Saints bretons à découvrir

Alan Stivell : « Avec un statut particulier pour la Bretagne, tout le reste suivra (Langue, culture, médias…) »

Amzer-lenn / Temps de lecture : 13 min

Hier soir, Alan Stivell, dont son nouvel album Human~Kelt est sorti ce 26 octobre, opus que nous vous avons présenté, était en concert à Ploemeur, dans le Morbihan, pour une date entamant sa tournée.

Il revient pour les lecteurs d’Ar Gedour sur un statut particulier pour la Bretagne, le tildé du petit Fañch, sa relation à la spiritualité, et… sur son disque.

 

Un très beau concert à Ploemeur

Une salle comble – presque 1000 personnes-  pour écouter celui qui depuis les années 70 a mis à l’honneur sur les plateaux la musique bretonne et celtique, une musique à la fois enracinée et très moderne, aux influences multiples. Ce soir, c’était vraiment une belle soirée, à l’Océanis.

Accueillis par le responsable de la salle comme pour un événement familial, les spectateurs de tous âges s’installent et voici qu’est diffusé Kelti[k]a pour faire patienter un public venu en nombre. L’intro du disque entame le début du spectacle pendant que s’installent sur scène les musiciens, ombres fantomatiques dans un halo bleuté, harpe d’or trônant et mise en valeur par un gobo celtique. Triskell au cou, Alan arrive sur scène sous les applaudissements et entonne « Reflets » d’une voix posée et mélodieuse, avant d’attaquer un Cease Fire (issu de l’album Brian Boru) bien envolé, rappelant que certains anglais ne semblent plus vouloir la paix en Irlande du Nord. Le whistle de Konan Mevel (Skilda / Tri Yann) accompagne à merveille ce morceau. « Rend la paix à l’Irlande » chante alors Stivell, en reprenant le fameux titre Brian Boru. Dans ce spectacle, il retrace efficacement ses 52 ans de carrière musicale : il passe allègrement d’un Gwerz Ker Ys (renaissance de la Harpe Celtique) à New’Amzer (AmZer), en continuant Ardaigh Cuan (Renaissance de la Harpe Celtique / Human~Kelt) puis sur une suite de slips-jigs irlandaises efficace réveillant un public qui enfin applaudit en rythme. Alan peut se poser et chanter un Foggy Dew (Olympia 72 / Again) a capella.

Il enchaîne sur An Alarc’h (Olympia 72) que la foule applaudit avec ferveur. Il aurait fallu qu’elle chante le refrain avec l’artiste. On dirait que le public est plus timide qu’Alan. Suit Boudicca (Human~Kelt), magnifique morceau du dernier album : le carnyx se dessine dans la lumière bleutée, ombre fascinante venue du fond des âges, que fait rugir Konan Mevel.

« Si les Bretons ne se battent pas pour la langue bretonne, qui le fera à notre place » lance Alan, entamant un Brezhoneg ‘raok (Chemins de terre / Human~Kelt) très rock. On aurait attendu là encore que le public chante Hep brezhoneg Breizh ebet avec Alan. Les spectateurs se lâcheront dans les applaudissements.

On s’en apercevait déjà auparavant, mais on peut le dire, le plan feu est exceptionnel, tout comme la qualité sonore. Mais déjà au fil des titres s’annonce la fin du concert : Son ar chistr (Reflets/ Again), Gouel Hollvedel (Symphonie Celtique – Tir n’a Nog), Pacte (Légende) avec Robert Le Gall au violon, Tri Martolod, Suite Sudarmoricaine. 

La salle est toute entière en standing ovation, pour un concert de qualité d’un Stivell en pleine forme accompagné de ses excellents musiciens. Alan Stivell entonne le Bro Gozh, repris par une bonne partie de la salle. C’est la fin et déjà les fans avancent pour rencontrer l’artiste. C’est le début d’une tournée à découvrir absolument.

Si une date a lieu non loin de chez vous, allez-y, vous ne le regretterez certainement pas.

 

 

L’INTERVIEW D’ALAN STIVELL POUR AR GEDOUR

Voici pour compléter l’analyse du disque parue sur Ar Gedour, cette interview donnée par le barde breton pour les lecteurs de votre site préféré. 

Ar Gedour  : Demat deoc’h Alan. Trugarez vraz deoc’h ‘vit an amzer e kemeret da respont dimp. Tu vas certainement avoir les mêmes questions qui te seront souvent posées dans les médias, retraçant ton parcours. Au-delà de l’approche musicale que nous avons analysée au fil des titres, nous avons donc essayé de faire différent. Avant tout, dans ton album, on perçoit en filigrane des questionnements essentiels. Tu appuies clairement sur cette notion d’humanité, à la suite de ce que tu chantais déjà dans ton album 1DouarPourquoi ce cri ? Penses-tu que l’humanité est en train de se perdre ? 

Alan: Je crois qu’on est nombreux à penser, qu’après un progrès apparent ou réel, ou moitié, la machine s’est mise à tourner en arrière. Je ne suis pas dans le désespoir, je suis dans le 50/50. Dans cette situation cruciale, pourtant, un seul enfant ou une seule goutte d’eau suffirait à faire pencher vers le positif. Je vais paraître presque religieux, mais le cauchemar ou le paradis terrestre sont possibles. Mais le presque rien qui redresserait le navire n’est certainement pas hors de portée. Donc je veux garder l’espoir. Et en appelant les humains par leur nom, je participe à l’énergie positive que je pense partager avec beaucoup.

 

Ar Gedour : Tu as consacré ton précédent album au temps, et je ne peux m’empêcher de faire un lien entre Amzer et Human~Kelt. Après avoir questionné le temps, dans cet album tu as des paroles profondes sur l’avenir de l’humanité et l’héritage qu’on doit laisser; même si « notre fenêtre est l’infini » . Tu dis aussi  que « Ce disque aura été l’occasion de rencontres qui marqueront toute la fin de ma vie » et tu finis l’album par « Pourquoi es-tu venu si tard »… Tu brosses aussi les tableaux que sont tes chansons comme un chronovoyageur, un voyageur du temps.  Tu évoques enfin la question de l’âme et  d’une certaine transcendance. Je me pose donc la question : quelle est aujourd’hui ta relation au temps et à l’existence ? 

Alan: je suis si marqué par la musique et celle-ci est évidemment marquée par le temps. Ce temps est relié à l’espace ne serait-ce que par les pieds qui battent la mesure, et parfois seulement le coeur. Mais ce lien à la lourdeur de la pesanteur, de la matière, ne nous empêche pas de nous élever dans l’apesanteur : les deux à la fois. La musique la plus celtique crée ce paradoxe et cette dualité. Le son, lui, plonge beaucoup plus loin dans le temps en résonance avec la Terre et la matérialité et s’envole très loin dans le ciel vers l’infini. De la musique, on pourrait dire d’autres dualités. La première, la chair, la sensualité, comme la spiritualité. Le temps nous est compté, il faut faire trop vite. Mais, parcelles de l’Univers, nous avons l’éternité devant nous, quelle que soit la « forme » qu’elle prend réellement. 

 

Ar Gedour : La belle pochette de ton album, et le contenu semblent être une invitation à contempler la Création (humanité comprise) et à une prise de conscience. Dans le même temps, je vois aussi cette filiation avec ton album Au-delà des mots, album qui est un hymne à la méditation. On retrouve d’ailleurs l’un des thèmes « La Celtie et l’Infini » dans le titres Kelti[k]a. Dirais-tu que l’on ne prend plus le temps de cette contemplation, le temps de prendre le temps, le temps d’un examen de conscience menant à plus d’humanité ?  Ton album est-il une invitation à une autre vision du monde ? 

Alan: je prône le temps de la contemplation …pour les autres. Je suis « l’homme pressé de la Musique celtique ». Car le temps presse. Mais en chaque petit caillou de temps, il y a l’infini. Et donc quelques notes de musiques font résonner un hologramme d’autres harmoniques et cela sans limites. Donc on peut parfois goûter une forme d’infini dans l’instant. J’imagine une vraie contemplation comme j’imagine l’océan quand je ne peux l’admirer, ce qui est le cas le plus souvent. Et cette imagination m’inspire autant.

 

Ar Gedour : Cet album est un parcours musical, une sorte de nouvel Again, qui retrace ta carrière. Si tu avais à définir en peu de mots ta carrière, comment le ferais-tu ? Penses-tu avoir réussi à transmettre quelque chose aux générations nouvelles ? 

Alan: avant 1966 ou 1972, personne, même pas moi-même, aurait imaginé possible des grandes foules applaudissant quelqu’un chantant en breton. Plusieurs utopies se sont réalisées. Des choses considérées comme de la folie douce dans les années 50, par une immense majorité, sont banales aujourd’hui : une assemblée régionale, des panneaux bilingues, des Gwenn-ha-du partout, des milliers de jeunes unis dans un rythme d’an dro. Donc je suis quand même heureux que mon rêve se soit réalisé en partie. Reste une deuxième moitié de chemin à parcourir. 

 

Ar Gedour : Estimes-tu qu’il y a eu une vraie transmission ou qu’aujourd’hui il y a une rupture avec la nouvelle génération  ? 

Alan: je ne vois pas de rupture. La deuxième partie du chemin est évidemment la pérennisation. Que nous ne soyons pas quelques-uns à nous user à maintenir la flamme. Attendre le point de non-retour que sera par exemple un statut particulier. Langue et culture auront à ce moment beaucoup plus de chances de survie. 

 

Ar Gedour : Tu fais partie d’une génération d’artistes qui se sont prononcés pour la Bretagne et l’ont fait rayonner. L’engagement des artistes bretons aujourd’hui est-il assez fort pour la Bretagne ? 

Alan: En fait, malgré une différence d’âge, je me situe dans une génération qui est celle de la naissance des bagadoù et de Glenmor. Je ne me considère pas de celle des autres artistes qui sont venus à partir de la fin des 60s (Servat, Dan, etc.). On entend de belles choses dites par des artistes plus jeunes comme Denez Prigent ou Nolwenn Korbell. On peut regretter que les artistes se battant pour Breizh ne semblent pas savoir se faire entendre. Ou ils sont assez peu nombreux. Le plus grand engagement pour un.e artiste breton.ne est d’investir dans la promotion de son oeuvre. C’est la meilleure façon de promouvoir notre pays. 

 

Ar Gedour :  Tu as certainement lu l’étude socio-linguistique sur les langues de Bretagne. Le nombre de locuteurs ne cesse de baisser. Cela fait plus de 50 ans que tu es engagé et tu as donc un certain recul : que penses-tu de l’état de la langue bretonne en Bretagne ? En fait-on assez ? Que faudrait-il faire ? 

Alan : si la langue et la Bretagne (ce qui va de pair comme on sait) meurent, c’est bien parce que les breton.nes (je veux parler de la majorité des « classes dirigeantes ») n’y croient pas. Partout dans le monde, des peuples survivent parce que des gens y croient. Nous avions un peuple honteux et complexé, nous avons un peuple plutôt chauvin, sans prise ni volonté sur son avenir. Je disais /moitié du chemin/ aussi au plan psychologique. Arriverons-nous à gravir la deuxième partie, en allant du chauvinisme à la conscience qu’ont la plupart des autres peuples ? Nos dirigeants auront-ils, un jour, le courage de ce député gallois faisant la grève de la fin sous Thatcher et obtenant de la dame de fer la chaîne de télé galloise ? Je sais malheureusement qu’il y a bien des raisons qui font ce blocage. L’inculture bretonne crée des dénis et problèmes psy. aux responsables et intellectuels qui souffrent de cette maladie. Il faudra encore pas mal d’efforts pour changer ça. 

Après le choc psychologique de l’Olympia 72, on attend, par exemple, qu’un grand réalisateur breton soit capable de décrocher le César ou l’Oscar, pour un film racontant « les rois maudits bretons » ou la vraie mythologie celtique. 

 

Ar Gedour : Si on donnait plus de pouvoir à la Région Bretagne et plus de moyens financiers pour la promotion la langue, crois-tu que cela changerait la donne ? 

Alan: oui, je crois qu’un Statut particulier suffira. Le reste suivra.

 

Ar Gedour : Dans plusieurs de tes albums, on retrouve des traditionnels du répertoire Bleimor, comme par exemple ici A-hed an noz, avec Andrea Corr, que tu avais déjà repris dans Emerald. Peseurt levezon ho peus bet gant ar re bVleimor hag ar strolladoù tro dro dezho ? Gant ar feiz kristen ?

Alan: levezonet on bet hag emaon dalc’hmat gant skaouted ha bagad Bleimor. J’ai été et suis influencé par les scouts et le bagad Bleimor. Ce serait long d’analyser en quoi, sur quels plans. Hir da laret ez resis penaos ha war pesort tachenn. On ne peut avoir vécu dans cette mouvance toute ma jeunesse sans que ça laisse des traces. Aidé à bien me sentir dans la nature, concrètement et spirituellement. Personne ne nous obligeait à suivre de manière plus prononcée des tendances qui pouvaient être suggérées par la personnalité de gens comme Perig Géraud-Keraod. Je crois donc avoir profité de tout le bien que Bleimor a pu me faire, en restant dans une certaine laïcité politique ou philosophique, et en évoluant, dans ce domaine, tranquillement vers ce que j’appelle une gauche authentique. Ceci en même temps que passé personnellement d’un catholicisme bien ancré, d’abord, à un christianisme celtique, puis à la recherche de la déclinaison celtique d’une spiritualité universelle (Spered Hollvedel). Mais tellement d’urgences me freinent.  

 

Ar Gedour : Miret ho peus un uhelvennad eus ar mare-se ? Petra eo ar feiz evidoc’h hiziv an deiz ? 

Alan: respontet em eus e soñj din. Je t’ai répondu, je crois. Emichañs emaon muioc’h breman en Ober ha n’esean ket klask krediñ d’un dra bennaket. Sans doute suis-je maintenant davantage dans le “faire” et je n’essaie pas de chercher à croire à quelque chose. Trawalc’h santout ha klevout c’hwezh an Hollved, en un terc’hel soñj ez eus ur sort Spered e-barzh. Il me suffit de sentir et entendre le souffle de l’Univers, me souvenant qu’il y a là un Esprit hors de la définition. Ha se hep klask gouzout ar pezh hag emañ en tu hont da galloud an Den.  Et cela sans chercher à savoir vraiment ce qu’il y a au-delà de ce que peut l’humain.

  

Ar Gedour : Une dernière question : Le titre de ton album est Human~Kelt. On est humain avant d’être celte, comme tu l’as dit ailleurs. Mais ce qui m’interpelle est le tildé et alors que l’actualité remet le petit Fañch en avant, je ne peux que faire le lien : l’as tu placé en pensant au petit Fañch ? Donner un prénom à un enfant est lui donner une pleine existence humaine. Pourrait-on dire que refuser un prénom à quelqu’un serait en quelque sorte une négation d’humanité ? 

Alan: oui et, plus surprenant encore, l’idée est venue en même temps au graphiste à Paris. J’aime bien l’idée de parler de « grandes choses » et de rappeler les « petites », dont celle concernant un petit enfant. Qui sait si ce petit garçon ne sauvera pas la Bretagne ? C’est possible. Effectivement ce fait du prince qui est de refuser le droit à son identité est, à l’état relativement light, un symbole du déni d’humanité dont l’humanité souffre partout et encore.

Trugarez vraz dit, Alan. Kalon vat !

 

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Propos recueillis par Eflamm Caouissin pour Ar Gedour

Photos Ar Gedour 2018 – DR

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD".

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2 Commentaires

  1. Ha muioc’h c’hoazh evit ar Vretoned, deskiñ o yezh…ar rest a zeuio warlerc’h. Perak gortoz rac’h digant hon « amezeien ».
    Petra eo ar mod-se ganeoc’h : « breton.ne » « les Breton.s » « un.e » ? Ha perak pas « intellectuel.les » ?

    • Oui c’est en effet décevant qu’Alan Stivell tombe dans cette mode déplorable et ridicule de l’écriture
      inclusive qui est le signe visible d’une anthropologie aux antipodes de ses idéaux et de son propos qui est très juste.

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