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« Affaire Barbarin » : le Jugement du tribunal correctionnel de Lyon en date du 7 mars 2019

Amzer-lenn / Temps de lecture : 15 min

Ne voulant pas se satisfaire de commentaires partiels, et donc forcément partiaux, d’une presse plus préoccupée d’effets médiatiques que de rapporter fidèlement l’actualité judiciaire, votre blog préféré, Ar Gedour (le veilleur), offre à ses fidèles lecteurs de prendre connaissance  de l’intégralité du jugement en date du 7 mars 2019, non définitif et frappé d’appel, par lequel la 17° chambre du tribunal correctionnel de Lyon, sous la présidence de Madame Brigitte Vernay, première vice-présidente, a condamné, sur citation directe de 6 personnes par 9 victimes d’abus sexuels alors qu’elles étaient mineures de moins de 15 ans, le seul cardinal Philippe Barbarin pour non dénonciation de ces délits, l’action publique le concernant n’étant pas prescrite, à six mois de prison avec sursis et au paiement d’un euro symbolique à huit des neuf parties civiles poursuivantes.

https://www.dalloz-actualite.fr/document/tgi-lyon-7-mars-2019

Le tribunal, confronté à la personnalité éminente des personnes mises en cause et à la volonté tenace des victimes de faire entendre leur voix, a, aux termes d’une décision de 42 pages, déroulé jusqu’à son terme une analyse et un raisonnement juridique qu’il a voulu d’autant plus sans faille qu’il savait que sa décision serait immanquablement soumise à la censure de la Cour d’Appel.

Voyons comment ce jugement qui, en effet, n’est pas définitif, motive la condamnation pénale prononcée contre un cardinal de l’Eglise catholique et évalue le dommage subi par les victimes qui invoquaient à la fois contre lui et sa secrétaire la non-assistance à personne en danger et la non dénonciation de délit d’abus sexuel sur mineur également reprochée aux 4 autres prévenus, en rappelant les principes qui gouvernent chacune de ces infractions

I – l’irrecevabilité pour défaut d’intérêt de la plainte pour non-assistance à personne en danger

Sans doute pour donner d’avantage de poids à la réalité de leur dommage et, partant, à la recevabilité de leur action, les demandeurs ont-ils allégués être victimes, de la part du cardinal et d’une bénévole du diocèse, animatrice d’une cellule d’écoute, du délit de non-assistance à personne en danger, prévu et réprimé par l’article 223-6 du code pénal qui sanctionne « quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.

Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque le crime ou le délit contre l’intégrité corporelle de la personne mentionnée au premier alinéa est commis sur un mineur de quinze ans ou lorsque la personne en péril mentionnée au deuxième alinéa est un mineur de quinze ans ».

L’entrave aux mesures d’assistance et l’omission de porter secours forment la section 3 du chapitre III « de la mise en danger d’autrui », au titre II « des atteintes à la personne humaine ». La non-assistance à personne en danger qui rentre dans la catégorie des délits « contre la personne » traitée par le livre II du code pénal, a été instituée en faveur de l’intérêt particulier des victimes qu’ils sont destinés à protéger et leur ouvre donc un recours direct en cas de non poursuite par le parquet, soit en application de l’article 86 du code de procédure pénale, par la voie de constitution de partie civile devant le juge d’instruction, alors tenu d’instruire, soit par la voie de citation directe devant le tribunal correctionnel comme cela a été le cas en l’espèce.

Mais pour qu’une action soit intentée sur le fondement de ce texte, il importe que les demandeurs soient en mesure d’alléguer « l’existence d’un préjudice, actuel et certain, en lien direct avec les infractions poursuivies et personnel. » (jugt p 28)

Le tribunal, constatant que les parties civiles « évoquent une situation d’abus sexuels qu’elles subissaient dans les années 1985/1991, sans établir pour elles-mêmes la possibilité d’un péril toujours présent ni même l’existence d’un préjudice actuel » en a déduit que l’action fondée sur ce texte n’était pas recevable.

Une telle décision d’irrecevabilité n’est pas de nature à satisfaire les demandeurs dont la situation de victime est ainsi méconnue.

Mais pour le tribunal, il apparait expressément que le préjudice personnel, actuel, certain et en lien avec une infraction pénale caractérisée, permettant ainsi, en application de l’article 2 du code de procédure pénale, aux victimes de mettre en mouvement l’action publique et d’obtenir réparation du dommage subi ne résulte pas de la non-assistance à personne en danger, mais « en définitive, l’action sur ce point porte plus alors, sur les conséquences possibles de la non dénonciation d’agression sexuelles sur mineurs de 15 ans, et sur les risques causés pour autrui de réitération d’agissements répréhensibles »

Qui mieux que le médecin peut savoir où le patient a mal ?

Le tribunal de poursuivre, donc : « en revanche, les parties civiles sont bien fondées à faire valoir l’existence du préjudice qu’elles subissent ce jour au titre du délit de non dénonciation, depuis qu’elles savent que les autorités religieuses pouvaient avoir connaissance des déviances d’un prêtre qui les agressait et qu’elles n’agissaient jamais d’aucune façon pour les empêcher et les dénoncer » (jugt p 28) .

Encore convient-il de caractériser cette autre infraction de non dénonciation de délit d’abus sexuel sur mineur pour que soit enfin reconnu aux demandeurs la qualité de victimes, pénalement recevables à agir en réparation de leur dommage par la mise en œuvre de l’action publique devant le tribunal correctionnel, alors qu’il est constant que les agressions dont ils ont été victimes n’ont encore été ni qualifiées ni sanctionnées à l’encontre de leur auteur par le juge pénal qui en est toujours actuellement saisi.

II – le délit de non dénonciation d’abus sexuel sur mineur

Il s’agit là d’une des entraves à la saisine de la justice que le code pénal classe dans son livre IV « des crimes et délits contre la nation, l’Etat et la paix publique », au titre III « des atteintes à l’autorité de l’Etat », chapitre IV « des atteintes à l’action de justice ».

S’agissant de sanctionner une atteinte à l’ordre public ou à l’intérêt général, c’est au Procureur de la République, défenseur de la société qu’il a pour fonction de représenter et défendre, qu’il incombe d’agir.

Or, en l’espèce, alors que le Procureur de la République, après enquête, s’est abstenu de toutes poursuites en raison de la prescription des faits, la question pouvait se poser également de la recevabilité de la citation directe des victimes d’agressions qu’elles-mêmes ont choisi de ne pas dénoncer quand cela leur était possible dans le délai de prescription de 10 ans qui n’a commencé à courir qu’à compter de leur majorité en application de l’article 8 du code de procédure pénale dans sa rédaction alors applicable.

Mais alors, ce serait fermer définitivement aux victimes la possibilité d’invoquer leur dommage et d’en obtenir réparation.

Or il importe que les victimes puissent s’exprimer pour leur permettre de « faire leur deuil », selon l’expression consacrée ; si le droit pénal positif ne portait, originellement, qu’un intérêt secondaire aux victimes, la jurisprudence venait traditionnellement corriger ce défaut congénital en s’efforçant de donner aux victimes la place qu’ils revendiquent.

A – l’obligation de dénoncer s’étend à des faits prescrits et est indépendant de l’état de fragilité de la victime

1°) la prescription des faits délictueux ne met pas fin à l’obligation pénale de les dénoncer

Le tribunal a jugé qu’à la différence de l’article 434-1 du code pénal qui prévoit et condamne « le fait, pour quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende », les dispositions de l’article 434-3 invoqué prévoit et condamne, quant à lui « le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende »

Pour le tribunal, l’article 434-3 du code pénal sur lequel les demandeurs ont fondés leur action « ne vise pas uniquement une fonction utilitariste visant à prévenir, limiter ou empêcher la réitération des faits répréhensibles. Il importe peu dès lors de savoir si l’infraction qu’il convient de dénoncer est prescrite » (jugt p 31)

C’est en effet aux autorités judicaires seules qu’il appartient de « recueillir tous éléments utiles leur permettant d’apprécier les faits qui leur sont révélés, et sans aléas à leur niveau d’en faire la plus juste analyse juridique » notamment pour ce qui est de la prescription

On se rappelle la malheureuse déclaration du cardinal à Lourdes le 15 mars 2016 : « la majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits », qui constituera, pour partie, le titre du film réalisé par François Ozon en 2018.

Le tribunal veut ainsi rappeler que c’est à lui, et à lui seul, de dire le droit : la prescription des faits énumérés par l’article 434-3 du code pénal, à savoir : « privations, mauvais traitements ou agressions ou atteintes sexuelles »  ne saurait limiter l’obligation pénale de les dénoncer

2°) l’état de fragilité des victimes n’est pas une condition nécessaire pour caractériser le délit de non dénonciation des faits qu’ils ont subis

L’obligation de dénoncer porte non seulement sur les faits qualifiés par l’article 434-3, qu’ils soient ou non prescrits, mais aussi, dans la mesure où, poursuit le même article, ils sont : « infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse », quand bien même le mineur ou le majeur fragilisé ait acquis la majorité ou recouvré la plénitude de ses fonctions et de ses droits.

Et le tribunal de poursuivre : « au vu des principes d’interprétation stricte de la loi pénale, ce serait rajouter aux exigences du législateur que de considérer que l’obligation de dénoncer disparait quand la victime n’est plus dans une situation de minorité ou de vulnérabilité, afin de pouvoir d’exonérer des conséquences de l’application du texte, notamment de faits anciens révélés tardivement alors que la victime est devenue majeure 

Les dispositions de l’article 434-3 ne font pas davantage de la minorité de la victime au jour de la dénonciation des agressions sexuelles sur mineurs une des conditions de la caractérisation de l’infraction de non dénonciation (jugt p 31)

Il s’agit, en effet, de réprimer une atteinte aux droits régaliens de l’Etat dans ses fonctions judiciaires : on relève ici, ni plus ni moins, de la « lèse-majesté ».

B – l’élément moral du délit de non dénonciation

Il est indispensable, pour entrer en voie de condamnation sur le fondement de l’article 434-3 du code pénal, de caractériser, comme pour tout délit, une intention de nuire, la volonté d’échapper aux foudres de la justice, par exemple, c’est l’élément moral qui complète la matérialité des faits constitutifs du délit reproché.

Pour le tribunal, l’élément moral de l’infraction de non dénonciation résulte « d’une abstention volontaire de dénonciation propre à entraver la Justice. »

S’agissant de la responsabilité pénale du seul cardinal Philippe Barbarin, il est apparu au tribunal que, « alors même que ses fonctions lui donnaient accès à toutes les informations et qu’il avait la capacité de les analyser et les communiquer utilement, Philippe Barbarin a fait le choix en conscience, pour préserver l’institution à laquelle il appartient, de ne pas les transmettre à la justice. » (jugt p 35)

Pour fixer la sanction en courue qui est, selon l’article 434-3 du code pénal, une peine d’emprisonnement de 3 ans et 45.000 € d’amende, le tribunal a apprécié le niveau d’autorité, et le pouvoir de décision en toute indépendance du cardinal.

La peine retenue par le tribunal est de 6 mois de prison assortie du sursis s’agissant d’un primo délinquant ; le tribunal n’a pas prononcé la peine d’amende pourtant cumulativement prévue par l’article 434-3 du code pénal dont il a fait application.

C – Comme tout délit, l’infraction de non dénonciation est susceptible de prescription.

Le tribunal précise que « s’agissant d’un délit instantané (…) le délai de prescription commence à courir à compter du jour où la personne à connaissance des infractions subies » (jugt p 32), s’agissant, évidemment, de celles énumérées et décrites par l’article 434-3 du code pénal.

C’est l’article 8 du code de procédure pénale qui fixe les délais de prescription en matière délictuelle, ils étaient, en général, de trois ans jusqu’à ce qu’une loi du 17 février 2017 vienne en doubler la durée pour la porter dorénavant à six ans.

En l’espèce il est apparu que le délit de non dénonciation n’était pas constitué, ou prescrit, pour ce qui concerne les personnes citées, à l’exception notoire du seul cardinal Philippe Barbarin qui sera condamné de ce chef, l’action d’un seul des 8 plaignants étant jugée prescrite.

Le tribunal justifie ainsi le préjudice moral des 7 autres personnes, victimes de la non dénonciation dont se sont rendu coupables le cardinal Barbarin et sa collaboratrice au bénéfice de laquelle l’acquisition de la prescription du délit de non dénonciation a été constatée :

« En voulant éviter le scandale, causé par les faits d’abus sexuels multiples commis par un prêtre, mais sans doute aussi par la mise à jour de décisions bien peu adéquates prises par les évêques qui le précédaient, Philippe Barbarin a préféré prendre le risque d’empêcher la découverte de très nombreuses victimes d’abus sexuels par la justice, et d’interdire l’expression de leur douleur. » (jugt p 36)

Si le dommage subi par les victimes a été symboliquement apprécié, il n’en n’a pas été de même de la sanction pénale de 6 mois d’emprisonnement, quand bien même aucune peine d’amende n’ait été prononcée et qu’en sa qualité de primo délinquant la peine d’emprisonnement ait été assortie en totalité du sursis simple.

En conclusion, il résulte de la décision commentée

1°) que le délit de non dénonciation est constitué quand bien même les faits non dénoncés n’aient pas encore reçu de qualification pénale ou que leur prescription ait été constatée.

2°) que l’obligation de dénoncer s’exécute auprès du Ministère Public qui conserve néanmoins l’opportunité des poursuites contre le ou les auteurs. A cet égard, il est à craindre que

3°) que la victime de ces faits conserve devant la juridiction pénale, une action civile contre la personne qui s’est abstenue de les dénoncer, non pas pour non-assistance à personne en danger mais pour entrave au bon fonctionnement de la justice

En attendant l’arrêt de la Cour d’Appel de Lyon, vraisemblablement à la suite de cette décision d’instance qui n’a pas, encore une fois, acquis l’autorité de la chose jugée, il est apparu au Pape François la nécessité de légiférer sur la question par un motu proprio publié le 9 mai 2019 sous l’intitulé : « vos estis lux mundi » (vous êtes la lumière du monde Mt 5, 14).

http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/motu_proprio/documents/papa-francesco-motu-proprio-20190507_vos-estis-lux-mundi.html

Il se termine ainsi :

Art. 19 – Respect des lois de l’État

Les présentes normes s’appliquent sans préjudice des droits et obligations établis en chaque lieu par les lois étatiques, en particulier pour ce qui concerne les éventuelles obligations de signalement aux autorités civiles compétentes.

Les présentes normes sont approuvées ad experimentum pour trois ans.

J’établis que la présente Lettre apostolique en forme de Motu proprio sera promulguée par sa publication dans l’Osservatore Romano, entrera en vigueur le 1er juin 2019, et sera ensuite publiée dans les Acta Apostolicae sedis.

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 7 mai 2019, en la septième année du Pontificat.

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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