Extrait du Bleun Brug N°181 de mars – avril 1970 ces témoignages et analyses qui n’ont pas vieilli et poussent à la réflexion, sur plusieurs points.
Le succès impressionnant de cette messe bretonne a. fait dire à des humoristes : « Enfin on a trouvé un truc pour remplir nos églises ». En effet, 600 personnes (plus que toute la paroisse de Gestel), pour une messe annoncée « brehoneg penn-da-benn », même l’homélie, dans une chapelle qui ne rassemble pas 100 personnes pour son pardon annuel, cela donne à réfléchir.
Les gens sont venus de toute la région lorientaise. On remarquait dans l’assistance plusieurs non-pratiquants, soit de Gestel, soit d’ailleurs. Notons qu’un match important, sur le plan local, a pu empêcher un bon nombre de Gestellois de participer à la messe célébrée à 16h30, le dimanche. Disons également qu’un beau soleil nous a favorisés pour le début, tandis qu’une pluie fine faisait partir les fidèles restés « extra muras » à cause de l’exiguïté de la chapelle.
Cette assistance était composée de gens de tous âges, surtout de 40 à 60 ans. Les jeunes? 20 % sans doute du total.
Quant aux chants, ce fut une véritable explosion.
Les anciens pleuraient d’émotion. A la fin de la messe on eut quelque peine à évacuer la chapelle, car la foule persistait à chanter. Que dire de la nouvelle liturgie bretonne chantée ? Là encore réussite complète. Les mélodies sont simples, et après quelques rares répétitions tout le monde y allait de bon cœur, même le Pater en breton était pratiquement su à la fin de la cérémonie. Participation : on a constaté une réponse immédiate du peuple, à peine croyable pour un premier essai. Quatre lecteurs compétents se sont proposés spontanément. Dommage que l’on n’ait prévu que 200 feuillets polycopiés pour 600 personnes !
Comment expliquer ce succès ?
Ce n’est ni la beauté de la chapelle (1), ni la publicité des journaux, de la télévision, des affiches, ni les annonces bienveillantes des recteurs de la région, ni les efforts des « mordus » de la question bretonne, qui expliquent le succès. L’explication profonde, c’est la résonance populaire, le désir du peuple de prier dans la langue de son cœur. Ruraux et citadins disaient :
« Nous voulons chanter nos vieux cantiques bretons. »
D’autres :
« Hélas ! dans nos paroisses, pourtant très bretonnantes, il n’y a plus un seul cantique breton, même pas à Noël. »
Une personne de 40 ans :
« Ça fait quand même quelque chose d’entendre cela en breton, ça vous pique le cœur. »
Et beaucoup :
« Où sera la prochaine messe bretonne ? »
Notons en passant que la région lorientaise est restée très fidèle au breton, pas seulement aux alentours, mais même à Lorient et sa périphérie immédiate.
Un problème
Faut-il dire ces messes bretonnes dans nos chapelles ou dans nos églises ? Avantages des chapelles : enfin les chapelles servent à quelque chose ! Leurs « quartiers » sont réveillés. L’atmosphère est plus fraternelle et le lieu plus en harmonie avec nos mélodies celtiques : « o doustér en overenneu … » Inconvénients : La plupart des gens doivent rester debout, même les anciens. Manque d’harmonium, de micro, d’électricité, de place surtout : la distribution de la communion à Kergornet a contraint le célébrant à se faufiler acrobatiquement jusqu’au grand portail. Les chapelles éloignées obligent la majorité de l’assistance à des déplacements excessifs, et nos anciens, ainsi que les peu fortunés (sans auto), sont, une fois de plus, défavorisés. Un autre argument sentimental :
« Il n’y a pas de place pour le breton à l’église paroissiale. Dans les chapelles, ça passe. »
Et c’est la fierté bretonne meurtrie (une fois de plus).
Liturgie bretonne : que faire dans nos paroisses ?
Devant le succès de cette expérience de Kergornet, ainsi d’ailleurs que devant celui de la messe bretonne radiodiffusée de Noyal-Pontivy (messe de Noël entièrement en breton, absolument populaire et communautaire, pas du tout folklorique, réalisée par le bon peuple noyalais uni à ses pasteurs), devant donc ces réussites, le zèle apostolique des prêtres et des laïcs de chez nous est alerté. N’y aurait-il pas une chance à saisir ? L’évangélisation de nos zones rurales, dans l’ouest de notre diocèse, ne pourrait-elle pas bénéficier de ces messes périodiques en breton avec leurs mélodies chantantes, priantes et en accord avec l’âme de notre peuple ?
Beaucoup de pasteurs constatent avec tristesse la déchristianisation de leurs campagnes. Mais avons-nous fait grand chose pour parler au cœur des paysans bretonnants ? Il est vrai que, jusqu’à présent, la liturgie était peu parlante à nos gens.
Une nouvelle liturgie bretonne se propose à nous. Allons-nous tenter une expérience ? Sans préjugés, le jeu en vaut bien la chandelle. Les prêtres présents à Gestel et à Noyal ont perçu d’instinct la force du courant populaire ; ils sentent que cette liturgie trouvera un écho puissant dans nos campagnes, dans nos bourgs et dans nos villes. Environ trente chefs de paroisses ont déjà estimé que l’expérience d’une messe bretonne méritait d’être tentée chez eux. Ils étudient maintenant le problème des heures (matin, soirée), des jours (samedi soir, dimanche), des lieux (églises, chapelles), des chorales … Une question : qui animera ces nouvelles messes (chants, lectures, homélies, monitions) ? Il faudra des laïcs et, surtout ( !), des prêtres compétents et disponibles. Quelques-uns se sont déjà proposés. Les volontaires peuvent écrire à l’aumônier du Bleun-Brug, M. Henrio, 56- Locoal-Mendon.
(1) Quoique l’intérieur ait un extraordinaire cachet breton.