle chapelle de Notre-Dame de Koât-Kéo par le recteur de Scrignac (1). Ce privilège accordé par Monseigneur Duparc est la reconnaissance méritée du travail accompli par Herry Caouissin pour ce sanctuaire.

Logique avec lui-même, il va être le premier à porter une tenue de marié  griffée «Giz-ar-Vro» Son costume est dans sa « coupe » une sorte de  compromis  entre le costume traditionnel et le smoking,

Evidemment, sa fiancée ne pouvait qu’être en harmonie avec ce choix. Elle aurait pu toutefois choisir de porter un costume breton « classique », mais leur mariage était l’occasion idéale pour être la « vitrine » des toutes premières réalisations « Giz ar Vro » Elle choisira de porter une longue robe blanche de dentelles sur lesquelles se dessinait des motifs celtiques.

Son frère Ronan, pour son mariage, fera de même, mais aussi d’autres militants bretons.

Dans les années 50, Herry Caouissin portera son « Giz ar Vro » dans toutes les réceptions du monde cinéma qu’il fréquentait, côtoyant les plus grands réalisateurs, acteurs et actrices de l’époque. De même, il le portera lors de toutes les grandes fêtes bretonnes, dont très souvent il en était l’animateur incontournable ( Pardon de la Saint-Yves des Arènes de Lutèce ).

Avec le recul, certains penseront que ces projets tenaient davantage du rêve, de l’utopie, voire d’une GAV.jpgnostalgie d’un monde appelé à s’effacer au profit d’une modernité apatride, d’une sorte de combat d’arrière garde pour retarder l’échéance inéluctable. Ce combat pour le costume breton entrait dans un combat plus vaste pour sauver l’ensemble de l’identité bretonne. Il n’y avait pas que le combat pour la langue qui focalisait les énergies, toutes les traditions étaient concernées, y comprit la Foi. Les gouvernements anti-chrétien, maçonniques et jacobins, eux, l’avaient très bien compris : la destruction de l’identité bretonne était une « affaire globale ». C’est aussi ce que les nationalistes bretons lucides comprendront, d’où leurs combats sur tous les fronts, et parfois une dispersion des énergies.

Projets, suivis d’un début de réalisations, utopies malgré tout ? Non ! puisque le succès était au rendez-vous, et reçurent les soutiens de personnalités qui n’avaient pas la réputation de perdre leur temps dans des « amusements » sans lendemains. D’ailleurs, l’historien qui se penche sur ces années 1920-1945 ne peut qu’admettre une chose, le dynamisme extraordinaire du renouveau breton initié tant par les mouvements culturels ( Union Régionaliste Bretonne, Bleun-Brug, Seiz- Breur, Feiz ha Breiz, Ololê- Urz Goanag Breiz, et bien d’autres associations), que par les mouvements politiques nationalistes, sans oublier les associations de défense de la langue bretonne…et l’Eglise. D’ailleurs, si un autre constat s’impose, c’est que loin d’être des utopies, tous ces projets, ces réalisations que vint broyer la guerre et ses sombres lendemains, ont été les semences du renouveau des années 1960-1970 et dont profite aujourd’hui toute une génération, trop souvent ingrate, parce qu’ ignorante, volontairement ou non, de l’œuvre de leurs aînés. Autre preuve que nos aînés étaient des précurseurs : beaucoup de leurs idées sont actuellement reprises, sans que l’on songe à leur rendre les justes hommages auxquels ils ont droit.

GAV5.jpggiz ar vroGAV4.jpg

Illustrations : © gildas-salaun -mediacolor 2013

LA BRETAGNE TRAVESTIE

En marge, mais qui complète notre série d’articles sur le sujet, nous reproduisons ci-après de larges extraits d’un article paru dans « Feiz ha Breiz » ( numéro 5, mai 1908 ), lui même publié dans le «Pays Breton» « ( 3 mai 1908 ), et dont le titre est celui ci-dessus.

« Depuis quelques années une rage insensée, une folie vraiment criminelle semblent présider chaque jour à la destruction systématique de tout ce qui constituait la Bretagne et lui avait imprimé un cachet unique d’originalité et de véritable grandeur : langue, traditions, costumes, esprit du peuple breton ; tout est attaqué, sapé, en butte à des persécutions journalières. Et ce qu’il y a de plus triste et de plus effrayant, c’est de voir des Bretons eux-mêmes, abusés, empoisonnés par les sophismes de l’étranger, ajouter foi à leurs calomnies, céder à leurs railleries aussi perfides qu’intéressées et, gangrénés par un sot respect humain, obéir à leurs suggestions désastreuses.

Nos costumes nationaux, hélas ! notre juste orgueil, l’objet de l’admiration unanime de tous les étrangers, échapperont-ils à la destruction et à l’abandon quotidien que leur infligent des Bretons eux-mêmes avec une criminelle inconscience ?

Aujourd’hui, il en est du costume comme du reste. Le respect des traditions s’en est allé. Dans toutes les classes de la société, on semble avoir hâte de s’éloigner du passé. Plus rien de sérieux ne subsiste dans les mœurs, dans les aspirations, dans les besoins vrais de la vie nouvelle. Dans ce siècle de camelote et de cabotinage, nous n’attachons de prix qu’à ce qui n’en a pas, aux faux-clinquant en tout et pour tout. L’art nouveau incohérent, inesthétique, absurde et laid est justement ce qu’il fallait aux générations actuelles. Trente ans ont suffi pour tout changer, au détriment du bon goût et du bon sens. Nos jeunes filles si belles, si décentes, si artistement habillées et coiffées il y a quinze ans à peine ont-elles donc si hâte d’arriver à atteindre la laideur du pays des « catioles à quatre sous » ? Pourquoi se laissent-elles imposer le ton et la mode par les Bretonnes qui donnent le mauvais exemple dans les villes ? ( allusions aux modes venues de Paris et de l’étranger ).

De cet extrait d’un article vieux de…110 ans, il apparaît qu’en bien des points il reste d’actualité, notamment sur les questions de « l’art nouveau », de l’esthétisme, et des mœurs qui s’en vont à « vau-l’eau », et de cet attrait irraisonné pour tout ce qui vient d’ailleurs, d’être « à la mode ». Or on sait, que rien ne se démode plus vite que la mode, le bon sens voudrait donc que seul l’authentique, le beau perdure, mais c’est sans compter du pouvoir destructeur des modes, par nature apatride, ennemies de tout enracinement, la Bretagne en a payée le prix fort, mais aussi souvent à cause des Bretons eux-mêmes courant après l’utopie du mondialisme niveleur. C’était vrai en 1908, c’est encore plus vrai en 2015 où il ne reste plus grand chose à détruire…

Que l’on songe que toute une génération de Bretons assistait à l’anéantissement programmé de leur identité, et qu’il s’est levé des hommes, des femmes pour relever le défi. Est-ce, sur bien des points si différent aujourd’hui ? La génération présente n’assiste-t-elle pas à une destruction générale programmée de notre…civilisation chrétienne par des « élites » qui ont signifié leur congé à Dieu, à la Vérité, au sacré, au beau ? Poser la question, c’est y répondre, à condition d’être bien lucide, grâce qui semble ne guère toucher l’immense majorité…

Vous appréciez nos articles ? Aidez-nous sur notre Pot Commun en cliquant ici. Trugarez deoc’h !

SOURCE  : Archives & illustrations Herry Caouissin. Dossier “Giz ar Vro” – Tous droits réservés Caouissin / Ar Gedour  et © gildas-salaun -mediacolor 2013

À propos du rédacteur Yvon Abgrall

Publiant régulièrement des articles dans la presse bretonne, il propose pour Ar Gedour des articles documentés sur le thème "Feiz & Breizh" (foi et Bretagne), d'un intérêt culturel mais aussi ancrés dans les préoccupations actuelles.

Articles du même auteur

[SCRIGNAC] Un rendez-vous à Koat Keo en avril, et un autre en mai 2024

Amzer-lenn / Temps de lecture : 1 minEvel ma oa bet aozet warlene, Breizhiz a …

L’OR ET L’ARGENT : DES VASES SACRES, TOUJOURS CONVOITES

Amzer-lenn / Temps de lecture : 4 minDernièrement, dans ma boîte aux lettres, une publicité …

2 Commentaires

  1. Ces articles historiques sont très intéressants. Merci à Ar Gedour de nous partager cela.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *