« Human~Kelt », un album d’Alan Stivell empreint d’humanité

Amzer-lenn / Temps de lecture : 11 min

Nous vous avons déjà entretenu du nouvel album d’Alan Stivell « Human~Kelt », au fil des titres que le barde breton livrait sur le net en attendant la sortie de l’opus, ce 26 octobre, chez World Village / Pias. Vous avez eu le plaisir de découvrir peu à peu cet album empreint d’humanité sur Ar Gedour, et nous vous en disons un peu plus aujourd’hui… et une interview demain.

 

Alan Stivell, human & Kelt

Pour Alan Stivell, qui débutera sa tournée par un premier concert à Ploemeur ce soir (et qui sera entre autres à la Cigale  le 4 Février 2019 dans le cadre de la soirée d’ouverture du Festival Au Fil Des Voix), se replonger dans son passé est un acte artistique à part entière, dans lequel il déploie encore son attachement profond à la Bretagne et au monde. Cette démarche passe non seulement par la réinvention d’anciens morceaux, un appel à des invités choisis, et la confection de nouvelles compositions ouvragées qui sont autant d’échos à plus d’un demi-siècle de création. Avec toujours cette perfection du son qui fait de chacune des plages un moment de grâce et qui confirme que celui par qui la harpe celtique a pu renaître reste un artiste de son temps et en mouvement.

Il s’est donc entouré de nombreux invités tels que Francis Cabrel (qui chante ici pour la première fois en occitan), Murray Head, la belle et talentueuse Andrea Corr, Yann Tiersen, la chanteuse malienne Fatoumata Diawara, Angelo Branduardi et Dan ar Braz, le galicien Carlos Nuñez et l’irlandais Bob Geldof, Donal Lunny, Claude Sicre ou encore les Frères Morvan (pour ne citer qu’eux). Sans oublier la participation de l’excellent orchestre symphonique de Bretagne.

 

De Again à Human~Kelt

Cet album, qui se présente comme un deuxième Again, envoûte dès l’introduction, et se veut comme un cri d’espoir pour l’humanité. Passant du français au breton, de l’anglais au corse, du galicien au gallois, du catalan à l’occitan, Human~Kelt se présente à mon sens comme l’aboutissement de toute la carrière d’Alan, certes, mais se place surtout dans la ligne de 1Douar, Explore et AmZer… et comme nous l’avons dit, de Again. Cet album, pour lequel il avait convié de nombreux invités tels que Yann-Fañch Kemener, Gilles Servat, Laurent Voulzy mais aussi Kate Bush, Shane Mc Gowan ou Gillie O’Donovan sans oublier des Pierrick Lemou, Robert Le Gall ou Dan ar Braz, reprenait là aussi les standards du barde breton tout en osant de nouvelles expérimentions musicales.

Pour 1Douar (1998), Stivell, là encore avait opté pour des invités du monde entier, de Jim Kerr (Simple Minds) à Paddy Moloney (The Chieftains) en passant par John Cale, Youssou n’Dour ou Khaled. Stivell souhaitait par cet album aux sonorités world à la fois nostalgique et très rock (dans la lignée d’un Brian Boru portant la signature sonore de Martin Meissonnier) délivrer un message d’ouverture et de paix. Même si on peut les retrouver dans le parcours d’Alan déjà bien avant, on peut affirmer que se trouvent dans 1Douar les racines de Human~Kelt, à la fois dans le contenu qui se dessine en filigrane, mais aussi au niveau des orchestrations, de l’utilisation de nappes sonores, effets et samples (par exemple les Soeurs Goadec dans « Mémoire de l’Humain« ).

Avec Explore (2006), le barde opte pour une approche plus MAO (musique assistée par ordinateur). Le ton de l’album est très électro, et les éléments sonores, boucles et autres échantillonnages s’intègrent parfaitement à une musique bretonne résolument moderne, comme un kan ha diskan aux sonorités électroniques répondant aux instruments plus classiques, le tout servant d’écrin à des paroles qui définissent la vision d’Alan pour l’humanité. Et si l’album surprend au premier abord l’aficionados, il est finalement dans la ligne de l’artiste qui depuis ses débuts a osé les expérimentions audacieuses. Ces expérimentions se retrouveront ensuite dans AmZer (2015), opus qui n’est pas sans rappeler à la fois Trema’n Iniz, ou certains titres d’1 Douar et Explore mais se projette aussi dans un avenir prometteur bien paisible que développe la poésie contemplative d’Alan. Son sound-design (qui se retrouvait là aux avant-postes de Skilda ou de Denez Prigent) laissait sans voix à la première écoute, mais c’est justement ce qui fait l’originalité de l’album et de suite incite à une deuxième écoute permettant de plonger dans l’univers qu’il nous offre.

alan stivell human keltFinalement, c’est ce sound-design qui, se retrouvant dans Human~Kelt, signe cet album. Car on retrouve tout ce qui a influencé Alan, de Reflets à aujourd’hui, à la fois dans la musique mais aussi dans l’engagement.

Ainsi, prenons les deux titres qui, après une intro en bonne et due forme… et originale, débutent l’album : le titre en duo avec Bob Geldof, qui suit avec brio DEN I (l’excellent morceau précédent interprété avec Fatoumata Diawara et Vincenzo Zitello et dans l’esprit de A united Earth de 1Douar), est fidèle à la vision musicale d’Alan Stivell, puisant à la fois dans un style musical très anglo-saxon et dans le traditionnel celtique (en arrière-fond, le sample ressemble grandement à un traditionnel des îles Hébrides), avec une interprétation très moderne, alliant la voix pop/rock de Bob Geldof et celle d’Alan, posée et légèrement rauque, qui n’est pas sans rappeler les vocals de certains titres de ses précédents albums AmZer et Explore. Entre les notes égrenées d’une harpe parfois très pop, le violon et la bombarde et un ensemble très électro, il y a une véritable invitation à découvrir l’album dans sa totalité. Certains ressentiront probablement une proximité musicale avec l’univers du groupe Afro Celt Sound System ou encore avec le style de Peter Gabriel, voire un côté -pour les connaisseurs – très C2C.

 

L’inédit et l’original

L’ensemble de l’opus est dans cette veine, à la fois world et électro, traditionnel et po-rock, groove et méditatif, enraciné et envolé, alliant à la fois un dynamisme musical et des morceaux plus calmes. Loin d’un best-of reprenant des titres déjà connus, Alan offre ici hors des frontières musicales et linguistiques, des compositions et ces titres dont il revoit audacieusement l’orchestration, mais reste dans une unité de style très riche pour retracer une carrière tout aussi riche. Il s’agit, comme le confie Alan, « d’un tour de la maison, avec beaucoup de [ses] orientations musicales […] dans une quête inlassable de l’inédit et de l’original ». 

L’inédit et l’original : parmi un tiers de nouveaux titres, c’est ici aussi ce que l’on retrouve par exemple dans Kelti[k]a puis dans Boudicca. Le premier track reprend l’instrumental « La Celtie et l’infini » issu de l’album Au-delà des mots / Beyond words … mais cette fois avec des mots. Comme en écho à Glenmor qui chantait O Keltia, il adjoint la voix de Milig ar Skañv (le vrai nom de Glenmor) à sa composition, rendant dans le même temps hommage aux Frères Morvan qui eux aussi sont présents sur le morceau. Entrelacés parmi les effets sonores comme les ornementations enchevêtrées d’une frise infinie. Notons aussi dans cette oeuvre la présence de Julien Cuvillez qui, installé à Paule, près de Rostrenen, a reproduit la lyre celtique de l’antiquité celtique, ainsi qu’un extrait de chant de travail des Iles Hébrides (Heman dubh, initialement joué dans Renaissance de la Harpe Celtique) ici chanté par la chanteuse et musicienne de l’île d’Arran Joanne Mac Iver et sa fille. Enfin, nous remarquons aussi le psaume gaélique chanté par la Stornoway Congregation, église presbytérienne libre d’Ecosse de l’Ile de Lewis. Ce sample donne toute sa transcendance spirituelle au titre qui, rassemblant les influences des peuples celtes – est d’une richesse surprenante au vu des éléments utilisés par Alan, et s’écoute encore et encore. Mieux : c’est une excellente introduction au titre suivant, Boudicca, reine celte du peuple des Iceni qui se révolta contre l’envahisseur romain. Ce titre, très original, est la suite toute naturelle de Kelti(k)a. D’une Celtie intemporelle on remonte à la Celtie originelle, un titre très tribal avec ces cris en idiome archéo-celtique (langue gauloise), ces slogans aux voix déstructurées et self-samples (certains reconnaîtront par exemple un effet issu du Chant de Taliesin dans The Mist of Avalon*), ou encore la présence du carnyx de Konan Mevel qui offrent par cette composition originale un véritable voyage dans le temps et combien actuel,  titre qu’on pourrait voir comme un écho à l’un de ceux de l’album Before Landing / Raok dilestra. 

 

* On peut aussi par exemple trouver dans Tri Martolod un self-sample issu de A l’Olympia, ou par exemple dans Son ar Chistr des samples que les fans reconnaîtront aisément. Nous allons éviter de tout révéler, mais nous invitons ceux qui achèteront l’album à guetter dans chaque morceau les clins d’oeils sonores à tel ou tel album. C’est en entendant le fameux passage court mais reconnaissable du Chant de Taliesin et en écoutant un peu mieux tous les titres que nous avons mieux compris l’immense travail dont parlait Stivell pour cette production. Car ses 52 ans de carrière ne sont pas que dans le choix des titres, mais dans la confection même de chacun de ces titres, comme les broderies d’un costume qui s’enrichissent au fil du temps. 

alan stivellAlors qu’Alan diffusait au fil des jours quelques titres, nous avions déjà parlé de certains d’entre eux comme A-hed an nos ou Son ar Chistr, Reflets, BZHg, Com un gran Orchestra  Nous pourrions nous éterniser sur chacun des morceaux, en évoquant l’excellente nouvelle version de Reflets ou encore de Brocéliande, voire de Brezhoneg ‘raok très actualisée et sublimée par les cornemuses et les percus de Cap Caval. Nous aurions pu évoquer les excellents musiciens, connus et moins connus, et l’Orchestre Symphonique de Bretagne, qui participent à l’âme de cet l’album. Mais il est bon d’aller au-delà des mots, car seront-ils le reflet de ce que vous découvrirez par vous-mêmes ?

En conclusion, par cet excellent opus retraçant à merveille 52 ans de scène, et alors que « ce disque aura été l’occasion de rencontres qui marqueront toute la fin de [sa] vie« , Alan souhaite livrer ici l’idéal qui pour lui domine tous les autres : celui d’essayer soi-même d’être un humain tous les jours plus humain, considérant qu’aller à l’essentiel, c’est aller là. C’est en quelque sorte la question posée par le chanteur breton dans Reflets : « ou nous faisons l’effort du respect (je ne dis pas que nous y arrivons totalement), respect des autres, respect de la planète ; ou nos progrès techniques et la nature se vengeront de nous.”

Alan a d’autres projets en cours, et nous espérons bien qu’ils verront le jour. Il présente ainsi dans l’avant-dernier titre de l’album un montage en forme de tuilage : ici, la conclusion de Stivell 25 est aussi l’introduction de la nouvelle version de Tir na nOg / Symphonie Celtique prévue pour les 40 ans de sa création scénique. Alors qu’avance le temps et après 52 ans de carrière, nous pouvons voir dans Human~Kelt  non seulement un testament musical, mais qui va bien au-delà du simple parcours inter-disques. Un testament du coeur qui vous laisse songeur alors que le dernier titre (« Pourquoi es-tu venu si tard ») s’achève au son du piano enchanteur de Yann Tiersen et de la douce voix d’Alan, entre gwerz et canntaireachd, vous rappelant une dernière fois que vraiment… « la vostra finestra es l’Espandi » (votre fenêtre est l’infini). 

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Tracklist

  • 1.SETU  52 bloaz [audio-préface / medley]
  • 2.DEN I [Mogo] ft Fatoumata Diawara
  • 3.DEN II [Simply Human] ft Bob Geldof
  • 4.COM UNA GRAN ORQUESTRA IDEAS [medley / new] ft Francis Cabrel, Claude Sicre, Lea Antona, OSB
  • 5.ARDAIGH CUAN ft Andrea Corr, OSB
  • 6. A HED AN NOS [All Through The Night / new] ft Andrea Corr, OSB
  • 7. BZHg [emadvesk / self-remix] ft Bob Geldof
  • 8. BREZHONEG ‘RAOK [new] ft Bob Geldof
  • 9. PRINTEMPS AUTOMNE AUTANT [« haïku »] ft Claude Lemesle
  • 10. MJ a garan [50 bloaz]
  • 11. REFLETS, ADSKEDO , REFLECTIONS [new] ft Murray Head, Robert Le Gall
  • 12. BRESELIEN Brocéliande [new] ft Angelo Branduardi, Vincenzo Zitello
  • 13. SON AR CHISTR My cheers To You! [new] ft Donàl Lunny
  • 14. TRI MARTOLOD [new]
  • 15. KELTI[K]A ft Isle of Stornoway, Julien Cuvillez, Glenmor, Ar Vreudeur Morvan, Joanne Mac Iver & Eilidh Mairi Saunière
  • 16. BOUDICCA [Caco sac Caesar!] ft Catrin Finch
  • 17. AN EMGLEW [Le Pacte / new] ft Carlos Nunez, Dan Ar Braz, OSB
  • 18. DOR TIR NA nÓG [from Symphonie Celtique]
  • 19. ÉAMONN AN CHNOIC I ft Úna ní Fhlannagàin
  • 20. POURQUOI ES-TU VENU SI TARD ? [Éamonn an chnoic II] ft Yann Tiersen

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À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD". En 2024, il a également publié avec René Le Honzec la BD "L'histoire du Pèlerinage Militaire International".

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